Publié : ven. 10 mars 2006 18:45
par Anne Geneviève
Tout ce qui suit est une citation :
Vlassios I. Pheidas
DROIT CANON - Une Perspective Orthodoxe
ANALECTA CHAMBESIANA 1 - Institut de Théologie Orthodoxe d'Etudes Supérieures. Centre Orthodoxe du Patriarcat Oecuménique Chambésy, Genève 1998.
I. SOURCES, CONTENU ET ESPRIT DU DROIT CANON
3. Les Collections canoniques et la législation civile
b) Les Collections canoniques
La Sainte Ecriture (Ancien et Nouveau Testament), la Tradition sacrée (patristique, liturgique, sacramentelle, conciliaire, coutumière, etc.) et les saints canons constituent donc la source inépuisable et le critère diachronique pour la manifestation historique de la conscience ecclésiale à chaque lieu et à chaque époque. Cependant, alors que la Sainte Ecriture et la Tradition sacrée déterminent surtout la source inépuisable, les saints canons présentent surtout le critère diachronique pour la fonction authentique de la conscience ecclésiale lors de l'adaptation du message chrétien aux besoins spirituels changeants de chaque époque. Les saints canons des Conciles œcuméniques et ceux parmi les Conciles locaux, qui ont été ratifiés par un Concile œcuménique, ont acquis force de loi, à savoir le caractère coercitif (obligatoire, impératif) des principes de droit, applicable non seulement à la constitution et au bon fonctionnement de chaque corps ecclésial local, mais aussi aux relations entre les Eglises locales à travers le monde.
Dans ce sens, les Conciles œcuméniques et les principaux Conciles locaux communiquent directement ou indirectement aux Eglises locales toutes leurs décisions relatives à la fois à des questions de foi et à des problèmes d'ordre canonique qui préoccupent un certain nombre d'Eglises locales: par exemple, durant les trois premiers siècles, les questions concernant les hérésies (Gnosticisme, Montanisme etc.), les renégats (lapsi) durant les persécutions, la célébration commune de Pâques etc. Les Eglises locales, outre les livres de la Sainte Ecriture et les ouvrages des Pères de 1'Eglise (traités contre les hérésies, lettres etc.), accordent une grande importance aux décisions conciliaires; elles les considèrent comme des critères pour certifier la communion de foi et le lien de charité entre les Eglises locales et qu'elles les réunissent dans des Collections séparées contenant des documents conciliaires. Cette pratique ecclésiastique bien compréhensible, tirée de la littérature ecclésiastique tout entière des trois premiers siècles, se généralise à partir du 1er Concile œcuménique (325).
En effet, les décisions tant dogmatiques que canoniques deviennent obligatoires pour toutes les Eglises locales à travers le monde et imposent de régler, par voie conciliaire, les questions ecclésiastiques à la fois au niveau local (Synode de la province), et à l'échelon universel (Concile œcuménique). Cette nécessité devient encore plus impérieuse lorsque le corps ecclésial se divise entre partisans et détracteurs du 1er Concile œcuménique au cours des querelles ariennes (325-381), durant lesquelles les deux adversaires réunissent successivement leurs adeptes en plusieurs assemblées conciliaires pour exposer leurs positions ou leurs propositions. Le dossier réunissant des documents ecclésiastiques d'origine diverse de chaque Eglise locale se constitue au fur et à mesure et forme une Collection importante (Synagogé) de documents conciliaires qui servent à chacun des opposants à défendre ses positions ou ses propositions. Dans ce sens, au IVe siècle, on connaît le "Synodikon" de l'Eglise d'Alexandrie, attribué à saint Athanase (Synodikon de saint Athanase), ainsi que la "Synagogé de Conciles " du métropolite arianisant Sabinus d'Héraclée de Thrace pour les conciles des arianisants. D'autres Eglises locales, du moins les plus importantes, possèdent de pareilles Collections des décisions conciliaires, comme cela ressort du débat en la matière au cours du Concile de Carthage (419).
Ainsi, ce concile n'accepte pas le Synodique de l'Eglise de Rome sur les décisions canoniques du 1er Concile œcuménique de Nicée (325), parce qu'on a remarqué que le légat romain au synode invoquait des canons qui n'existaient pas parmi les canons de Nicée figurant dans le Synodique de l'Eglise de Carthage: "... c'est qu'en examinant les copies grecques de ce Concile de Nicée nous n'avons pu, je ne sais pour quelle raison, y trouver ce texte... Nous n 'avons point trouvé ce que Faustin, notre frère, a exposé ". Il s'agit des canons 3, 4 et 5 du Concile de Sardique (343) qui ont été ajoutés dans le Synodique de l'Eglise de Rome aux canons du 1er Concile œcuménique de Nicée. C'est pourquoi le concile prend unanimement la décision de demander à l'Eglise de Constantinople le "texte authentique"des décisions canoniques du Concile de Nicée, puisqu'on dit que le texte authentique du Concile de Nicée se trouve à Constantinople ", "mais aussi aux vénérables évêques d 'Alexandrie et d'Antioche, afin qu'ils nous envoient le texte de ce Concile accompagné de l'attestation de leur main, en sorte que toute contestation ultérieure soit évitée... ". Au IVe Concile œcuménique (451), l'archidiacre Aetius cite une collection des canons, qu'il nomme Synodicon. Il est donc clair, que les "textes authentiques" se trouvaient dans les Synodiques des Eglises de Rome, de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche, de Carthage et des autres grandes Eglises locales de l'époque.
Cependant, l'Eglise n'exclue pas même la législation impériale dans les matières ecclésiastiques ou mixtes, quand celle-ci est plus ou moins favorable à l'Eglise: le XVIe livre du Code théodosien est entièrement consacré aux matières ecclésiastiques, ainsi qu'un nombre considérable des Novelles de Justinien. Ainsi, la coordination des deux législations parallèles devient inévitable. La reconnaissance par l'Etat de la supériorité de l'autorité des canons vis-à-vis de la législation civile, en cas de conflit des lois - reconnaissance établie par les Novelles VI,CIX,CXXXI et le reste de la législation promulguée par Justinien 1er (527-565) - rend nécessaire, d'une part, la collection officielle des canons conciliaires établis, d'autre part, l'harmonisation systématique des questions communes de la tradition canonique et de la législation civile. Le fameux ouvrage du juriste éminent, originaire d'Antioche et patriarche de Constantinople, Jean ÉÉÉ le Scholastique (562-577), intitulé "Synagogé des canons ecclésiastiques en 50 titres ", répond au premier besoin et devient une source fondamentale pour toutes les Collections postérieures d'Orient et pour les traductions latines d'Occident, comme la première traduction systématique latine des canons par Denys le Petit. Au second besoin répondent les Nomocanons qui s'efforcent d'harmoniser par matières les ordonnances de la tradition canonique et de la législation de Justinien.
La "Collectio LXXXVII capitulorum" de Jean le Scholastique codifie les ordonnances des Novelles de Justinien, alors que la "Collectio Tripartita" codifie thématiquement les ordonnances des Digestae, du Codex J. et des Novelles de Justinien. De la synthèse de ces ouvrages avec la Synagogè de Jean le Scholastique est issu le "Nomocanon en 50 titres", qui, à son tour, donne issu au "Nomocanon en 14 titres ", plus systématique. Ce dernier, bien qu'il fût élaboré au VIIe siècle, est attribué au patriarche Photius de Constantinople, car celui-ci participa à une nouvelle élaboration au É×e siècle, alors qu'une élaboration encore plus récente est entreprise par le patriarche d'Antioche et canoniste Théodore Balsamon au cours des dernières décennies du XIIe siècle. De cette époque (VIIe siècle) datent aussi bien la Synopse, qui donne en abrégé le texte des canons, que le Nomocanon de Jean le Jeûneur, qui règle plutôt des questions pénitentielles. Le Nomocanon en 14 titres, la Synagogè de Jean le Scholastique, et la Synopse passent à tous les peuples orthodoxes (Russes, Serbes, Bulgares, Roumains etc.), qui reçoivent la foi chrétienne par la mission byzantine. Ces collections byzantines sont à la base de la compilation russe (Kormtchaia Kniga) et des compilations roumaines (Pravila, mica ; Codes de Basile le Loup et de Matthieu Bassarabe) etc.
