Sylvie a écrit :Cher Steve,
Votre question est pertinente, je me joins à vous pour la poser.
J'ai souvent vu des organismes de charité catholique, mais je n'en ai pas vu Orthodoxe. Est-ce parce que nous sommes dans un pays en majorité catholique ? Je ne sais pas. Je suppose qu'il y a des oeuvres de charité dans les pays Orthodoxes.
Peut-être aussi que l'oeuvre de charité est une responsabilité de chacun. Aider ceux qui nous entoure. Cette charité est faite directement à une personne ou une famille dans le besoin et non plus de l'argent que l'on donne à un organisme sans s'impliquer d'avantage dans l'oeuvre.
Madeleine
La remarque est pertinente: le genre d'oeuvres ou d'organisations caritatives que l'on est habitué à voir dans la mouvance de l'Eglise catholique romaine en France ou au Québec ou dans la mouvance de l'Eglise réformée dans le canton de Vaud se trouvent plutôt dans la mouvance de l'Eglise orthodoxe dans les pays où celle-ci a une forte présence. Avec cette différence que j'ai presque toujours vu des oeuvres diocésaines plutôt que des oeuvres ayant une organisation centralisée pour une Eglise locale entière.
Il faut toutefois faire une distinction entre la situation de la Grèce et de Chypre d'une part, et celle des anciens pays du bloc soviétique d'autre part.
En effet, dans les pays qui ont connu le communisme, les communistes avaient consacré leurs efforts à démanteler tout le système d'aide sociale qui relevait de l'Eglise. Avant 1917, par exemple, le plus grand orphelinat du monde était tenu par l'Eglise orthodoxe russe à Moscou. Tout ceci a été nationalisé, confisqué ou démantelé en quelques mois, en même temps qu'étaient supprimées les libertés religieuses.
Même dans un pays comme la Roumanie, où les communistes n'ont jamais osé infliger à l'Eglise ce qu'ils ont pu lui faire en Union soviétique et en Albanie, à cause du trop grand prestige de l'Eglise dans la population, il est intéressant d'observer que les efforts des communistes étaient dirigés en priorité vers la liquidation de tout ce qui permettait à l'Eglise d'avoir une action sociale, caritative ou éducative. En Roumanie, contrairement à d'autres pays communistes, les séminaires et les facultés de théologie n'ont pas été fermés, les églises n'ont pas été rasées, en tout cas pas dans les mêmes proportions, et l'Eglise pouvait continuer à imprimer la Bible, par exemple. Mais il est frappant de constater que tout ce qui sortait de la sphère purement religieuse avait été anéanti dès 1948, l'année qui vit la soviétisation de la Roumanie. Rappelons que les communistes avaient pris le pouvoir par étapes grâce à l'aide de l'Armée rouge à partir du 23 août 1944, mais que le roi Michel ne fut contraint à l'abdication que le 30 décembre 1947. Dans un laps de temps de neuf à dix mois après cette abdication, les communistes liquidèrent les écoles confessionnelles, les associations, l'aumônerie militaire, etc. Et cela même avant la grande offensive contre les monastères en 1958.
Par conséquent, dans ces pays qui avaient connu le communisme, tout a dû être reconstruit à partir de 1990. Comme il a fallu parer au plus pressé, certaines de ces oeuvres sont inattendues: par exemple, la métropole orthodoxe de Jassy et de Moldavie a des boulangeries populaires, comme on a des soupes populaires ailleurs.
La situation en Grèce et à Chypre est différente à deux titres. D'abord, ces pays n'ont jamais connu le communisme et l'Eglise a pu conserver ses associations, ses soupes populaires, ses oeuvres diverses. Mais il est évident que la situation économique y est plus florissante que dans des pays qui ont été mis à genoux et menés à la misère par le marxisme. On y rencontre donc d'autres formes d'action sociale de la part de l'Eglise. Par exemple, un métropolite crétois, estimant que l'île était très mal desservie par les liaisons maritimes existantes, avait été à l'origine du lancement de la société ANEK dont le but était d'ouvrir de nouvelles lignes pour améliorer la desserte de l'île et la désenclaver. Il y a ainsi en fait beaucoup de formes de coopération entre des oeuvres diocésaines et des oeuvres laïques. Souvent, dans tel ou tel diocèse de Grèce, l'évêque du lieu sera membre du comité régional de la Croix-Rouge, par exemple.
