Trouver sept différences

Échangez vos idées librement ici

Modérateur : Auteurs

katya1965
Messages : 17
Inscription : dim. 10 janv. 2021 20:42

Trouver sept différences

Message par katya1965 »

Je poste deux icônes des Nouveaux Martyrs et Confesseurs de Russie de deux juridictions différentes : EORHF et EOR-MP. Il serait intéressant de recueillir des opinions sur ce qu'est l'essence des différences.

Je ne parle pas d'une approche/vision professionnelle. Je n'ai moi-même aucune connaissance particulière sur la peinture d'icônes. Il s'agit d'impressions et d'observations, de différences visibles à l'œil nu et de réflexions sur les raisons possibles de ces différences. Je propose de regarder ces icônes comme des peintures et de les comparer.

Voici, pour commencer, la première différence. A mon avis, cela attire l'attention, je dirais même cela frappe. C'est le peuple. Il est visible en bas de l'icône de l'EORHF. Y sont représentées de différentes couches de la société : des fonctionnaires, des militaires, des paysans, des gens pauvres (un homme en manteau rapiécé), des femmes et des enfants. C'est tout à fait logique et raisonnable, puisque l'Empire Russe était un État Chrétien, où le christianisme était la religion d'état et où l'église comprenait toute la société, toute la nation.

Il n'y a pas de peuple en vue sur l'icône du MP, à l'exception du clergé. L'icône est peinte dans le paradigme bolchevique, dans lequel l'église est un «groupe de prêtres» étranger au peuple («la religion est l'opium pour le peuple»). L'icône confirme en quelque sorte la version bolchevique de l'histoire — le peuple était du côté des bolcheviks, contre les prêtres et le tsar, donc la valeur de leur exploit pour le peuple n'est pas vraiment significatif.
Image
Image
Odysseus
Messages : 438
Inscription : mer. 20 juil. 2011 23:27

Re: Trouver sept différences

Message par Odysseus »

Quelle idée, ce Napoléon d'envahir la Russie en raison de quatre cotonades anglaises ?
Il aurait mieux fait de rester couché ce jour-là.
1 million de chaussures qui sont parties à l'asaut de Moscou !
Quelle idée !

a+

Odysseus
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Re: Trouver sept différences

Message par Claude le Liseur »

Je dirais surtout que l'icône de l'EORHF montre une volonté de représenter des saints du XXe siècle en saints du XXe siècle, alors que celle du Patriarcat de Moscou procède de la tendance à habiller tous les personnages représentés sur des icônes en Byzantins du Ve siècle ou en Moscovites du XIVe siècle.

Il y a des icônes en Grèce où le Christ Bon Pasteur vient au secours d'un fidèle désespéré qui porte un blue-jeans, et des icônes du patriarcat de Moscou qui représentent les saints juristes Georges (Youri) Novitsky et Jean (Ivan) Kotcharoff tels qu'ils étaient, en veston et en cravate, et pas déguisés en caftan de l'ancienne Moscovie.

Ce que j'aime, c'est la fidélité aux canons de l'iconographie tout en acceptant l'idée qu'on n'a aucune obligation de représenter un avocat martyr en 1922 comme s'il avait été un contemporain d'Attila.
katya1965
Messages : 17
Inscription : dim. 10 janv. 2021 20:42

Re: Trouver sept différences

Message par katya1965 »

Claude le Liseur a écrit : mar. 04 janv. 2022 12:23 Je dirais surtout que l'icône de l'EORHF montre une volonté de représenter des saints du XXe siècle en saints du XXe siècle, alors que celle du Patriarcat de Moscou procède de la tendance à habiller tous les personnages représentés sur des icônes en Byzantins du Ve siècle ou en Moscovites du XIVe siècle.

Il y a des icônes en Grèce où le Christ Bon Pasteur vient au secours d'un fidèle désespéré qui porte un blue-jeans, et des icônes du patriarcat de Moscou qui représentent les saints juristes Georges (Youri) Novitsky et Jean (Ivan) Kotcharoff tels qu'ils étaient, en veston et en cravate, et pas déguisés en caftan de l'ancienne Moscovie.

Ce que j'aime, c'est la fidélité aux canons de l'iconographie tout en acceptant l'idée qu'on n'a aucune obligation de représenter un avocat martyr en 1922 comme s'il avait été un contemporain d'Attila.
L'icône de l'EORHF a été peinte en 1981 par Cyprien (Pyzhov), archimandrite de l'EORHF. C'est un maître célèbre, un représentant de la vieille école, donc je suis sûre qu'il l'a peinte selon les canons. Il me semble que l'habillement du saint n'est pas réglé par les canons de la peinture d'icônes ; il peut donner une idée de l'occupation du saint pendant sa vie terrestre ; dans l'image, le saint peut tenir dans ses mains les attributs de sa profession. Les anciens saints étaient représentés en tuniques, car il était d'usage de s'habiller comme ça à l'époque où ils vivaient, et il est tout à fait naturel de représenter les saints des temps ultérieurs dans leurs vêtements contemporains également.