Des Commentaires contenant des interprétations des canons des Conciles œcuméniques et locaux, réunis au cours des huit premiers siècles sont rédigés, au XIIe siècle, par les juristes et canonistes éminents Jean Zonaras, Théodore Balsamon et Alexios Aristinos, qui ont mis à contribution la tradition canonique établie jusqu'au XIIesiècle et la législation civile afférente pour fournir des Commentaires systématiques des canons et réfuter les interprétations arbitraires ou abusives, avancées par les dignitaires de l'Eglise ou de l'Etat.
Alexios Aristinos fait un excellent commentaire de la Synopse du VIIe siècle, alors que Théodore Balsamon élabore un commentaire au Nomocanon en 14 titres et ses Responsa aux questions canoniques du patriarche Marc d'Alexandrie. Le grand juge Constantin Harmenopoulos (XIVe siècle) élabore une Epitomé des saints canons et la célèbre collection des lois civiles en six livres (Hexabiblos), qui exerce une influence frappante sur tous les peuples orthodoxes jusqu'au ×É×e siècle. L'ouvrage intitulé "Constitution par élément" (Syntagma kata stoikheion) de l'érudit et canoniste illustre Matthieu Vlastaris présente une originalité significative dans organisation de la matière des canons. L'ouvrage, rédigé à Thessalonique au cours des premières décennies du XIVe siècle, suit 1'ordre alphabétique pour organiser la thématique et exploite avec succès le Nomocanon en 14 titres, les commentateurs plus anciens du Nomocanon et des canons et la littérature nomocanonique antérieure.
Durant la période post-byzantine le fameux Nomocanon du notaire du diocèse métropolitain de Thèbes Manuel Malaxos (XVIe siècle), rédigé en langage soutenu (580 chapitres) et en version vulgarisée connaît une grande publicité aux temps difficiles de l'occupation ottomane. Cependant, pour la tradition canonique de la période post-byzantine, c'est le "Pédalion " ouvrage célèbre des moines Nicodème et Agapios qui est, comme nous le verrons, l'œuvre la plus importante (XVIIIe siècle). Il tente de dégager la tradition canonique en se basant sur un examen critique de la tradition manuscrite des saints canons, de l'interprétation de leur contenu et de leur justification théologique dans le contexte de la tradition patristique (Vl. J. Phidas, Byzance, Athènes 19974, p. 218-235).
I. SOURCES, CONTENU ET ESPRIT DU DROIT CANON
2. Les canons et leur contenu
Le terme "canon" signifie ce que l'Eglise a décrété de manière authentique en l'Esprit Saint - dans les Conciles œcuméniques ou locaux ou encore par ses Pères éminents. Ce faisant elle élabore au cours du temps les principes inaliénables de la révélation en Christ. En outre, elle garantit, d'une part, la pérennité de l'essence du mystère de l'Eglise, en dépit des changements extérieurs dus aux nécessités historiques, d'autre part, la sauvegarde et l'appropriation inaltérables par les fidèles du message du salut en Christ, en dépit de la diversité des formes historiques que ce message ait revêtues.
Dans la tradition canonique officielle et d'autorité universelle sont contenus les canons suivants des Conciles œcuméniques, à savoir: 20 du 1er concile à Nicée (325), 7 du IIe concile à Constantinople (381), 8 du IIIe concile à Ephèse (431 ), 29 du IVe concile à Chalcédoine (451 ), 102 du concile Quinisexte in Trullo (691 ) et 22 du VIIe concile à Nicée (787). Le concile Quinisexte approuva les canons suivants de Conciles locaux, à savoir: 85 canons Apostoliques, 25 d'Ancyre (314), 15 de Néocésarée (314), 25 d'Antioche (341), 21 de Sardique (343), 21 de Gangres (après 340), 60 de Laodicée (entre 343 et 380), 1 de Constantinople (394), 133 de Carthage (419). On peut y ajouter les 17 canons du concile Prime-Second à Constantinople (861), ainsi que les 3 canons du concile réuni aussi à Constantinople en 879/880.
Certains extraits d'ouvrages ou de lettres de Pères éminents de l'Eglise ont acquis une autorité semblable à celle des canons des conciles locaux par 1'approbation du concile Quinisexte, à savoir: 4 de Denys d'Alexandrie (+ 364) tirés de la lettre à Basilide de Pentapole; 11 de Grégoire de Néocésarée (+ 270 environ) tirés de la lettre "au sujet de ceux qui ont mangé des mets sacrificiels ou bien commis d'autres délits pendant l'incursion des barbares "; 15 de Pierre d'Alexandrie (+ 311) tirés du discours "sur la pénitence"; 3 d'Athanase d'Alexandrie (+ 373) tirés de ses lettres adressées "Au moine Ammoun ", "Extrait de la 39e lettre pascale " et "Á Rufénien évêque "; 92 de Basile le Grand (+ 379) dont les 86 premiers tirés des lettres adressées à Amphiloque évêque d'Iconium, le 87ème tiré de 1á lettre adressée à Diodore évêque de Tarse, le 88ème tiré de la lettre adressée à Parégorios prêtre, les 89ème et 90ème tirés de la lettre adressée aux chorévêques et à ses évêques suffragants et les 91ème et 92ème tirés de son traité du Saint Esprit; 18 de Timothée d'Alexandrie (+385); 1 de Grégoire le Théologien (+ 390) en 34 vers (Sur la nécessité de lire des livres de l'Ancien Testament), 8 de Grégoire de Nysse (+ 394) tirés de la lettre canonique à Letoius évêque de Mélitène; 1 d'Amphiloque d'Iconium sur les livres de l'Ancien Testament en 60 vers ("Des livres inspirés"); 14 de Théophile d'Alexandrie (+412); 5 de Cyrille d'Alexandrie (+ 444); 1 Lettre encyclique de Gennade de Constantinople (458/9) "qu'il ne faut pas ordonner contre de l'argent" (simonie) qui exprime le canon 7 du ÉÉ concile œcuménique etc. Ainsi, le canon 2 du Concile Quinisexte (691 ) décrète:
Ce saint concile á pris aussi la décision très belle et très importante, que resteront désormais sûrs et confirmés pour le salut des âmes et la guérison des passions les 85 canons reçus et confirmés par les saints et bienheureux pères qui nous ont précédés, et transmis à nous aussi sous le nom des saints et glorieux apôtres. Mais comme dans ces canons il est ordonné de recevoir aussi les Constitutions des mêmes saints apôtres rédigées par Clément, dans lesquelles jadis les hérétiques ont interpolé au dam de l'Eglise des choses fausses et étrangères à la vraie foi, qui ont terni la noble beauté des vérités divines, nous avons décidé de rejeter, comme il convenait de le faire, ces mêmes Constitutions pour l'édification et la sécurité du peuple très chrétien, en désapprouvant absolument les élucubrations des mensonges hérétiques et nous appuyant sur le pur et complet enseignement des apôtres.
Nous confirmons aussi tous les autres saints canons, qu'édictèrent nos saints et bienheureux pères, c'est-à-dire, les trois cent dix- huit saints pères réunis à Nicée, ceux d'Ancyre, de plus ceux de Néocésarée, de même ceux de Gangres, de plus ceux d'Antioche de Syrie, et aussi ceux de Laodicée de Phrygie; de plus, les cent cinquante pères, qui se sont réunis dans cette ville impériale gardée de Dieu et les deux cents, rassemblés la première fois à Ephèse, et les six cent trente saints et bienheureux pères de Chalcédoine; de même ceux de Sardique, de plus ceux de Carthage, et aussi ceux qui de nouveau se sont réunis dans cette ville impériale gardée de Dieu sous Nectaire évêque de cette ville impériale et Théophile feu l'archevêque d'Alexandrie.
