Page 6 sur 7

Publié : lun. 19 mars 2007 15:56
par Jean-Louis Palierne
Je suis maintenant très occupé par des affaires pressantes inattendues ou plutôt trop longtemps attendues. Je ne peux donc intervenir que très rapidement.

Il ne fait guère de doute que les Églises filiales des Églises ethniques se sont depuis quelques années renfermées sur leurs immigrations respectives, qu’elles tentent de reprendre en mais de toute leur force. Nous nous trouvons devant un véritable retour en arrière. D’accord c’est la Roumanie qui fait le moins mal, mais je connais des indigènes (d'ici) qui dans une ville où il y a beaucoup de Roumains se sont sentis de plus en plus largués et ne trouvent plus de prêtres. La situation que décrit Claude est peut-être encore pire que ce que nous connaissons ici en France, mais de peu seulement. La rue Daru offre parfois une solution quand on a sous la main un prêtre défroqué ex-catho ou ex-ECOF ou autre chose (mais on n’en trouve plus guère; en tout cas ils réadmettent tout dans l’Orthodoxie “dans leurs ordres antérieurs”) ou encore un prêtre orthodoxe vagans. Et la situation canonique présente une autre anomalie acanonique différente de la précédente.

Il faut d’un autre côté bien voir que lorsqu’elles parlent “d’Églises locales” les Églises orthodoxes d’aujourd’hui entendent la plus souvent tout autre chose que ce que la Tradition orthodoxe entend désigner sous ce nom. Pour la Tradition canonique de l’Église orthodoxe en effet, et pour nous naïfs occidentaux convertis à l’Orthodoxie qui prenons ces mots à la lettre, l’Église locale est celle qui rassemble autour de son unique évêque l’ensemble des chrétiens d’une ville donnée et de ses environs, clercs, moines ou laïcs, dans la synaxe eucharistique (où l’on prie “pour cette ville”) et membre d’un synode provincial (qui ordonne l’évêque). Pour les Églises des pays de tradition orthodoxe, l’habitude a été prise de donner le nom “d’Église locale” à une Église dont l’instance suprême est un “Concile local” composé de délégués des laïcs et des clercs, et dont les évêques sont membres de droit. C’est le “Concile local” qui prend la décision essentielles pour le fonctionnement de l’Église, jusqu’au choix des évêques, la gestion des biens, la formation du clerge, la justice ecclésiastiques et les activités scolaires et caritatives. Les questions concernant la foi et le culte sont réservés à une réunion des seuls évêques, qu’on appelle “synode “archihiératique”.

Tel quel ce schéma institutionnel a été appliqué dans les Églises orthodoxes du défunt Empire austro-hongrois, dans les Églises balkaniques du XIXème siècle jusqu’à le fin du communisme, c’est aussi ce type de structure qu’avait adopté le Concile russe de 1917, et qui n’a été appliqué que rue Daru, et on reparle périodiquement de structures de ce type dans l’Église de l’émigration orthodoxe du Nouveau Monde, soulevant toujours d’ardentes polémiques. Les Église orthodoxes actuelles l’abandonneent à des degrés divers et progressivement, restituant la plénitude de ses pouvoirs au synode archi-hiératique.

Mais on entend encore aujourd’hui en France de bons orthodoxes affirmer “qu’il faut laisser le moins de pouvoirs possible à l’évêque”., et certains pensent que les prêtres qui portent la responsabilité de “doyens des régions ecclésiastiques” soient l’esquisse de ce que pourront être un jour les évêques mariés (ou veufs) qui seront “plus près de leur peuple”. On ne recourt à un synode (lointain) que pour les ordinations épiscopales.

Si le situation de l’Église orthodoxe en France est bloquée, on ne le doit pas seulement aux renfermements ethno-centristes des immigrés provenant des pays de tradition orthodoxe. On le doit aussi au prestige dont jouissent les rêves pseudo-canoniques de quelques intellectuels parisiens auprès des Églises-Mères et de leurs représentants en France.

