Père_Antoine a écrit :
Mgr Kallistos n'a pas voulu suivre ce chemin, et il est en train d'étudier l'avenir avec cinq prêtres qui lui reste fidèles. La solution où il s'agit d'être sous la juridiction d'un évêque, apparemment dans le synod du patriarch Filaret est moins évident pour raison de renseignements très récents.
(...)
Dans le groupe de Mgr Kallistos, il y a une tolérance pour le rite grégorien (en effet le rite romain ancien) soit en latin soit en langue vernaculaire. En principe, le groupe est de rite byzantin selon l'usage slave.
"Est-ce que l'on trouve dans d'autres patriarcats des prêtres orthodoxes qui célèbrent la messe en latin ?" - Dans le vicariat antiochien de rite occidental aux Etats-Unis de temps en temps et aussi dans un monastère en Amérique attaché à l'Eglise russe hors frontières (synode de New York). Cette pratique n'est pas proscrite, à condition que certaines modifications soient introduites et que les prêtres et fidèles en question soient vraiment conformes à la doctrine orthodoxe.
Ne jouons pas sur les mots, ne tombons pas dans les confusions. Il y a la question de la langue utilisée et la question du rit. Il est tout à fait envisageable de célébrer le rit byzantin en latin. De même que le rit latin était parfois célébré en slavon en Croatie et en Dalmatie.
Le "rit romain traditionnel" en usage chez les catholiques romains jusqu'en 1969 et maintenu par toute la galaxie intégriste (Ecône, abbé de Nantes, palmaristes, vagants divers et variés, etc.) n'est ni romain, ni traditionnel. Il s'agit du rit mis au point par le concile de Trente au XVIème siècle et qui tire directement son origine des réformes liturgiques de Charlemagne, imposées progressivement à Rome au cours du IXème siècle. Quand le conseiller d'Etat valaisan Fournier nous parle avec des trémolos de "la messe qui a deux mille ans d'histoire", il ne fait que nous parler de ce qui devrait en réalité s'appeler le rit rhénan carolingien aggravé par le concile de Trente. Le vrai rit romain traditionnel, qui n'avait eu qu'une très faible diffusion géographique pendant des siècles (l'Italie suburbicaire) avant d'être répandu en Angleterre au VIIème siècle et dans les pays rhénans au VIIIème (il n'est arrivé dans les Gaules que du temps de l'évêque Chrodegang de Metz au milieu du VIIIème siècle), ce rit, nous ne le connaissons pas plus que celui des Gaules, Charlemagne et ses successeurs ayant systématiquement détruit les textes liturgiques anciens au cours des IXème et Xème siècles. Mgr Duchesne constatait déjà il y a plus d'un siècle l'impossibilité de retrouver le rit romain d'avant Charlemagne.
"
La liturgie romaine, depuis le onzième siècle au moins, n'est autre chose que la liturgie franque, telle que l'avaient compilée les Alcuin, les Helisachar, les Amalaire. Il est même étrange que les anciens livres romains, ceux qui représentaient le pur usage de Rome jusqu'au neuvième siècle, aient été si bien éliminés par les autres qu'il n'en subsiste plus un seul exemplaire." (Mgr Louis Duchesne,
Origines du culte chrétien, Fontemoing, Paris 1903, p. 104.)
D'un point de vue orthodoxe, je ne vois pas la moindre raison de déplorer que le Vatican ait décidé après Vatican II de se débarrasser d'un rit qui avait été créé par Charlemagne pour combattre l'Orthodoxie et codifié par le concile de Trente pour combattre la Réforme protestante. Un rit qui ne transmettait donc strictement rien de l'expérience spirituelle de l'Europe occidentale - y compris Rome - des huit premiers siècles chrétiens. Le "rit romain traditionnel" vaillamment défendu par les Fraternités Saint-Pie X et autres Fraternités Saint-Pierre devrait objectivement s'appeler "rit carolingien d'Aix-la-Chapelle". Il a son origine dans la chapelle privée d'un roi germanique hérétique filioquiste et usurpateur de la couronne impériale des Romains, et pas dans la Rome des saints papes Léon, Grégoire ou Martin. Sur ce plan là comme sur les autres, la vraie Rome, c'est l'Orthodoxie.
Appeler rit grégorien le rit tridentin célébré par certaines communautés orthodoxes, dans le but évident de le rattacher à la figure prestigieuse du pape et patriarche orthodoxe de Rome saint Grégoire Dialogue (+ 604), est pour le moins abusif. Il faut savoir que le rit grégorien dont parle Père Antoine dans son message n'est aucunement le rit romain ancien tel qu'il aurait pu être célébré du temps de saint Grégoire. Il s'agit en fait de la liturgie dite de saint Grégoire le Grand, qui a été mise au point dans le cadre de l'archevêché du patriarcat d'Antioche en Amérique, sur la base des travaux de Julian Joseph Overbeck (1821-1905) et des propositions d'une commission de théologiens russes en 1904. Le patriarcat d'Antioche a adopté le principe de l'utilisation du rite "occidental" en Amérique du Nord dès 1958. Jean-François Mayer signale deux missels publiés par le Vicariat de rite occidental du patriarcat d'Antioche, l'un à Los Angeles en 1991, qui contient la "liturgie de saint Grégoire" en latin et en anglais, l'autre à Stanton en 1995, qui contient, en anglais, la "liturgie de saint Grégoire" et la "liturgie de saint Tikhon" (cf. Jean-François Mayer, "L'Orthodoxie doit-elle être byzantine?", in
Regards sur l'Orthodoxie, L'Âge d'Homme, Lausanne 1997, p. 203). Il ne s'agit que de patronages de circonstance pour désigner des versions "orthodoxisées" (suppression du
Filioque et ajout de l'épiclèse) du rit tridentin d'une part, du rit anglican d'autre part. Ledit "rit grégorien" n'est donc qu'une création du XXème siècle, tentant d'orthodoxiser le rit inventé par Charlemagne et entériné par le concile de Trente: ce n'est pas le rit romain ancien!