Mais aussi les canons de Denys qui fut archevêque de la grande ville d'Alexandrie et de Pierre qui fut archevêque d 'Alexandrie et martyr, de Grégoire le thaumaturge, qui fut évêque de Néocésarée, d'Athanase archevêque d'Alexandrie, de Basile archevêque de Césarée en Cappadoce, de Grégoire évêque de Nysse, de Grégoire le théologien, d'Amphiloque d'Iconium, de Timothée le premier qui fut archevêque d'Alexandrie, de Théophile archevêque de la même grande ville d 'Alexandrie, de Cyrille archevêque de la même Alexandrie et de Gennade qui fut patriarche de cette ville impériale gardée de Dieu; de plus, le canon édicté par Cyprien, qui fut archevêque du pays de l'Afrique, et par son synode, canon qui resta en vigueur selon la tradition dans les territoires seuls de ces évêques.
Il n'est permis à personne de falsifier les canons énumérés plus haut, ou de les déclarer nuls ou d'admettre d 'autres canons que ceux- là, composés en contrefaçon par ceux qui ont essayé d'exploiter la vérité. Si quelqu'un est convaincu d'innover à propos de quelque canon ou d'essayer de le tourner, il aura à répondre de ce même canon, soumis à la peine que ce canon impose et guéri par ce canon même contre lequel il á péché ".
Les thèmes principaux de la tradition canonique officielle de l'Eglise pourraient être classés aux unités suivantes:
a) réception du sacerdoce par ordination sacramentelle canonique,
b) perte du sacerdoce en raison de certains délits canoniques graves prononcée par des organes synodaux compétents,
c) organisation administrative de l'Eglise locale,
d) fonction canonique des formes locales du système synodal,
e) condamnation pour hérésie et schisme, et définition des peines et des voies pour réintégrer au sein de l'Eglise des hérétiques et des schismatiques repentis,
f) définition des relations canoniques des évêques entre eux et avec les Eglises locales relevant de leur autorité,
g) nécessité pour la hiérarchie et les fidèles de mener une vie sacramentelle et morale rigoureuses, etc.
Les décisions conciliaires prises sur ces questions ne l'ont pas été pour légiférer á priori sur des questions qui pourraient se poser à l'avenir, mais pour résoudre des problèmes réels, auxquels chaque époque était confrontée en raison d'une mauvaise ou partielle compréhension du contenu de la révélation en Christ ou même du mystère de l'Eglise. Dans ce sens, les canons non seulement constituent des sources authentiques de l'histoire de 1'Eglise, mais découlent directement de la vie historique de celle-ci. C'est donc dans la vie de l'Eglise que doivent être recherchées les causes ecclésiastiques qui ont suscité leur adoption et qui doit préciser la véritable volonté ou l'esprit de chaque canon. Il est donc évident qu'en dissociant le contenu spécifique des canons de leur contexte historique, il serait difficile, sinon impossible, de trouver la réelle volonté de nombreux canons et du message que l'Eglise voulait mettre en relief au moyen de ces canons. Il est cependant impossible d'identifier les causes historiques d'élaboration des canons par les Conciles œcuméniques et locaux exclusivement avec la nature ou l'essence de l'Eglise, ou interpréter les canons comme une simple opération théorique du pouvoir législatif de droit divin pour exposer systématiquement le contenu du salut en Christ.
Les canons ne sont, ni ne doivent être, conformément a la mission de l'Eglise, ni ne veulent, ni ne peuvent être, selon la conscience ecclésiale universelle, une législation définitive ou exhaustive de l'Eglise pour constituer un système complet de droit interne sur la base de la révélation en Christ. Certes, les canons manifestent l'esprit du droit divin, mais ne rendent pas la plénitude de son contenu. Ils ne le couvrent pas entièrement, puisque leur constitution en matière est fondée sur les diverses nécessités et formes historiques de la vie de l'Eglise, qui est indubitablement une marche non statique mais dynamique vers l'accomplissement eschatologique du Royaume de Dieu. Il faut donc considérer comme indiscutable le fait que chaque canon ait sa propre genèse historique, dictée, pour chacun d'eux, par des causes historiques spécifiques et par la vie historique de l'Eglise. Le contexte historique des canons n'est pas uniquement et simplement dû au fait que ceux-ci sont formulés par une instance compétente, synodale ou non, de l'Eglise à une époque donnée, mais aussi au contenu historique lui-même ou à leur structure d'ensemble.
En effet, leur caractère historique est intimement lié non seulement au temps et au lieu de leur élaboration, mais aussi aux causes ecclésiastiques qui ont suscité cette adoption, à la terminologie spécifique ou la formulation linguistique du temps de leur adoption et aux conditions existantes locales, socio-politiques ou même ecclésiastiques en général. Néanmoins, il existe une différenciation significative quant à la thématique et l'autorité entre les canons des Conciles œcuméniques et ceux des Conciles locaux. Ceci dit, l'élément historique indéniable est commun et il est dû au fait que presque tous les canons ont été édictés par l'Eglise au sein de Conciles œcuméniques ou locaux pour faire face à des questions ecclésiastiques d'ordre général ou pour remédier à des déviations constatées localement ou pour adapter universellement certaines institutions administratives aux nouvelles conditions ecclésiastiques et même politiques.
II. I. SOURCES, CONTENU ET ESPRIT DU DROIT CANON
3. Les Collections canoniques et la législation civile
a) Les relations entre l'Eglise et l'Etat
L'Eglise et l'Etat sont deux sociétés parfaites, qui ont chacune sa propre fin, ses moyens distincts pour réaliser celle-ci et son indépendance constitutionnelle. L'Eglise est une institution d'ordre surnaturel, alors que l'Etat est une institution d'ordre naturel. La première est d'origine divine et se manifeste dans le monde comme une prolongation du Corps du Christ, dont tous les chrétiens deviennent membres par la participation à la vie sacramentelle de chaque Eglise locale, tandis que le second est d'origine civile et se fonde sur la nécessité sociale de l'homme, qui ne peut vivre autrement qu'en société et ne peut atteindre sa fin naturelle sans appartenir à une institution civile. La mission principale de l'Eglise est de manifester la volonté de Dieu dans le monde et de servir le salut de la personne humaine, en employant l'autorité reçue de son fondateur, Jésus Christ, et des moyens conformes à sa mission spirituelle. La mission de 1'Etat est d'assurer le bien commun de ses citoyens en leur garantissant la jouissance pacifique de leurs droits et en leur procurant des moyens nécessaires de réaliser leur bonheur terrestre.
Cependant, "la société politique n'a qu'une fonction de gouvernement, une fonction éducatrice; l'Eglise, elle, a une fonction maternelle de génération. C'est que la société civile n'a pas à constituer ses sujets: elle les trouve et les prend tels quels pour les aider à vivre en hommes; mais ils ont sans elle l'existence et la possession de leurs puissances d'homme. La société surnaturelle, au contraire, doit d'abord donner l'être et le pouvoir d'agir aux fils qu'elle engendre à
Dieu et à la vie selon Dieu: avant de les régir au nom du Christ dans ce royaume qu'elle commence d'être ici-bas, elle doit leur donner le jour, par cette nouvelle naissance de l'eau et de l'Esprit (Jn 3,5) dont le mystère et le sacrement résident en elle" (Y. Congar, Sainte Eglise, Paris 1964, p. 208).