Il existe certainement des canons pour l'organisation de l'espace et de la perspective dans l'icône, les règles concernant la posture du saint et du degré de courbure de la géométrie, selon la distance et sa position par rapport à Jésus-Christ et aux sanctuaires représentés sur l'icône ; il existe également des règles concernant la palette de couleurs et le choix des colorants. Étant complètement incompétente dans toutes ces subtilités, je ne peux commenter les différences entre les deux icônes que du point de vue de l'information que porte tel ou tel détail, et seul mon jugement sur l'organisation de l'espace dans ces deux icônes peut faire référence aux canons de la peinture d'icônes.

Mais plus à ce sujet ci-dessous, commençons par les vêtements, puisque nous en avons parlé dès le début.

Comme je l'ai déjà écrit dans le commentaire précédent, l'icône de l'EORHF représente le peuple, et cela est réalisé précisément par la variété de vêtements qui indiquent l'appartenance à divers grades du service de l'état ou du service militaire, à la paysannerie ou à la classe ouvrière. Je ne peux pas clairement indiquer pour toutes les personnes représentées quels vêtements correspondent à quelle classe, mais il faut garder à l'esprit qu'à cette époque tout service, qu'il soit gouvernemental ou du travail dans une usine, signifiait porter un uniforme ou un caftan, qui semble aujourd'hui ressemblant à un uniforme. La variété des vêtements donne l'impression que si pas toutes, alors de nombreuses classes sont représentées.

Un cas particulier est que la tsarine et les princesses sont représentées dans l'icône de l'EORHF dans les vêtements d'infirmières avec de grandes croix rouges sur le ventre. En effet, pendant la Première guerre mondiale, elles se sont consacrées entièrement aux soins des blessés, passant des jours et des nuits à l'hôpital.

Rien de tout cela n'est sur l'icône du PM. Tous sont représentés soit dans des tuniques antiques, soit dans des vêtements de prêtres ou des robes d'évêques. À mon avis, c'est un défaut. D'une part, comme je l'ai déjà noté, cela masque le fait que non seulement des représentants du clergé et de la haute société, mais des représentants de tout le peuple, des personnes appartenant à toutes les couches de la société, sont devenus des martyrs. Deuxièmement, il masque le travail bénévole des membres de la famille royale. Sur l'icône du PM, les princesses et la reine sont en tenue chic, comme réunies pour un bal. Cela ne correspond pas aux réalités historiques, au mode de vie qu'ils menaient pendant les années de guerre.

(A suivre)
katya1965
Messages : 17
Inscription : dim. 10 janv. 2021 20:42

Re: Trouver sept différences

Message par katya1965 »

(Suite et fin)

La différence suivante, dont je veux parler, est difficile à saisir sans connaître certains détails historiques. Regardez les quatre personnages de l'icône supérieure, à droite de la famille royale : une femme au foulard rouge soutenant la grande-duchesse par le coude, et trois hommes, dont l'un est en robe blanche tenant une sorte de boîte en une main et la croix orthodoxe dans l'autre. Ce sont trois serviteurs de la famille royale et leur médecin. C'est ce dernier qui tient une boîte dans les mains, certainement la boîte contenant des accessoires de docteur. Jusqu'à la dernière minute, ils étaient avec la famille royale et ont été martyrisés avec eux. Ils ne figurent pas sur l'icône du bas, puisque le PM ne les reconnaît pas comme des saints, à l'exception du docteur Yevgeny Botkin, que le PM a canonisé 17 ans après la canonisation de la famille royale, en 2016. Ils sont également absents dans la représentation de la scène du meurtre dans le coin inférieur droit de l'icône, on y voit 7 personnes sur l'escalier face aux assassins. En réalité, ils étaient 11.

Passons maintenant aux différences dans l'utilisation de l'espace dans les deux icônes. Sur la première icône, la figure la plus importante est Jésus-Christ. Les yeux se tournent d'abord vers Jésus-Christ, Il est central. Sur la deuxième icône, les yeux s'arrêtent d'abord sur la cathédrale au milieu. Ensuite, on se demande où est Jésus-Christ, et on doit le chercher avant de le voir.

En plus de l'image centrale proéminente de Jésus-Christ, nous voyons 6 anges. Ils sont peints de manière expressive, on n'a pas besoin de les chercher. Ce sont deux anges de chaque côté de Jésus-Christ, le Séraphin à six ailes (le plus haut rang des anges) à ses pieds, l'ange au centre de l'icône, et deux anges au-dessus du flot incessant de nouveaux martyrs, qui les bénissent et les recouvrent de leurs ailes. Le céleste est dominant sur cette icône.