Mais, en revanche, il n'y a pas en Grèce d'écoles orthodoxes (sauf des écoles de théologie) au sens où il y a un enseignement privé confessionnel dans un pays comme la France, et ce pour deux raisons. La première est qu'il n'y a aucune raison de penser que le clergé ait vocation à l'enseignement. La deuxième est un héritage historique: si l'Eglise catholique romaine a développé un réseau d'écoles, c'est au départ parce que la culture a connu un tel effondrement en Europe occidentale à partir du milieu du VIIe siècle que le clergé s'est par la force des choses retrouvé avec le monopole de l'instruction. Les pays restés orthodoxes n'ont pas connu de situation similaire. Ce n'est que par un autre accident historique, lié à la turcocratie et aux obstacles que les Musulmans mettaient à l'enseignement, que les saints ascètes du mouvement des Collyvades ont dû se préoccuper de fonder et de faire vivre des écoles dans la Grèce du XVIIIe siècle. Dès le retour à une situation normale, on s'en est remis aux laïcs pour assurer l'enseignement et le fonctionnement des écoles, car ce n'est pas une fonction normale du clergé.
En Roumanie, avant 1948, il arrivait, dans les villages, que le prêtre soit aussi l'instituteur de l'école primaire. Je pense qu'il s'agissait surtout d'un choix de l'Etat qui faisait des économies en ayant recours aux prêtres.
Etant moins confrontés que les autres à la question de la lutte pour la survie, les Grecs, les Chypriotes et les Etasuniens sont les seuls orthodoxes à aider les missions d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Par exemple, l'association missionnaire Protoklitos de Patras en Achaïe avait acheté d'avance 2'000 exemplaires du
Synaxaire en langue française pour en faire don à des paroisses d'Afrique subsaharienne. C'est aussi une association missionnaire orthodoxe étasunienne qui soutient la reconstruction de l'Eglise d'Albanie (dont il a été question sur ce forum dans le fil "Ngjalla!").
En Europe occidentale, les activités caritatives se font surtout à travers des associations privées ou paroissiales. Il est vrai que, quand nous sommes une aussi petite minorité dans des pays où le système d'assurances sociales est encore debout (bien que son effondrement soit programmé pour des raisons démographiques) et où l'Etat a des moyens impressionnants, il est probablement plus utile d'adhérer à l'une ou l'autre des multiples associations caritatives existantes que d'en fonder de toutes pièces.
A l'échelle d'un diocèse, en ce qui concerne l'Europe occidentale, je ne connais que la Fondation philanthropique orthodoxe de la métropole de Suisse du Patriarcat oecuménique, qui ne gère pas d'institutions, mais recueille des fonds et distribue des subsides, par exemple pour des nécessiteux qui dovent être opérés en Suisse. Il y a probablement d'autres exemples d'institutions diocésaines, mais je ne les connais pas.
Il faut encore préciser que, dans ce domaine-là comme dans beaucoup d'autres, l'Eglise orthodoxe laisse une grande liberté d'actions à ses fidèles. Depuis le début, on a toujours préféré soutenir des initiatives des laïcs que de confier à l'Eglise des tâches qui débordent de sa mission spirituelle. Même s'il y a toujours eu une grande activité caritative de la part de l'Eglise, et ce depuis le commencement, activité qui a vraiment fleuri à Constantinople (souvenons-nous de saint Zotique l'Orphanotrope), il me semble que le modèle que j'ai cité de l'évêque membre du comité régional de la Croix-Rouge est plus typique que le modèle d'une organisation fondée par l'évêque et gouvernée par lui.
Une fois de plus, le clergé a surtout des tâches spirituelles. Il a toujours été admis que l'épiscopat et les prêtres ne peuvent pas tout régenter et ne sont pas omniscients. Il est donc naturel de coopérer avec des laïcs compétents.