Toutefois, les chrétiens sont simultanément membres de l'Eglise et sujets de l'Etat et c'est pourquoi ils doivent se soumettre à la fois à l'autorité de l'Eglise et à celle de l'Etat. Cette double dépendance des chrétiens explique leur soumission à l'autorité à la fois du pouvoir ecclésiastique et du pouvoir civil, malgré la distinction arbitraire entre le "bien des âmes ", qui est au centre de la mission spirituelle de l'Eglise, et le "bien du corps ", qui est une préoccupation de la tâche de l'Etat. Cette distinction est qualifiée d'arbitraire, parce qu'aussi bien l'Eglise que l'Etat s'occupent simultanément de l'être humain tout entier, corps et âme, qui en sont les composantes fondamentales. C'est dans cet esprit que l'écrivain inconnu de la lettre à Diognète (début du ÉÉÉe siècle) interprète la position des chrétiens, dés les premiers siècles, sur cette expérience mystagogique aussi bien de l'affirmation et du dépassement des diverses divisions et distinctions du monde:
"Car les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements... Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun; ils se conforment aux usages locaux... tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle... Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s'acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère... Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l'emporte en perfection sur les lois... En un mot, ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L'âme est répandue dans tous les membres du corps comme les chrétiens dans les cités du monde. L'âme habite dans le corps et pourtant elle n'est pas du corps, comme les chrétiens habitent dans le monde mais ne sont pas du monde... L'âme est enfermée dans le corps: c'est elle pourtant qui maintient le corps... " (chap. V-VI).
Cette conscience claire des premiers chrétiens sur la relation entre l'Eglise et le monde découle de 1'enseignement de l'Ecriture Sainte et est développée de manière frappante dans la tradition patristique de l'Orient et de l'Occident dés les premiers siècles. Elle précise à un degré plus ou moins grand la dialectique historique sur le rapport entre l'Eglise et l'Etat, que ce dernier ait une structure nationale ou qu'il exprime une vision politique plus vaste. Cependant, durant les trois premiers siècles, l'autorité étatique ne reconnaît pas la légitimité d'existence de l'Eglise chrétienne dans le corps de l'empire romain. C'est pourquoi elle la persécute, la tolère parfois, mais ne l'aide jamais. Toutefois, à partir de 313, les empereurs romains favorisent l'Eglise, convoquent des Conciles œcuméniques et locaux et légifèrent pour des affaires ecclésiastiques; ils se considèrent comme "des évêques du dehors, assumant la responsabilité de veiller à la discipline interne ".
Le Code théodosien (438) contient plusieurs décrets sur les affaires ecclésiastiques (XVI livre), tandis que Justinien 1er (527-565) développe systématiquement dans son Code et dans toute son œuvre législative (Corpus juris civilis) une tendance de coordination de la législation civile avec le droit canon de l'Eglise (les droits et les devoirs du clergé et des moines, l'administration des biens de l'Eglise et des monastères, etc.). Plusieurs de ses successeurs à l'autorité impériale suivent son exemple (Eclogè des Isauriens, le Procheiros Nomos, l'Epanagogè et les Basiliques de 1a dynastie des Macédoniens, les Novelles de plusieurs empereurs byzantins). Dans ce sens, la théologie politique de l'Eglise est reflétée dans les documents institutionnels fondamentaux de la période byzantine sur les rapports entre l'Eglise et l'Etat. La Novelle VI (535) promulguée par Justinien définit avec clarté ce cadre institutionnel qui influença la théorie politique jusqu'aux temps modernes:- "Il existe chez les hommes deux grands dons de Dieu dispensés d'en haut par la miséricorde: le sacerdoce et la royauté; le premier (= le pouvoir sacerdotal) sert le sacré, l'autre (= le pouvoir royal) gouverne et s'occupe des choses humaines... Si le premier est irréprochable à tous égards et participe à la fidélité due à Dieu, et si le second honore l'office qui lui á été confié, il y aura entre les deux un bon accord et donnera au genre humain tout ce qui est bon... Tout sera bien si les saints canons sont observés... .
Cependant, l'empereur Justinien est considéré tant en Occident qu'en Orient comme un de grands patrons du césaro-papisme, en raison de sa législation en matière ecclésiastique. En fait, il ne fond aucun césaro-papisme, puisqu'en conférant aux canons une autorité légale, ce n'est pas pour l'Eglise qu'il légifère, mais, au contraire, pour l'Etat, car la tradition canonique n'est nullement altérée ni touchée par son insertion dans les Novelles impériales. L'empereur- théologien n'innove en rien la tradition canonique, qui garde son autonomie dans la vie de l'Eglise, mais il croit très utile de la rendre obligatoire même pour les autorités civiles. Le principe de "symphonie " comme norme des relations entre l'Eglise et l'Etat, âme et corps d'un même organisme, met fin aux tentatives antérieures de soumettre l'Eglise à l'Etat (Vl. J. Phidas, L'institution de la Pentarchie des patriarches. Problèmes historico-canoniques concernant l'exercice de l'institution de la Pentarchie des patriarches (451- 553), Athènes 1970 (en grec), p. 161-178). Dans ce contexte, l'Epánagogé ou Introduction à la loi (É×e siècle) réaffirme cette base constitutionnelle des rapports entre l'Etat et l'Eglise: "L'Etat est constitué de parties et de membres, analogues à ceux de l'homme, dont les parties les plus grandes et les plus nécessaires sont le roi et le patriarche; donc la paix et le bonheur de l'âme et du corps des citoyens sont la conformité d'avis et l'accord en tout entre la royauté et le sacerdoce ".
L'esprit de cette dialectique est sous-jacent à tous les remous ou les confrontations historiques postérieures entre Etat et Eglise, visant à tracer un contexte institutionnel de coopération admissible pour la prospérité et le progrès spirituel des peuples chrétiens à travers le monde jusqu'à notre époque, bien entendu, où celui-ci fut contesté du point de vue théorique ou idéologique. Les prémisses théoriques traditionnelles et leurs multiples applications au cours de l'histoire ont établi - dans le contexte du fonctionnement théocentrique ou même sécularisé des idées politiques - une pratique stable de relations internationales entre peuples chrétiens. Le réalisme social de la foi chrétienne quant à la spiritualité personnelle de chaque citoyen et quant à la fonction institutionnelle de l'Etat détermine à toutes les époques les perspectives de l'autorité étatique dans ses rapports avec les nationalités et dans ses relations internationales.
L'influence incontestable - qu'exerce la conception ordonnée du christianisme à l'égard du monde et de la vie, englobant tous les domaines de la vie publique et privée des chrétiens - découle de l'enseignement sur la force salvatrice de l'intégration des fidèles au corps unique de l'Eglise, qui se réalise tout entier dans chaque lieu et qui se nourrit de la confession de foi et de l'expérience mystique communes. C'est ainsi qu'à partir du IVe siècle, la législation ecclésiastique s'harmonise avec la législation de l'empire romain, étant donné que le christianisme devient finalement la religion officielle du monde gréco-romain tant d'Orient que d'Occident. La convergence des deux législations semble nécessaire pour renforcer la cohésion politique, sociale et spirituelle de la chrétienté (Novelles de Justinien, VI, CIX, CXXXI, etc.).
Les rapports entre l'Eglise et l'Etat sont, on le sait, un sujet particulièrement délicat dans la tradition orthodoxe, qui les situe dans le contexte plus large des rapports de l'Eglise avec le monde. Les principes fondamentaux de la tradition orthodoxe découlent, d'une part, de l'enseignement ecclésiologique relatif à l'Eglise locale, d'autre part, au choix pastoral de l'Eglise de servir la nation dans le contexte de sa mission spirituelle dans le monde. La théologie politique de l'Eglise orthodoxe a été façonnée sur le principe de la nette distinction, du parallélisme et de l'égalité entre l'autorité ecclésiastique et l'autorité civile. Elle a toujours fonctionné, malgré les vicissitudes historiques, en vertu du postula du respect mutuel, de la spécificité et de l'indépendance de leur mission dans le monde. Les principes théoriques de la théologie politique de l'Eglise orthodoxe viennent de son enseignement sur le caractère strictement spirituel de sa mission dans le monde, qui façonne sa propre conscience et détermine son action moyennant le témoignage du plérome orthodoxe.
