Missionnariat dans l'orthodoxie

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galkani
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Missionnariat dans l'orthodoxie

Message par galkani »

Re-bonjour,

Quelle est la position de l'orthodoxie concernant le missionnariat ?
Sommes-nous tous des missionnaires qui avons le devoir d'évangéliser, ou bien l'Eglise orthodoxe n'a t-elle pas vocation à s'étendre mais seulement à conserver le dépôt et à sauver "localement" des hommes de bonne volonté lorsque nous les sentons prêts à recevoir la parole ?

Je pose la question parce que de nos jours, le missionnariat est regardé comme un prosélytisme inacceptable (du moins lorsqu'il vient des chrétiens, car lorsque les musulmans parlent de l'islam, c'est un merveilleux moment de partage culturel) qui nous condamne à la mort sociale lorsqu'on dit les choses trop franchement. Alors, devons-nous être missionnaires au prix de notre mort sociale et de la faim - le martyr est-il un devoir ? - ou bien devons-nous nous concentrer sur la vie de notre église et accepter que des hommes continueront à entendre n'importe quoi sur le compte de l'Eglise sans être détrompés ? Lorsque tout est pourri, est-ce que nous devons courber la tête et louvoyer, nous taire devant la dictature woke et l'éducation sexuelle, ou bien devons-nous parler hardiment pour dénoncer ces folies et en subir les conséquences sociales et financières qui retomberont sur nos enfants dont nous avons la charge ?
Claude le Liseur
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Re: Missionnariat dans l'orthodoxie

Message par Claude le Liseur »

Il ne faut pas oublier que l'épopée des missions catholiques et protestantes est aussi la conséquence de la puissance maritime et coloniale de cinq nations qui étaient à majorité catholique (Portugal, Espagne, France, Italie et Belgique) et de cinq nations à majorité protestante (Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark, Suède et Allemagne). On connaît la protection que les rois de Portugal exerçaient sur les missions en Asie, la volonté très sérieuse des rois de France de répandre leur religion parmi les Amérindiens en Nouvelle-France, etc., etc.

Pendant ce temps, les pays à majorité orthodoxe étaient sous le joug de l'Empire ottoman ou sous celui, encore plus intolérant, des Habsbourg ou de la Pologne, et luttaient simplement pour la survie, avec plus d'échecs que de succès, puisque la majorité des orthodoxes d'Anatolie se sont convertis à l'Islam et que la religion orthodoxe a été purement et simplement éradiquée de Galicie et de Slovaquie.

Dans le cas de l'Empire russe, l'activité missionnaire était forcément limitée par deux facteurs:
a) s'agissant des populations animistes et chamanistes, par leur petit nombre et leur assimilation rapide dans la majorité russe, ce qui n'encourageait pas une activité spécifique en faveur de ces populations ;
b) s'agissant des populations musulmanes, par l'hostilité du gouvernement impérial russe, qui avait à toute mission auprès des musulmans la même opposition de principe que les autorités françaises en Algérie.

Une fois ces limites rappelées, il convient tout de même de rappeler que les missionnaires orthodoxes russes ont déployé une activité considérable auprès de certaines populations allogènes de Russie (les Komis, dès le XIVe siècle, puis les Tchouvaches, les Altaïens et les Iakoutes), ainsi qu'en Alaska, au Japon, en Chine et en Corée. Toute cette activité a pris fin avec la Révolution de 1917 et l'effondrement du christianisme orthodoxe en Russie soviétique.
Notons toutefois que ces missions ont porté des fruits jusqu'à nos jours:
a) Il y a un diocèse orthodoxe japonais, avec un évêque japonais, et une tradition ininterrompue de célébrations liturgiques en japonais depuis la fin du XIXe siècle. Ses effectifs très réduits (environ 9'000 fidèles) n'enlèvent rien à cette réalité d'une tradition orthodoxe japonaise issue des missions russes.
b) La foi orthodoxe s'est maintenue parmi les Tchouvaches jusqu'à ce jour.
c) L'Alaska reste l'Etat américain avec la plus forte minorité orthodoxe (en pourcentage).

Au XIXe siècle, les missionnaires orthodoxes russes ont essayé de traduire les textes liturgiques dans un nombre considérable de langues qui allait du chinois à des langues autochtones parlées par quelques milliers de personnes en Alaska. Il y a eu beaucoup d'échecs, et aussi beaucoup de paroisses rayées de la carte à l'époque soviétique. On peut néanmoins considérer que ce travail a abouti à une tradition liturgique en japonais, en tchouvache, en finnois, en estonien et en letton qui se poursuit de nos jours.

Les missions russes ayant été rayées de la carte par la Révolution de 1917, le relais a été pris par les Grecs après la seconde Guerre mondiale, à une échelle encore plus petite pour la simple et bonne raison qu'une Grèce de 10 millions d'habitants ne peut pas fournir des milliers de missionnaires.
Si les succès ont été limités en Corée (5'000 orthodoxes, mais, comme au Japon, une tradition liturgique dans la langue du pays), ils ont été plus significatifs en Afrique. C'est ainsi que le Kenya compterait 500'000 orthodoxes.

A noter que la mission orthodoxe en Afrique orientale est née de la conversion d'un groupe d'anglicans qui ont ensuite fait appel aux missionnaires grecs, comme l'actuelle mission au Guatemala (environ 10'000 fidèles) est née de la conversion d'un groupe de catholiques romains.

Il y a donc une tradition missionnaire dans l'Orthodoxie. Si elle a porté peu de fruits et n'est pas connue comme les missions protestantes et catholiques, ce n'est pas pour des raisons dogmatiques ou idéologiques, mais en raison de circonstances historiques adverses, dont les principales sont les suivantes:
a) Domination d'entités politiques hostiles (Empire ottoman, Empire des Habsbourg, Pologne-Lituanie);
b) Avènement du communisme en Russie et en Chine (qui a abouti à l'interdiction de l'Orthodoxie dans ce pays);
c) Absence de colonies et de tradition maritime (contrairement au Portugal, à l'Espagne, à l'Angleterre, etc.)
galkani
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Inscription : jeu. 24 août 2023 4:27

Re: Missionnariat dans l'orthodoxie

Message par galkani »

Merci à Vous Claude pour cette réponse très claire et fouillée.
Elle répond par l'affirmation à la question principale concernant l'existence d'un missionnariat orthodoxe.
La question qui me préoccupe, dans la vie, est en général celle de notre attitude devant le mal. Avons-nous le devoir d'être martyrs ?
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