Faut-il donc désespérer ? D’abord n’oublions pas que l’Église est le corps du Christ et qu’il en est la Tête, l’unique Tête. Seule sa volonté prévaut et finira d’une manière ou d’une autre par l’emporter. Dans quelques jours nous chanterons, comme tous les ans dans la nuit de Pâques : “Que Dieu se lève, et ses ennemis seront dispersés”. Dieu seul mène l’Histoire. Tous ces complots, tous ces desseins prétenduements éclairés seront balayés d’une chiquenaude. La structure de l’Église a été révélée une fois pour toutes aux Apôtres, remise par eux aux évêques des Églises qu’ils instituées et précisée, complétée et confirmée par la synergie des canons conciliaires et patristiques et transmise jusqu’à nous. On ne peut rien y ajouter, rien en modifier et un Concile devra un jour résoudre sous l’inspiration de l’Esprit Saint les difficultés qui peuvent surgir. D’ici-là les évêques ont tout pouvoir de prendre, chacun dans son éparchie, les décisions nécessaires pour appliquer et interprêter les Canons.

Ensuite nous constatons que dans l’ensemble du monde orthodoxe un souffle nouveau passe et suscite çà et là de multiples groupes et tendances qui tentent de “revenir aux sources”, c’est-à-dire de retrouver un peu de l’esprit qui animait les premiers chrétiens. Un peu partout on trouve des orthodoxes qui questionnent leurs institutions, qui tentent de rénover la vie monastique, qui étudient les écrits des Pères, qui les éditent, les traduisent, les diffusent, les commentent, nous trouvons des essais pour traduire la liturgie, pour retrouver ses formes authentiques, des communautés de vie, des retour à l’iconographie et à la musique byzantines, on crée des revues, des maisons d’édition, des mouvements, des colloques, des chaires universitaires etc.

Tout cela n’est pas totalement et systamétiquement cohérent, il y a des ignorances, des erreurs, des dissensions, des débats. Mais la tendance au renouveau est générale. Constatons seulement qu’elle ne trouve son foyer, son impulsion, ni dans les hiérarchies, ni dans les émigrations. Je voyais récemment un interview serbe où l’interviewé et l’intervieweur s’accordaient pour dire que les conversions d’occidentaux apporteraient peut-être un souffle de renouveau dans les Églises des nations traditionnellement orthodoxes.

Je ne sais pas quand et où et comment et par qui sera résolu NOTRE problème “juridictionnel. Il est fort possible que les institutions européennes et/ou les gouvernements nationaux soient amenés à taper du poing sur la table devant la montée des problèmes posés par l’immigration venue de l’Est. Certains commencent à tourner autour de la patate chaude en se demandant par où la prendre…

En tout état de cause la seule solution réaliste est la solution canonique : au moins une métropole autonome d’Europe occidentale, un évêque pour un diocèse territorial, et des paroisses prêtes à accueillir les immigrés, une paroisse par nation d’origine. Les Églises de cette métropole auraient naturellement besoin pour un certain temps de faire appel aux Églises plus anciennes pour leurs évêques et pour une partie de leur clergé, qui viendraient donc comme missionnaires et la métropole devrait recevoir son autonomie, avec le consensus des Églises autocéphales existantes, du Patriarcat œcuménique.

Je rêve ? Oui bien sûr, comme rêvait jadis Kennedy il y a cinquante ans : “J’ai fait un rêve…” Mais je sais que c’est en ce sens que l’Histoire évoluera, parce qu’il ne peut en être autrement et que c’est l’ordre fixé à l’Église par Celui qui l’a fondé.

D’ici là nous ne pouvons que nous efforcer de vivre dans l’Église telle qu’elle est. Les projets et les complots qui vont dans une autre direction ne peuvent avoir qu’une existence éphémère. Prions et étudions. L’Église finira bien par retrouver sa santé.