Certes, la laïcité de l'Etat moderne l'empêche de se montrer sensible au sujet de l'indépendance de la mission spirituelle de l'Eglise. Elle est, en effet, influencée de manière déterminante par les courants anticléricaux ou antireligieux, latents ou manifestes, des divers systèmes idéologiques qui nourrissent le rêve de voir l'Eglise perdre totalement ou partiellement son influence sociale. Les dissensions auxquelles on s'attend dans les rapports entre l'Eglise et 1'Etat sont systématiquement attisées par le milieu de l'idéologie. Elles mettent à l'épreuve l'endurance des institutions ecclésiales face aux mécanismes de l'étatisme tout-puissant. Ce dernier nie ou met en doute non seulement la liberté de l'Eglise, mais encore l'indépendance de sa mission dans la société moderne (Vl. J. Phidas, Byzance, Athènes 19974, p.143-156). La typologie donc traditionnelle de ces rapports (symphonie, césaro-papisme, séparation), qui est le fruit de la théologie politique de l'Eglise a comme fondement la reconnaissance par l'Etat et par l'Eglise du principe des "deux pouvoirs ",l'ecclésiastique et le politique.
Selon ce principe, la question des rapports entre les deux entités se situe dans le contexte des rapports de l'Eglise avec le monde; les "deux pouvoirs" étant reconnus comme émanant de l'autorité divine. Contrairement à cette théorie, la science politique moderne, notamment celle développée aux siècles des Lumières et de l'Idéologie, propose, sur la base du principe de souveraineté populaire, le caractère autonome et primordial de l'autorité ecclésiastique. Ainsi, les rapports entre ces deux pouvoirs, dont chacun tire désormais sa légitimité d'une source différente, se posent sur une nouvelle base dictée habituellement par l'Etat tout-puissant, voire souvent absolutiste. Dans le nouveau cadre, seule l'Eglise continue à se référer aux schémas traditionnels, l'Etat n'acceptant plus comme critère absolu de son pouvoir que la volonté du peuple. Cependant, la foi religieuse est un droit fondamental de tout homme que l'Etat ne peut ignorer malgré ses préférences ou ses choix. Reconnaître ce droit conduit, en dernière analyse, à reconnaître l'identité de fait de l'Eglise qui protège le droit du citoyen de pratiquer sa religion.
Toutefois, l'Eglise doit insister sur ses principes doctrinaux, en cherchant toujours à s'adapter de son mieux aux circonstances réelles et en proposant toujours aux Etats ne fût-ce qu'un minimum d'accord officiel sur les questions mixtes (éducation des jeunes, mariage des chrétiens, état civil des clercs, institutions et biens de l'Eglise, etc.). Ainsi, les rapports entre l'Eglise et l'Etat sont désormais formes non pas sur la base du principe de deux pouvoirs indépendants, mais sur celle du principe de la souveraineté populaire et des droits de l'homme. Il va donc de soi que dans ce nouveau contexte, il n'y a plus de correspondance - théorique ou réelle- entre les positions traditionnelle et moderne, les modèles traditionnels de symphonie ou de séparation étant interprétés uniquement selon le principe de la suprématie de l'Etat. Mais la force de résistance, dont l'Eglise a fait abondamment preuve au cours des siècles, défie les principes de la théorie moderne de la suprématie de l'Etat et pose à nouveau de manière dynamique le problème d'une symphonie et d'une collaboration de facto entre l'Eglise et l'Etat dans l'intérêt du peuple. Dans cet esprit, S.Bulgakov souligne que de nos jours la force de l'Eglise "ne vient pas du dehors ou d'en haut, mais de l'intérieur, de ses bases, du peuple. L'Eglise peut exercer son influence sur l'Etat par le chemin démocratique, mais il s'agit d'une démocratie d'âmes ".
Ce nouvel esprit, qui découle de la laïcité constitutionnelle de l'Etat moderne, peut constituer une base réaliste pour surpasser la confrontation dialectique entre idéologie et religion afin de parvenir à une nouvelle synthèse, dont dépendra le renouveau des structures étatiques. La théologie politique orthodoxe envisage cependant avec sérénité les dissensions ou les crises qui, périodiquement, perturbent les rapports entre l'Etat et l'Eglise. C'est la raison pour laquelle elle n'encourage pas les tendances enthousiastes, d'où qu'elles viennent, prônant la confrontation ouverte ou la séparation d'avec l'autorité étatique. Cette théologie politique est intimement convaincue que César est la croix permanente que l'Eglise doit porter pour accomplir sa mission dans le monde et que les divers systèmes qui règlent ses rapports avec l'Etat ne font que soulager, sans pour autant supprimer, le poids de cette croix. L'Eglise met donc dans la balance le poids de son propre témoignage pour critiquer les structures mêmes de l'étatisme contemporain. L'histoire a démontré la force de résistance de l'Eglise. Au contraire, l'étatisme moderne n'a encore pas fait ses preuves dans l'éventualité d'une confrontation prolongée avec l'Eglise. Á noter que, dans le passé, c'était surtout l'Eglise qui se préoccupait d'entretenir de bons rapports avec l'Etat, tandis que, de nos jours, c'est l'Etat qui en est plutôt soucieux; et cela reste valable pour l'ensemble du monde chrétien...
3. Les Collections canoniques et la législation civile
b) Les Collections canoniques
La Sainte Ecriture (Ancien et Nouveau Testament), la Tradition sacrée (patristique, liturgique, sacramentelle, conciliaire, coutumière, etc.) et les saints canons constituent donc la source inépuisable et le critère diachronique pour la manifestation historique de la conscience ecclésiale à chaque lieu et à chaque époque. Cependant, alors que la Sainte Ecriture et la Tradition sacrée déterminent surtout la source inépuisable, les saints canons présentent surtout le critère diachronique pour la fonction authentique de la conscience ecclésiale lors de l'adaptation du message chrétien aux besoins spirituels changeants de chaque époque. Les saints canons des Conciles œcuméniques et ceux parmi les Conciles locaux, qui ont été ratifiés par un Concile œcuménique, ont acquis force de loi, à savoir le caractère coercitif (obligatoire, impératif) des principes de droit, applicable non seulement à la constitution et au bon fonctionnement de chaque corps ecclésial local, mais aussi aux relations entre les Eglises locales à travers le monde.
Dans ce sens, les Conciles œcuméniques et les principaux Conciles locaux communiquent directement ou indirectement aux Eglises locales toutes leurs décisions relatives à la fois à des questions de foi et à des problèmes d'ordre canonique qui préoccupent un certain nombre d'Eglises locales: par exemple, durant les trois premiers siècles, les questions concernant les hérésies (Gnosticisme, Montanisme etc.), les renégats (lapsi) durant les persécutions, la célébration commune de Pâques etc. Les Eglises locales, outre les livres de la Sainte Ecriture et les ouvrages des Pères de 1'Eglise (traités contre les hérésies, lettres etc.), accordent une grande importance aux décisions conciliaires; elles les considèrent comme des critères pour certifier la communion de foi et le lien de charité entre les Eglises locales et qu'elles les réunissent dans des Collections séparées contenant des documents conciliaires. Cette pratique ecclésiastique bien compréhensible, tirée de la littérature ecclésiastique tout entière des trois premiers siècles, se généralise à partir du 1er Concile œcuménique (325).
En effet, les décisions tant dogmatiques que canoniques deviennent obligatoires pour toutes les Eglises locales à travers le monde et imposent de régler, par voie conciliaire, les questions ecclésiastiques à la fois au niveau local (Synode de la province), et à l'échelon universel (Concile œcuménique). Cette nécessité devient encore plus impérieuse lorsque le corps ecclésial se divise entre partisans et détracteurs du 1er Concile œcuménique au cours des querelles ariennes (325-381), durant lesquelles les deux adversaires réunissent successivement leurs adeptes en plusieurs assemblées conciliaires pour exposer leurs positions ou leurs propositions. Le dossier réunissant des documents ecclésiastiques d'origine diverse de chaque Eglise locale se constitue au fur et à mesure et forme une Collection importante (Synagogé) de documents conciliaires qui servent à chacun des opposants à défendre ses positions ou ses propositions. Dans ce sens, au IVe siècle, on connaît le "Synodikon" de l'Eglise d'Alexandrie, attribué à saint Athanase (Synodikon de saint Athanase), ainsi que la "Synagogé de Conciles " du métropolite arianisant Sabinus d'Héraclée de Thrace pour les conciles des arianisants. D'autres Eglises locales, du moins les plus importantes, possèdent de pareilles Collections des décisions conciliaires, comme cela ressort du débat en la matière au cours du Concile de Carthage (419).
