Il y eut un soir il eut un matin: jour un. Anne Geneviève vous m'expliquerez, comment en acceptant que la journée commence le soir à 6h on obtient un «jour» du soir au matin alors que j'appelle ça plutôt une nuit. Mais si ni cette «lumière» ni cette «obscurité» ne renvoient à l’ordre des photons, alors le texte recèle peut-être un autre sens.Mais si l’on ne peut pas faire un concordisme littéral, façon fondamentalistes américains, cela me gêne aussi de réduire le premier chapitre de la Genèse à quelque chose qui se passerait en Dieu sans rapport avec notre univers. Dieu est lumière. Un gaz de photons, c’est de la lumière. Circulez, y a rien à voir, c’est pas la même. Alors, excuse moi, Antoine, j’ai 4 ans, je ne comprends pas, pourquoi les deux s’appellent pareil ? Et dans la Genèse, pourquoi Dieu dit « que la lumière soit ! » s’il est déjà lumière ?
Cette lumière dont il est question me semble plutôt quelque chose de l'ordre du mental, de l'ordre de la conscience. Le texte ne s’oriente pas vers une cosmogonie immédiate et il faudra attendre le 4ème jour pour qu’il s’occupe à nouveau des astres.
Ici il s’agit plutôt de l’institution du temps comme catégorie a priori dans l’Esprit de l’homme. Catégorie , qui avec celle l’espace et celle de la relation de cause à effet, lui permettra de structurer le monde et de lui donner ainsi une existence intelligible. Il s’agit de l’émergence de la conscience créée par Dieu dans le cerveau humain. Les 4 premières lettres de béréshit B R’ (SH) forment le syntagme ( bérosch) qui signifie "dans la tête". Et le Christ qui est celui par lequel s’opère la création est aussi verbe , logos à l’image duquel nous sommes configurés.
Même si le grec ne joue pas avec les racines triadiques comme l’hébreux, le "en arkhe" respecte néanmoins cet environnement générateur de sens. Les commentaires de la Septante dans la traduction de l’équipe de Marguerite Harl donnent en note :
« Aquila ayant proposé, à la place d'arkhê, le mot kephôlaion, «le point capital » ou «le résumé », formé sur kephalé, la tête — reproduisant ainsi le lien étymologique du mot hébreu rè'shit avec re'sh, la tête — »
Cette importance du sens « tête » n’avait pas échappé aux Pères.
Que le Christ soit le principe de «En arkhé» est attesté également par beaucoup de Pères. Par exemple , St Irénée dans son exposé de la prédication des apôtres 1,43 (les Pères dans la foi, chez DDB p 51.)
« En toutes choses, il est nécessaire de croire à la parole de Dieu, car Dieu est véridique en tout. Il faut croire particulièrement qu'il y a un Fils de Dieu et qu'il existe non pas seulement au moment .où il va apparaître au monde, mais même avant la création du monde. Moïse, qui le premier l'a prédit, s'exprime ainsi en hébreu : «Baresith bara Eloïm basan bénouam samentharès», ce qui signifie : «Le Fils était au commencement ; Dieu créa ensuite le ciel et la terre (Gn 1, 1).» C'est aussi ce que certifie le prophète Jérémie en ces termes : « Je t'ai engendré avant l'étoile du matin et ton nom est avant le soleil (Ps 109, 34,) et c'est avant la création du monde, puisque les astres ont été formés en même temps que le monde. Et le même prophète dit encore : «Heureux celui qui était avant de devenir homme ». Pour Dieu, en effet, le Fils était au commencement avant la création du monde, mais pour nous, c'est depuis qu'il nous est apparu. Auparavant pour nous, il n'était pas, car nous ne le connaissions pas. Pour cela son disciple Jean nous déclare qu'il est le Fils de Dieu, qu'il était auprès du Père avant que le monde fût, que par lui toutes les créatures existent et affirme : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu ; tout a été fait par lui et sans lui rien n'a été fait (Jn 1, 1-3).»