Seuls deux anges sont visibles sur l'icône de bas, on les reconnaît à peine, apercevant leurs ailes repliées derrière le dos.

En ce qui concerne la cathédrale au centre de l'icône du bas, il s'agit d'une représentation de la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou. La première cathédrale, la vraie, a été dynamitée en 1931. Une nouvelle cathédrale, une sorte de copie superficielle, ne ressemblant à l'original que de l'extérieur, a été construite en 1999. Elle se voulait un symbole du "renouveau de l'Orthodoxie", "preuve" de la fin de la persécution de l'église. Je pense que c'est la raison pour laquelle elle est placée au centre de l'icône et pourquoi elle est si grande qu'elle domine sur le reste.

L'icône du haut représente non pas une seule église, mais plusieurs églises avec une ville entière en arrière-plan, qui évoque la capitale d'un État chrétien. Et cette capitale est encerclée par le peuple, le clergé, les saints, tous faisant une impression de l'unité de tous ces constituants dans un pays-église entier.

Une dernière observation concernant l'utilisation de l'espace : l'icône du bas est encadrée par des scènes de meurtre. Il est impossible de les ignorer. Quel que soit le point de l'icône que l'on regard, le coin de l'œil capte l'abondance de forces du mal à la périphérie de l'icône, et cela dérange. Dans le même temps, la façon dont la violence est représentée a pour effet de rapetisser l'ampleur des atrocités. Il s'agit d'actes d'homicide isolés, bien que les plus connus. L'impression générale est que des centaines de personnes ont été assassinées. Alors que le nombre du clergé dans l'Empire russe à la veille de la révolution était de plusieurs centaines de milliers, et qu'il était presque complètement exterminé, seuls quelques-uns se sont réfugiés en exil. Cela se reflète dans l'icône supérieure - nous voyons ici deux fleuves de personnes, deux flots sans fin, qui sont bénis par des anges. Et puis il y avait des millions de chrétiens fidèles, dont beaucoup ont été abattus non seulement pour être allés à l'église, mais aussi pour toute manifestation de soutien aux croyants et aux membres du clergé persécutés.

De même, si la présence des meurtriers sur l'icône du bas dérange, la façon dont ils sont représentés, très conventionnelle, stylisée, atténue leur méchanceté. Ils portent tous le même uniforme militaire, qui n'est apparu que dans les années vingt bien après le début de la « terreur rouge ». En réalité, les meurtriers avaient une apparence assez différente. En regardant leurs photos d'archives, on les perçoit aujourd'hui beaucoup plus comme des gangsters que comme des militaires ; leurs armes n'étaient pas des fusils mais des pistolets et ils ne les portaient pas ouvertement.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Re: Trouver sept différences

Message par Claude le Liseur »

Nous sommes d'accord.

Je ne considère en aucun cas que l'anachronisme fait partie des canons de l'iconographie. Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi certains imaginent que, pour faire une icône canonique, il faut représenter des personnages qui vivaient en 1910 comme s'ils avaient vécu en l'an 450.

Le caractère orthodoxe, canonique, d'une icône vient de la manière dont les personnages sont représentés, pas de leur costume. Il est tout à fait normal de représenter saint Jean Kovtcharov, saint Georges Novitsky (tous deux juristes, martyrs par la main des communistes à Petrograd en 1922) ou saint Jean Karhapää (instituteur, martyr par la main des luthériens à Joensuu en Finlande en 1918) en veston et en cravate, ou de représenter saint Nicolas II (martyr par la main des communistes à Catherinebourg en 1918) en vareuse kaki. Ce qui importe, ce n'est pas de créer une impression irréelle que tout le monde a vécu au temps de saint Jean Chrysostome. Ce qui importe, c'est de montrer le visage transfiguré de saints qui ont vécu parmi nous il n'y a pas si longtemps.

(L'époque actuelle veut que l'on oublie tout, mais un siècle, c'est hier. Mon grand-père paternel était déjà de ce monde quand la première Guerre mondiale a éclaté. L'Empire soviétique a duré moins qu'une vie d'homme, et, n'en déplaise aux communistes, c'est vraiment risible par rapport à ce qu'ont duré l'Empire romain ou l'Empire chinois. Quand j'étais gamin, à table, en famille, on parlait encore de la Grande Guerre de 1914-1918 et ça n'appartenait pas à l'Histoire, mais à un passé encore très récent et j'ai su très tôt dans l'enfance que tous les mâles de ma famille avaient été tués dans ces années-là. Ces souvenirs disparaîtront avec moi, mais, si Dieu m'accorde une espérance de vie normale, ça nous mènera vers 2050 et cela voudra dire que le passage de la mémoire à l'Histoire aura quand même pris 136 ans. Donc, un siècle en arrière, c'est vraiment le présent à l'échelle des générations et de la mémoire d'une famille.)
Répondre