Ainsi, ce concile n'accepte pas le Synodique de l'Eglise de Rome sur les décisions canoniques du 1er Concile œcuménique de Nicée (325), parce qu'on a remarqué que le légat romain au synode invoquait des canons qui n'existaient pas parmi les canons de Nicée figurant dans le Synodique de l'Eglise de Carthage: "... c'est qu'en examinant les copies grecques de ce Concile de Nicée nous n'avons pu, je ne sais pour quelle raison, y trouver ce texte... Nous n 'avons point trouvé ce que Faustin, notre frère, a exposé ". Il s'agit des canons 3, 4 et 5 du Concile de Sardique (343) qui ont été ajoutés dans le Synodique de l'Eglise de Rome aux canons du 1er Concile œcuménique de Nicée. C'est pourquoi le concile prend unanimement la décision de demander à l'Eglise de Constantinople le "texte authentique"des décisions canoniques du Concile de Nicée, puisqu'on dit que le texte authentique du Concile de Nicée se trouve à Constantinople ", "mais aussi aux vénérables évêques d 'Alexandrie et d'Antioche, afin qu'ils nous envoient le texte de ce Concile accompagné de l'attestation de leur main, en sorte que toute contestation ultérieure soit évitée... ". Au IVe Concile œcuménique (451), l'archidiacre Aetius cite une collection des canons, qu'il nomme Synodicon. Il est donc clair, que les "textes authentiques" se trouvaient dans les Synodiques des Eglises de Rome, de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche, de Carthage et des autres grandes Eglises locales de époque
Cependant, l'Eglise n'exclue pas même la législation impériale dans les matières ecclésiastiques ou mixtes, quand celle-ci est plus ou moins favorable à l'Eglise: le XVIe livre du Code théodosien est entièrement consacré aux matières ecclésiastiques, ainsi qu'un nombre considérable des Novelles de Justinien. Ainsi, la coordination des deux législations parallèles devient inévitable La reconnaissance par l'Etat de la supériorité de l'autorité des canons vis-à-vis de la législation civile, en cas de conflit des lois - reconnaissance établie par les Novelles VI,CIX,CXXXI et le reste de la législation promulguée par Justinien 1er (527-565) - rend nécessaire, d'une part, la collection officielle des canons conciliaires établis, d'autre part, l'harmonisation systématique des questions communes de la tradition canonique et de la législation civile. Le fameux ouvrage du juriste éminent, originaire d'Antioche et patriarche de Constantinople, Jean ÉÉÉ le Scholastique (562-577), intitulé "Synagogé des canons ecclésiastiques en 50 titres ", répond au premier besoin et devient une source fondamentale pour toutes les Collections postérieures d'Orient et pour les traductions latines d'Occident, comme la première traduction systématique latine des canons par Denys le Petit. Au second besoin répondent les Nomocanons qui s'efforcent d'harmoniser par matières les ordonnances de la tradition canonique et de la législation de Justinien.
La "Collectio LXXXVII capitulorum" de Jean le Scholastique codifie les ordonnances des Novelles de Justinien, alors que la "Collectio Tripartita" codifie thématiquement les ordonnances des Digestae, du Codex J. et des Novelles de Justinien. De la synthèse de ces ouvrages avec la Synagogè de Jean le Scholastique est issu le "Nomocanon en 50 titres", qui, à son tour, donne issu au "Nomocanon en 14 titres ", plus systématique. Ce dernier, bien qu'il fût élaboré au VIIe siècle, est attribué au patriarche Photius de Constantinople, car celui-ci participa à une nouvelle élaboration au É×e siècle, alors qu'une élaboration encore plus récente est entreprise par le patriarche d'Antioche et canoniste Théodore Balsamon au cours des dernières décennies du XIIesiècle. De cette époque (VIIe siècle) datent aussi bien la Synopse, qui donne en abrégé le texte des canons, que le Nomocanon de Jean le Jeûneur, qui règle plutôt des questions pénitentielles. Le Nomocanon en 14 titres, la Synagogè de Jean le Scholastique, et la Synopse passent à tous les peuples orthodoxes (Russes, Serbes, Bulgares, Roumains etc.), qui reçoivent la foi chrétienne par la mission byzantine. Ces collections byzantines sont à la base de la compilation russe (Kormtchaia Kniga) et des compilations roumaines (Pravila, mica; Codes de Basile le Loup et de Matthieu Bassarabe) etc.
Des Commentaires contenant des interprétations des canons des Conciles œcuméniques et locaux, réunis au cours des huit premiers siècles sont rédigés, au XIIesiècle, par les juristes et canonistes éminents Jean Zonaras, Théodore Balsamon et Alexios Aristinos, qui ont mis à contribution la tradition canonique établie jusqu'au XIIesiècle et la législation civile afférente pour fournir des Commentaires systématiques des canons et réfuter les interprétations arbitraires ou abusives, avancées par les dignitaires de l'Eglise ou de l'Etat.
Alexios Aristinos fait un excellent commentaire de la Synopse du VIIe siècle, alors que Théodore Balsamon élabore un commentaire au Nomocanon en 14 titres et ses Responsa aux questions canoniques du patriarche Marc d'Alexandrie. Le grand juge Constantin Harmenopoulos (XIVe siècle) élabore une Epitomé des saints canons et la célèbre collection des lois civiles en six livres (Hexabiblos), qui exerce une influence frappante sur tous les peuples orthodoxes jusqu'au ×É×e siècle. L'ouvrage intitulé "Constitution par élément" (Syntagma kata stoikheion) de l'érudit et canoniste illustre Matthieu Vlastaris présente une originalité significative dans organisation de la matière des canons. L'ouvrage, rédigé à Thessalonique au cours des premières décennies du XIVe siècle, suit 1'ordre alphabétique pour organiser la thématique et exploite avec succès le Nomocanon en 14 titres, les commentateurs plus anciens du Nomocanon et des canons et la littérature nomocanonique antérieure.
Durant la période post-byzantine le fameux Nomocanon du notaire du diocèse métropolitain de Thèbes Manuel Malaxos (XVIe siècle), rédigé en langage soutenu (580 chapitres) et en version vulgarisée connaît une grande publicité aux temps difficiles de l'occupation ottomane. Cependant, pour la tradition canonique de la période post-byzantine, c'est le "Pédalion " ouvrage célèbre des moines Nicodème et Agapios qui est, comme nous le verrons, l'œuvre la plus importante (XVIIIe siècle). Il tente de dégager la tradition canonique en se basant sur un examen critique de la tradition manuscrite des saints canons, de l'interprétation de leur contenu et de leur justification théologique dans le contexte de la tradition patristique (Vl. J. Phidas, Byzance, Athènes 19974, p. 218-235).
4. L'esprit et l'autorité des canons
La tradition canonique officielle a comme principal but d'harmoniser de manière authentique, correcte et universelle le contenu de la révélation en Christ et la mission spirituelle de l'Eglise aux conditions historiques sans cesse changeantes de la vie ecclésiale, telle que celle-ci se réalise moyennant, d'une part, la bonne organisation extérieure et la fonction adéquate du système conciliaire, d'autre part, la nécessité de la vie sacramentelle et morale des fidèles. Ainsi est assurée l'unité de l'Eglise dans la vraie foi et la charité non seulement par la formulation dogmatique de la foi, mais aussi par l'expérience pure de cette foi vécue par les fidèles dans une profonde unité sacramentelle et dans un accomplissement moral continu. En effet, la tradition canonique elle-même, relative à l'évolution antérieure de l'administration ecclésiale, ainsi que la fonction des diverses formes du système conciliaire avaient pour but de préserver l'unité de l'Eglise dans la vraie foi et la charité, en écartant les nombreux dangers qui la menaçaient, et de manifester cette profonde unité essentielle, afin de permettre aux fidèles de comprendre correctement le message de l'Eglise et de s'approprier sûrement le contenu du salut en Christ.