Il est flagrant également que le passage de la Genèse se termine par «Jour un». Ceci m’apparaît comme une sorte de signature et non pas comme un dénombrement. Le Christ s’annonce comme « En arkhe » et signe comme «jour un»
Saint Ambroise nous dit :
« Si toute la durée du monde est comme un seul jour, il compte certainement Ses heures par siècles : autrement dit les siècles sont ses heures. Or 'il y a douze heures dans le jour. Donc au sens mystique le jour, c'est bien le Christ. Il a ses douze Apôtres, qui ont resplendi de la lumière céleste, en qui la grâce a ses phases distinctes. » (Exp. Luc, vil, 222 ; S.C., p. 92.)
Zénon de Vérone :
« Le Christ est le jour vraiment éternel et sans fin qui a à son service les douze heures dans les Apôtres, les douze mois dans les prophètes. » (Tract., n, 45.)
Méthode d'Olympe écrit que
« l'ensemble des Apôtres, correspondant aux heures du jour, s'appelle le jour spirituel, l'Église » (De Sanguisuga, ix, 3 G.C.S., 487.)
Pour lui « jour » symbolise l'Église et non le Christ; mais est-ce bien différent ?
Hippolyte écrit :
« une fois ensemble réunis, les Douze Apôtres, comme douze mois, ont annoncé l'Année parfaite, le Christ. Le prophète lui aussi dit Annonce une année de grâce du Seigneur. (Isaïe, Lx', 2.) Et parce que Jour, Soleil, Année étaient le Christ, il faut appeler Heures et Mois les Apôtres. » (Ben., Moïse; P.O., XXVII, 171.)
Tout ceci conjugué m’incite à lire le texte autrement que comme une simple narration des évènements cosmiques qui constitueraient la naissance de l’univers. C’est pour cela que je n’entrevois pas de justification à lier la lumière de la Genèse à celle d’un big bang et que j’ai écrit que ce qui est modifié par le péché c’est notre relation au monde. Mais peut-être suis-je encore trop influencé par l’idéalisme allemand. Les Pères ont eu , eux , à se démarquer du platonisme et des post platoniciens. Et il reste encore beaucoup de traces de la conscience philosophique de leur époque dans leur façon d’appréhender le réel. Aujourd’hui je pense encore que c’est le concept qui structure le monde, et que le monde n’a pas d’existence en dehors du concept que l’on en a. C’est un peu compliqué me reprochera Eliazar, mais la Genèse me le confirme en soulignant l'emergeance du logos en l'homme créé à l'image du Logos, et la science avance indéfiniment dans sa saisie de l’univers par l’évolution de ses concepts.
Ce que nous dit le passage sur la lumière n’est autre que l’émergence du logos en l’homme créé à l'image du Verbe. C'est une lumière qui éclaire mon intelligibilité du monde, mon intellection de la réalité extérieure, ou plus exactement, cette intelligibilité est cette lumière. Si je me supprime les catégories kantiennes a priori de la Raison, rien n’est plus concevable. "Que la lumière soit" devient: "que l'homme intelligibilise la réalité extérieure comme je la crée". Et les jours suivants montrent que cela ne se fait pas instantanément. L'homme travaille à la réalisation en lui du Logos. Il doit achever la ressemblance avec l'Image du verbe.
Cette lecture n’est pas plus abstraite qu’une lecture renvoyant sur la réalité de l’univers. Au contraire, elle s’insère dans cette théologie patristique très concrète de l’homme comme image de l’image. Et Adam qui donne un nom aux animaux devient par sa conceptualisation de l'univers co-créateur selon l'image du Logos en lui jusqu'à la chute qui est un détournement de sens et un détournement des sens.
Ceci n’épuise certainement pas le texte prodigieux, mais le met à l’écart de tout court-circuit avec les théories de l’évolution, et celles de l’astrophysique.
La science n’est pas non plus certaine d’un big bang unique. Elle n’est pas certaine d’une expansion infinie de l’univers. D’autres théories prennent naissance, avec des univers parallèles, des mirages de galaxies. Elle prône par exemple qu’il y aurait un certain nombre de constantes universelles qui permettent l’existence d’un univers et que la nature essaierait également d’autres combinaisons aléatoires engendrant ainsi des univers non viables qui avortent. Et elle ne sait pas encore combiner mécanique quantique et physique gravitationnelle. Alors les cocorico d’une Genèse big bang à la Lemaître vont vite désenchanter et de nouveau le texte sera rejeté au rang des mythologies si nous continuons naïvement à en rechercher du concordisme debout sur notre tas de fumier.