Quant à la liturgie dite de saint Tikhon... Selon un prêtre du Vicariat de rite occidental, le père Jean Charles Connely (
Lux Occidentalis, Denver 1996), le texte de cette liturgie n'a été mis au point qu'en 1974 à Detroit, soit près de cinquante après la mort du saint patriarche de Moscou! L'attribution de la version orthodoxe du rit anglican à saint Tikhon de Moscou n'est donc pas plus en accord avec la chronologie que d'affirmer que le "rite grégorien" serait le rit romain ancien ou aurait vraiment quelque chose à voir avec saint Grégoire, mort quelque treize siècles avant la mise en place de ce rit.
Il est regrettable que le patriarcat d'Antioche couvre ces expériences menées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, expériences qui, d'un point de vue spirituel, ne me paraissent pas devoir aboutir à des résultats plus glorieux que ceux de l'ECOF. Je ne comprends en effet pas la logique de la démarche: quant on est confronté à des liturgies inventées dans une intention anti-orthodoxe, comme le rit romain carolingien dit par les catholiques intégristes "la messe de toujours", je ne vois pas l'intérêt de vouloir les orthodoxiser quand on peut plus simplement avoir recours aux liturgies célébrées dans l'Eglise d'une manière ininterrompue. La situation me paraît encore plus problématique dans le cas du rit anglican, qui n'est au fond que le rit romain carolingien avec en plus une intention anti-papiste. Cette démarche me paraît encore plus inutile que celle qui consiste à vouloir ressusciter des liturgies anciennes et oubliées (Missel de Stowe, rit de Sarum, rit italique), qui, au moins, correspondent vraiment à une expérience spirituelle orthodoxe et sont largement antérieures au schisme. Je comprends la démarche de vouloir ressusciter des liturgies gallicanes ou italiques anciennes, qui ont exprimé une vie orthodoxe, dans le but de manifester l'universalité de l'Orthodoxie et de se réapproprier un héritage culturel détruit par la Papauté. Je ne crois pas du tout souhaitable, cependant, que ces tentatives prennent une trop grande ampleur et qu'elles créent des communautés complètement coupées du rit byzantin qui est le rit universel de l'Orthodoxie. Mais, en revanche, je ne comprends pas du tout pourquoi il faudrait donner une seconde chance au rit du concile de Trente ou au rit de Cranmer.
Il semble que cette démarche ait surtout eu pour effet d'amener dans le sein de l'Eglise des anglicans et des catholiques romains déçus par les réformes liturgiques opérées dans leur confession d'origine, sans qu'on soit pour autant sûr qu'il s'agisse vraiment d'une adhésion à la foi et à la vie spirituelle orthodoxes.
En avril 1996, un journal orthodoxe diocésain étasunien, les
Diocesan News for Clergy and Laity du diocèse orthodoxe grec de Denver, avaient publié une encyclique de feu l'évêque Antoine (Yeryannakis) de San Francisco (Archevêché d'Amérique du patriarcat oecuménique), qui contenait des mises en garde à propos des rites occidentaux qui me semblent dignes d'être reproduites ici:
"His Grace Bishop Anthony makes clear that while we accept the priests and lay people of these parishes as fully Orthodox we are to avoid any activity which would tend to imply an agreement with the formation of such parishes.
The reason for this disagreement is twofold: it is both liturgically unsound and pastorally unwise.
Liturgically unsound because these rites are not in direct continuity with the worship of the early Church in the West, but are primarily the result of the 16th century Reformation or Counter Reformation debates; pastorally unwise because this adds still further to our fragmentation as a Church in the Americas and creates a tiny group of missions and parishes that are liturgically isolated from the rest of the Church."
Ma traduction:
"Son Eminence l'Evêque Antoine explique que, si nous considérons comme pleinement orthodoxes les prêtres et les laïcs de ces paroisses, nous devons éviter toute activité qui laisserait entendre que nous serions en accord avec la formation de telles paroisses.
Il y a deux raisons à cette désapprobation. La formation de ces paroisses est en effet à la fois mal fondée sur le plan liturgique et pas judicieuse sur le plan pastoral.
Sur le plan liturgique, ces rits ne sont pas en continuité directe avec le culte de l'Eglise ancienne en Occident, mais ils sont en première ligne le résultat des débats sur la Réforme et la Contre-Réforme au XVIème siècle.
Sur le plan pastoral, la formation de ces paroisses aggrave encore la fragmentation de l'Eglise dans les Amériques et aboutit à la création d'un minuscule groupe de missions et de parosses que leur liturgie isole du reste de l'Eglise."
Ce qui vaut pour des activités qui se déploient au sein du patriarcat d'Antioche, du patriarcat de Moscou ou de l'Eglise russe hors frontières vaut encore plus, à mon avis, pour des communautés dont nous ne connaissons pas l'origine, qui ne semblent avoir aucun lien avec la foi et la vie spirituelle orthodoxes et qui se trouvent sous le chapeau d'un synode qui n'a pas de relations avec le reste de l'Orthodoxie.