C'est le but suprême poursuivi par tous les canons des Conciles -à la fois œcuméniques et locaux- et des Pères éminents de l'Eglise, ainsi que par la tradition canonique, en général, de l'Eglise. Il serait donc dangereux sinon erroné de faire des distinctions et d'évaluer la force ou l'autorité des canons en prenant seulement en considération leur origine ou l'autorité de l'organe qui les a décrétés. La force des canons ne découle pas seulement de l'autorité canonique ou, autre, ecclésiastique dont ils émanent, mais surtout de leur rapport authentique au contenu de la révélation en Christ. Cependant, les canons des Conciles œcuméniques et ceux des Conciles locaux doivent garder inviolée cette authenticité. Ainsi s'explique le fait, par exemple, que l'Eglise a officiellement reconnu au Concile œcuménique Quinisexte (691 ) avec les canons des conciles locaux antérieurs ceux du Concile d'Antioche (341) lequel, bien que composé en majorité par des évêques arianisants modérés et bien qu'ayant formulé, dans le domaine dogmatique, des confessions de foi arianisantes, fonda cependant ses canons sur la tradition canonique authentique de l'Eglise.
Toutefois, s'il est impossible de distinguer substantiellement -quant à la force- les canons des Conciles œcuméniques et locaux suivant l'œcuménicité ou la localité de leurs organes institutionnels, la distinction -quant au contenu- des canons reste possible:
a) Les canons des Conciles œcuméniques se réfèrent surtout aux questions fondamentales d'unité et d'organisation administrative de l'Eglise, aux juridictions des agents canoniques de l'autorité administrative (Patriarches, Métropolites), à la fonction canonique des divers organes conciliaires, aux conséquences canoniques de l'hérésie et du schisme, à la manière canonique de réintégrer dans l'unité de l'Eglise les hérétiques et les schismatiques, etc.
b) Les canons des Conciles locaux et des Pères éminents de l'Eglise se réfèrent surtout aux juridictions et aux obligations pastorales des évêques de la province, aux rapports entre l'évêque et les ouailles -clergé et peuple- qui relèvent de lui, aux questions canoniques et liturgiques qui préoccupent les Eglises locales, à la vie morale et, en général, religieuse des fidèles, à la pénitence etc., autrement dit, à l'ensemble du service pastoral de chaque évêque.
En effet, parmi les canons des Conciles œcuméniques, peu nombreux sont ceux qui se réfèrent à la vie liturgique de l'Eglise locale et encore moins nombreux ceux qui se rapportent à la vie morale des fidèles, hormis le Concile œcuménique Quinisexte qui non seulement ratifia, mais fit aussi la synthèse du contenu de la majorité des canons pastoraux émanant des Conciles locaux du IVe siècle. Cependant, parmi les Conciles locaux aussi, font exception à la distinction que nous venons de faire les Conciles d'Antioche (341) et de Sardique (343), réunis en tant que conciles généraux et qui se sont prononcés sur des questions ecclésiastiques d'ordre général, en raison des situations créées dans l'ordre canonique de l'Eglise par les querelles ariennes; comme d'ailleurs la grande Collection des canons de l'Eglise d'Afrique du Nord, ratifiée par le Concile de Carthage (419) en raison de la grande variété de son contenu. Mais cette distinction entre canons des Conciles œcuméniques et locaux apparaît aussi dans leur contenu, étant donné que les premiers s'occupent plus spécifiquement des problèmes généraux concernant l'unité canonique du corps des évêques ou de l'Eglise dans la vraie foi et la charité, alors que les seconds se réfèrent notamment aux divers et nombreux problèmes liturgiques ou pastoraux auxquels est confrontée chaque Eglise locale.
Toutefois, cette distinction n'entame pas essentiellement l'autorité de ces canons, mais concerne seulement leur envergure. Dans ce sens, les questions spécifiques, ayant suscité l'élaboration des canons des Conciles locaux, ont habituellement un caractère local: par exemple, le cas des lapsi ou les coutumes judaïsantes en Galatie ou les thèses erronées des Eustathiens sur le mariage et le jeûne, ou les déviations liturgiques en Phrygie, qui ont respectivement donné matière pour décréter la plupart des canons des Conciles locaux de Gangres et de Laodicée. Ces questions préoccupaient spécifiquement les Eglises de Galatie et de Phrygie, sans donc intéresser l'Eglise universelle qui n'était pas confrontée à des problèmes pareils dans ses autres éparchies. Cependant, la localité de l'expérience spirituelle manifeste dans chaque lieu le mystère entier de l'Eglise, comme l'universalité de cette expérience est affirmée par la plénitude de chacune de ses manifestations locales.
Dans cet esprit, les canons des Pères de l'Eglise ont un caractère nettement pastoral et se rapportent surtout au repentir des fidèles concrets d'une région qui ont commis des fautes graves canoniques ou morales, autrement dit à ceux qui, d'une façon ou d'une autre, se sont éloignés du christianisme (Grégoire le Thaumaturge), à la place des lapsi durant les persécutions (Pierre d'Alexandrie), à la pénitence requise pour certains péchés (Basile le Grand) et l'appréciation, sur la base des trois péchés graves (apostasie, prostitution et meurtre), d'autres fautes des fidèles (Grégoire de Nysse), etc.
Il est bien clair que l'élaboration par l'Eglise des canons ne vise pas à développer l'expérience de la foi dans un système de Droit ecclésiastique positif, mais a comme but principal de préserver chaque fois la plénitude du contenu de la vérité de la révélation - nécessaire à la vie des fidèles - de toute incompréhension ou déviation; autrement dit, permettre aux fidèles de vivre correctement la substance du mystère de l'Eglise à chaque moment de l'histoire du salut. C'est conformément à ce but suprême de la tradition canonique que doit être détermine le caractère juridique des canons: ceux-ci non seulement ne constituent pas une systématisation positiviste du mystère entier de l'Eglise, mais ne sont pas en mesure d'envisager de manière exhaustive une perspective de la vérité révélée de la foi, qui doit sans cesse servir de fondement à la constitution matérielle des canons. Pour supprimer une quelconque incompréhension de la vérité ou une quelconque déviation par rapport à cette vérité, il ne faut pas réduire le contenu entier de la vérité de la foi dans un système positiviste, mais exposer sa référence spécifique à chaque cas d'incompréhension ou de déviation.
Le fait demeure cependant que pour comprendre et apprécier correctement le message de la tradition canonique il faut nécessairement inférer de manière authentique la volonté de la tradition canonique à la fois aux sources de la révélation en Christ et au contenu entier du salut. Cette exigence rend évident que l'esprit des canons doit toujours exprimer l'esprit de la révélation en Christ et livrer inaltérable aux fidèles le message du salut en Christ. Si cependant cette inférence du contenu matériel historique de certains canons s'avère difficile, en raison de la non-existence d'un principe explicite ou similaire dans l'Ecriture Sainte, il faut alors chercher un rapport implicite de ces canons au contenu et à la fonction du mystère de l'Eglise. Par conséquent, les canons, qui ne dépendant pas morphologiquement de formulations précises et concrètes des sources de la révélation, ont, sans doute, été dictés par la conscience ecclésiale et expriment la volonté unique et inaltérable de l'Eglise à chaque époque, toujours en rapport absolu à son but suprême, à savoir le salut de l'homme.