Publié : lun. 19 mars 2007 17:14
par Ploscaru Mihaela
merci Jean Louis pour cet air rafraichissant de parfum d'espèrance : Mihaela

Publié : mer. 21 mars 2007 9:43
par Anne Geneviève
Ce rêve, nous le partageons tous, Jean Louis. Mais je suis moins optimiste que vous quant à l'éventuelle intervention des politiques. Les orthodoxes, comme les bouddhistes d'ailleurs, ne sont pas leur problème. Que voulez-vous, nous, nous ne déclenchons pas d'émeutes dans des quartiers sensibles ! Et nous ne susitons pas de contre-émeute comme en Hollande. Pourquoi voulez-vous que des gens calmes excitent leur passion législative ?

Publié : mer. 21 mars 2007 20:06
par Jean-Louis Palierne
Tout simplement parce qu'ils observent le nombre croissant d'orthodoxes dans l'Union européenne et de ceux qui passent (maintenant en toute liberté) dans les pays d'Europe occidentale, sans oublier les pays limitrophes voisins. C'est un problème nouveau, très récent, mais qui ne cesse de grandir. Et il y en a qui y réfléchissent, et il y en a qui commencent à surveiller.

Mes pérégrinations hospitalières m'ont amené à en rencontrer quelques-uns

Mais il y a aussi un mouvement d'intérêt plus intellectuel très net. Avez-vous remarqué le renouveau d'intérêt de l'édition pour Byzance ?

Évidemment ce n'est pas actuellement au centre de l'actualité politique française.

Publié : jeu. 22 mars 2007 22:50
par Anne Geneviève
Il y a effectivement une vague d'intérêt pour Byzance que j'avais repérée. Reste à savoir si c'est une mode passagère ou non.

Publié : dim. 25 mars 2007 18:41
par hilaire
un sérieux travail pour la Psaltique existe, bien au delà d'un vague intérêt d'éditeur pour Byzance. Seulement dans un univers orthodoxe occidental un peu formaté, il faut effectivement gratter un peu et s'éloigner des cercles convenus.

Le plus intéressant étant que ce travail dépasse les clivages que j'exposais un peu plus haut, de manière un peu caricatural certes, mais toujours pregnant.

Publié : dim. 25 mars 2007 22:03
par Anne Geneviève
J'ai parlé d'une vague d'intérêt et pas d'un vague intérêt : c'est général, c'est intense, c'est comme un flux mais est-ce durable ?

Le travail sur la psaltique, oui, c'est une des tendances internes de l'orthodoxie, je sais qu'elle vous tient à coeur et qu'elle s'inscrit dans le mouvement de retour aux sources.

Publié : mar. 01 mai 2007 21:11
par Stephanopoulos
Je vous livre ici un autre article concernant l'Eglise d'Arménie. Igor Dorfmann-Lazarev apporte plus de précision à ce qu'il écrivait dans son article parus dans le magasine Historia (extrait publié plus haut dans ce fil) : "Les Églises des trois conciles ont néanmoins réussi, au cours des trois siècles suivants, à dépasser les tendances extrêmes et à stabiliser leurs positions christologiques - en accord avec la Formule de concorde de 433, faisant suite au Concile d’Ephèse."

Christologie de l’Eglise d’Arménie

Par Igor Dorfmann-Lazarev, CNRS, Centre d’histoire et de civilisation de Byzance

La manière dont le transcendant pénètre dans le monde, dont s’effectue la rencontre entre l’humain et le divin est un des thèmes centraux de toutes les civilisations. Dans le christianisme, il se concrétise sous la forme d’une réflexion sur l’union du divin et de l’humain dans la personne du “Fils du Dieu vivant” (Mt 16, 13-16). Au cours du IVème siècle, deux écoles exégétiques, qui avaient aussi des disciples en Arménie, se développèrent en s’opposant. La première, celle d’Alexandrie, fidèle à sa vision sacramentelle de l’univers, prenant pour clé d’interprétation Jn. 1,14, se souciait d’affirmer l’unité ininterrompue du sujet divin dans le Christ et parlait de deux naissances du fils unique de Dieu. L’autre, celle d’Antioche, avait comme structure porteuse la dimension historique de la Révélation, et, à la lumière de He 10,5-7, mettait l’accent sur l’humanité intégrale du Fils de Dieu comme point culminant de l’histoire du salut.