Cette authenticité de la manifestation de la volonté de l'Eglise dans les canons est garantie par la présence vivante et continuelle du Saint Esprit dans l'Eglise. En effet, le Saint Esprit guide l'Eglise vers l'accomplissement eschatologique du Royaume de Dieu; confirme la présence ininterrompue du Seigneur dans son Eglise; rend accessible à 1'Eglise la vérité de la révélation en Christ; préserve l'Eglise contre les utopies passagères ou même contre les quêtes ou les spéculations eschatologiques non fondées; garantit l'authenticité de l'absolue vérité de foi dans son lien à des schémas historiques précis; transforme la vérité historique du Christ en vérité historique de l'Eglise; conserve au sein de l'Eglise l'équilibre authentique entre continuité et renouveau du message divin et conduit l'Eglise à l'accomplissement de sa mission suprême dans l'histoire du salut.
Dans ce sens, l'Eglise peut, dans sa vie historique, formuler sous la conduite du Saint Esprit une position canonique, sûre et authentique, négative ou positive, qui vise à garder inaltérable l'expérience sacramentelle de la foi, possédée et vécue par elle. Si cependant cette position, positive ou négative, de l'Eglise vis-à-vis d'une quelconque question ecclésiastique n'était pas sûre - ou plutôt si elle n'était pas nécessairement sûre-alors logiquement l'Eglise pourrait même s'égarer. Mais cela est contraire à la nature et à la substance de l'Eglise, en tant que "Corps du Christ" historique, étant donné que si l'Eglise pouvait effectivement se tromper, alors son attachement à la vérité de la révélation en Christ ne serait pas toujours certain. Si cela était possible, alors l'Eglise ne serait pas nécessaire au salut, puisqu'elle ne conduirait pas sûrement au salut. De telles suppositions ont depuis toujours été considérées comme théologiquement et ecclésiologiquement inconcevables. L'infaillibilité de l'Eglise ne doit pas cependant être considérée de façon statique par rapport à la foi possédée et vécue par. elle, mais de manière dynamique par rapport à l'enseignement formulée par elle, étant donné que l'enseignement de l'Eglise ne peut pas être conçu séparément de la foi vécue par expérience.
Ce rapport entre foi vécue et enseignement se réfère non seulement à la formulation des dogmes de foi, mais aussi à la tradition tout entière de l'Eglise. D'ailleurs, la tradition de l'Eglise est christocentrique, étant donné que le transmetteur (propagateur, enseignant) et le transmis (propagé, enseigné) de cette tradition est le Christ lui-même. Ce lien indéfectible entre le Christ de la foi et le Christ de l'expérience sacramentelle de l'Eglise constitue dans la vie historique de l'Eglise une manifestation authentique de sa conduite par le Saint Esprit jusqu'à l'accomplissement de l'histoire du salut. Il est cependant clair que la conduite de l'Eglise par le Saint Esprit ne s'identifie pas unilatéralement à la matière historique ou à la forme grammaticale des canons, mais certainement à leur substance et à leur esprit. En effet, chaque canon n'exprime le contenu du mystère de l'Eglise que s'il se réfère de manière authentique et dans son esprit à la fois à la plénitude du contenu de la révélation en Christ et à la plénitude de la vie spirituelle des fidèles.
Dans ce sens, il importe de considérer comme irréfutable que les canons dans leur ensemble sont un témoignage sur de l'adaptation authentique du contenu de la révélation en Christ à la vie historique de l'Eglise à chaque époque, car ils constituent la manifestation historique en l'Esprit Saint de la vérité de la révélation en Christ continuellement possédée et expérimentalement vécue par l'Eglise. Cela devient plus clair, si nous considérons que l'Eglise, par sa tradition canonique tout entière, ne vise pas à trouver et à exposer la vérité de la foi, mais pose la vérité éternelle de la foi, déjà possédée par elle, comme une condition fondamentale à la formulation historique des canons. En décrétant donc les canons pour faire face à des incompréhensions de la vérité de la foi ou à des déviations par rapport a cette vérité, surgies à diverses époques, l'Eglise ne considère pas nécessaire de fonder expressis verbis ces canons sur la vérité absolue qui dicte leur élaboration, cette vérité étant toujours et sans cesse vécue par elle.
Certes, les canons ont habituellement le caractère de définitions ecclésiastiques empiriques, mais ils ont toujours une référence indirecte soit à la vérité de la révélation, soit même à la nature authentique ou à la mission salvifique de l'Eglise. Cependant, lorsqu'ils sont édictés pour envisager chaque fois correctement les questions ecclésiastiques, ils présupposent alors aussi la conscience claire que l'Eglise vit le contenu de la vérité formulée par le canon. Mais cette conscience ne s'exprime pas toujours de manière positive; elle se manifeste même souvent de manière négative. Cela devrait être considéré comme évident, étant donné que le contenu de la vérité révélée, tel qu'il est vécu par l'Eglise dans sa plénitude, n'a pas besoin d'une formulation systématique, mais seulement quant à son aspect mal compris à un certain moment et dans un certain lieu. Ainsi, pour rétablir la plénitude et l'authenticité de cet aspect entamé, l'Eglise édicte un canon précis ou des canons. Autrement dit, la forme historique existante des canons reflète sûrement la substance et la plénitude de la vérité révélée, étant donné que c'est une diffusion (propagation) empirique de celle-ci. Toutefois, ces canons en soi constituent une simple figure historique, et non pas un relevé exhaustif de la vérité absolue.
La tradition canonique exprime donc non pas un développement indépendant ou horizontal d'un positivisme juridique dans la vie historique de l'Eglise, mais l'authenticité verticale de son rapport historique à la vérité possédée et vécue par l'Eglise en l'Esprit Saint. La description systématique de cette expérience vécue des vérités de la révélation dans un système juridique complet du droit de l'Eglise est ecclésiologiquement inconcevable et pratiquement impossible. L'Eglise réalise la communion et l'union entre l'homme et Dieu par des actions historiques concrètes. Il importe donc de distinguer nettement dans les canons entre l'être permanent et le devenir historique permanent de l'Eglise. Mais, le contenu fondamental de l'esprit de chaque canon est infiniment supérieur à sa matière ou à sa forme historique extérieure, étant donné que l'historicité du canon ne doit être conçue que dans le sens que la vérité éternelle et absolue est placée dans l'histoire et déterminée par elle tant dans sa forme que dans ses modes d'expression. De ce point de vue, il importe de considérer les canons non seulement comme une source authentique du message de la révélation en Christ, mais aussi comme un canal sûr, par où ce message passe inaltérable et imprégner la vie des fidèles au sein de l'Eglise.
Il n'en demeure pas moins clair que dans les canons il n'y a pas d'identité de leur contenu historique à la plénitude du contenu des vérités révélées, mais certainement une adaptation authentique de la plénitude du contenu de la vérité de la foi à chaque problème ecclésiastique précis quant à son lieu, à son temps, à ses personnes et à sa substance. En effet, la formulation du contenu spécifique de la vérité de la foi dans les canons est clairement déterminée par la question ecclésiastique spécifique; et cela non seulement dans sa projection historique dans le temps et dans l'espace, mais aussi dans le langage ou la terminologie utilisés, ainsi que dans l'organisation historique de leur contenu. Cela signifie que dans les canons nous n'avons pas seulement une partie de la vérité tout entière, mais une perspective spécifique de cette vérité afin d'adapter son contenu à la question précise posée par une déviation ou par une incompréhension. Par conséquent, dans les canons nous avons une perspective spécifique non seulement d'une partie, mais de la plénitude de la vérité de la foi. D'ailleurs, il n'est pas toujours nécessaire de traduire l'expression absolue de la vérité vécue de la foi et du mystère de l'Eglise dans des formes canoniques concrètes, étant donné que les canons constituent simplement une matérialisation historique de la vérité de la foi, selon les besoins constatés des fidèles, qui agit toujours au sein de l'Eglise et par l'Eglise. (to be continued)