Parmi les autres Églises des trois conciles , l’Eglise arménienne se considère comme disciple de Cyrille d’Alexandrie (mort en 444). Accusant les Antiochiens d’introduire un sujet humain autonome dans le Christ, Cyrille adopta la formule “une seule nature incarnée du Dieu Verbe” (mia phusis tou theou logou sesarkômenê) (Adv. Nest. 2 proem.; Ep. 40,45,46) afin d’exprimer le caractère instrumental de l’humanité du Christ : les événements de la vie de Jésus et ses actes ne sont que le prolongement “incarné” de l’activité salvifique de Dieu.

La première tentative de réconciliation entre les deux écoles fut la formule de concorde de 433 entre Jean d’Antioche et Cyrille, dernier acte du Concile d’Ephèse et matrice de la Définition du concile de Chalcédoine de 451. La Formule affirme d’une manière explicite l’humanité intégrale du Verbe incarné et sa double consubstantialité. Elle permet d’établir un lien entre les descriptions du Nouveau testament et les “deux natures” du Christ. Pourtant, tandis que la Formule affirme l’”union des deux natures” (duo phuseôn, génitif), la Définition parle du Christ “connu en deux nature” (en duo phusesin, datif avec fonction de locatif). En acceptant la Formule, Cyrille a interprété le génitif qu’elle contient dans le sens d’un ablatif, comme l’”union à partir des deux natures” (ek duo phuseôn) (Ad Johannem). Ainsi, il a placé la description de l’incarnation dans la dynamique du Credo de Nicée-Constantinople, où l’origine, exprimée par l’ablatif, dénote la consubstantialité du Fils avec le Père, ainsi que la naissance du Christ de l’Esprit-Saint et de la Vierge. Dans cette optique, l’affirmation par la Formule des deux origines du Christ, du Père et de la Vierge, signifie que le Christ ne peut pas être conçu en discontinuité avec eux; son être “homme parfait” énoncé par la Formule apparaît donc comme une conséquence nécessaire de sa seconde origine.

La Formule, en son interprétation cyrillienne, a été acceptée en Arménie, tandis que le concile de Chalcédoine fut rejeté au concile de Duin (553-5). Ce rejet est devenu définitif au VIIè siècle suite à l’échec des tentatives d’entente avec les Grecs. Après une période d’élaboration doctrinale au sein de la communion anti-chalcédonienne, la position christologique de l’Eglise d’Arménie se précisa grâce à l’oeuvre du catholicos saint Jean d’Odzoun (mort en 728) et de Khosrovik le docteur (mort vers 730), qui rejetèrent les positions extrêmes présentes dans le julianisme et dans le sévéranisme et élaborèrent une synthèse fidèle de la chistologie de Cyrille: “En disant à partir de deux, les saints Pères n’ont pas renoncé à affirmer une seule, ni, vice versa, en confessant une seule, ils n’ont pas refusé de confesser à partir de deux, mais ils ont hardiment fait resplendir deux radieux greniers d’orthodoxie, en prêchant le Christ comme deux selon les natures (c’est-à-dire les origines) et un seul selon l’unification” (Jean d’Ozoun, Contre les Phantasiastes, Venise 1833, p.57). Ici, les affirmations de l’unicité et de la dualité créent un couple antinomique, dont chaque membre est également important et sert à équilibrer l’autre. En suivant Cyrille (In Johannem 10,15), les “Miaphysites” ont refusé de reconnaître le même statut ontologique à la dimension qui relève de la theologia (la génération éternelle) et à celle qui relève de l’oiconomia(la naissance à Bethléem) : “Et même si Dieu le Verbe et son Corps vivifiant sont parfaits, chacun en soi-même, cependant on ne les rapproche pas comme ayant la même existence et le même honneur, le parfait au parfait, mais comme l’existence du Créateur unie à celle de la créature” (Khosrovik, Chapitre 1, Etchmiadzine, 1903, p. 50). Une chose est de considérer l’humanité en elle-même, une autre est de la considérer en son unification avec l’hypostase du Verbe: “Le Corps du Seigneur est humain par la nature, mais il est divin par l’unification” (Ibid.,p. 54). L’humanité que Dieu s’est approprié n’appartient plus à un homme, elle est humanité divine. En s’attachant au schéma Nicéo-constantinopolitain, les Pères arméniens réussirent à élaborer un langage christologique qui place l’Incarnation dans la perspective du salut, comme un acte souverain de la Trinité. (Le Monde de la Bible; L'Arménie mémoire de la Bible; juillet-août 2001, p. 32)


J'espère avoir apporté quelque chose au débat!

Publié : dim. 20 mai 2007 10:19
par Herve
L'émission Foi et Tradition sur France Culture du 20 mai a pour sujet Saint Grégoire de Narek.
Les actes du colloque international tenu à Rome sur le thème "St Grégoire de Narek, théologien et mystique" sont enfin disponibles. L'un de leurs auteurs, Jean-Pierre Mahé, membre de l'Institut, résume les principales interventions. Elles s'accordent toutes pour estimer que Grégoire de Narek n'a pas été uniquement le plus grand poète religieux de l'Arménie, mais qu'il a été aussi un immense théologien.
par Jean-Pierre Enkiri
L'émission est disponible à l'écoute toute la semaine à l'adresse

http://www.radiofrance.fr/chaines/franc ... /index.php

ou également à l'adresse suivante :
http://podcastorthodoxe.blogspot.com/20 ... du-20.html

Hervé

Re: Saint Grégoire de Narek - Eglise en Arménie

Publié : jeu. 17 déc. 2009 11:31
par Claude le Liseur
Un intéressant article en russe sur les Arméniens chalcédoniens sur le site de l'Université nationale d'Arménie (ici: http://armuniver.org/content/view/46/9/ ):

ВИЗАНТИЙСКАЯ ИМПЕРИЯ И МЕСТО В НЕЙ АРМЯН-ХАЛКИДОНИТОВ
А.Р Устян


(A.P. Oustian

L'Empire byzantin et la place des Arméniens-chalcédoniens)

donne notamment des listes d'Arméniens orthodoxes devenus empereur ou patriarche oecuménique.

Re: Saint Grégoire de Narek - Eglise en Arménie

Publié : dim. 03 janv. 2010 18:31
par Claude le Liseur
Encore quelques informations sur les Arméniens chalcédoniens, ces fameux dzaïths du RP Mécérian, cayt' en translittération scientifique, vraisemblablement ծայթ en arménien, Τζᾱτοι dans les textes grecs médiévaux, et tzaït selon la prononciation française la plus approchante.

Le prêtre orthodoxe Jean-Claude Roberti voit dans cette communauté un exemple «d'uniatisme non romain», ce qui me semble aller vite en besogne:
En ce qui concerne les Églises orthodoxes, les historiens se réfèrent habituellement aux Arméniens Zath de Petite Arménie et de Crimée qui ont adopté la foi et la discipline de l'Église byzantine, tout en gardant leur langue et leurs coutumes. Toutefois, les études historiques ne nous permettent pas de définir s'il s'agit d'une politique initiée par l'Église byzantine ou d'une dérive liturgique et religieuse de groupes demeurés dans les zones d'influence byzantine et séparés de leur source.
(Jean-Claude Roberti, Les Uniates, Le Cerf, Paris 1992, p. 102)
Ce texte contient au moins une erreur, puisque l'on va immédiatement voir qu'il y avait aussi des Arméniens orthodoxes en Grande Arménie, pas seulement en Cilicie et en Crimée. Le RP Roberti semble totalement ignorer l'existence des trois diocèses cayt' de la Grande Arménie, dont nous entretient l'historien orthodoxe français Jean Besse.
Quoiqu'il en soit, les trois diocèses chalcédoniens arméniens de Valachkert, Kars et Ani, ville où résidait le métropolite orthodoxe de la Grande Arménie, eurent une culture originale pleinement fidèle à leur tradition nationale et illustrée par Joseph de Constantinople et Syméon de Plindzahank. En ce dernier lieu s'élevait justement une église de style "arméno-géorgien" édifiée selon les exigences de la doctrine chalcédonienne curieusement transposées dans l'architecture sacrée.
(Jean Besse, «Chalcédoine, icône dogmatique de l'Orthodoxie», in Le sens de Chalcédoine, Monastère orthodoxe Saint-Michel, Lavardac 1993, pp. 17 s.)
Enfin, nous trouvons aussi des informations sur les ծայթ dans la contribution déjà citée du professeur Jean-Pierre Mahé. Il aborde la question telle qu'elle se posait au milieu du Xe siècle, lorsque le catholicos arménien antichalcédonien Ananie eut recours au pouvoir séculier deux sièges qui dépendaient de lui et dont les tendances orthodoxes étaient bien connues, le catholicat arménisé d'Albanie du Caucase et la métropole purement arménienne de Siwnik'. Ces événements ont déjà été racontés sur un autre fil du présent forum (ici: viewtopic.php?f=1&t=2411 ).
Outre les problèmes de hiérarchie ecclésiastique, l'émancipation des prélats de Siwnik' et d'Ałuank' posait également la question de l'administration des sacrements aux chrétiens arméniens convaincus de tendances diophysites. Stigmatisés du nom injurieux de cayt', ces derniers sont désormais au ban de la nation. Nous ne possédons malheureusement plus la troisième partie de l'Histoire d'Uxtanes, consacrée vers 987 au «baptême de la nation des cayt'» et décrivant les lieux où ils étaient implantés.
Les tenant pour de dangereux dissidents, Anania exigea qu'ils fussent mis à l'écart de l'Église et de leurs compatriotes, sauf à reconnaître leurs erreurs et à recevoir un second baptême. Pour établir la nécessité de cette mesure, il chargea les plus savants religieux de l'époque d'établir un dossier scripturaire liant la validité du baptême à la rectitude de la confession christologique. Il est fort douteux, contrairement à ce qu'on a parfois supposé, que cette décision - qui ne semble pas avoir été appliquée fort longtemps - ait été inspirée par un souci de répliquer à des mesures analogues prises du côté grec ou à des expulsions de religieux qui auraient été ordonnées par les Byzantins. En tout cas, elle ne pouvait manquer d'accroître la pression exercée sur les Arméniens diophysites à l'intérieur même du pays.
(Jean-Pierre Mahé,« L'Église arménienne de 611 à 1066», in Histoire du christianisme, tome IV, Desclée, Paris 1993, p. 510.)
Il existe peu de sources sur le sujet, et je n'y ai pas accès pour le moment. Néanmoins, si l'on met en parallèle l'ensemble de cette documentation, on peut déjà constater les faits suivants:
- contrairement au cas des Coptes où il semble qu'il y ait eu assez vite une identification totale entre l'appartenance ethnique et l'appartenance confessionnelle, beaucoup d'Arméniens, y compris dans leur hiérarchie, ont eu des sympathies orthodoxes pendant de longs siècles, de telle sorte qu'il a fallu beaucoup d'efforts aux catholicoi antichalcédoniens pour imposer l'indentification entre l'appartenance nationale et le refus de Chalcédoine;
- ceux des Arméniens chalcédoniens qui se trouvaient sous l'autorité des rois arméniens et hors de la protection de l'Empire romain ont été qualifiés du sobriquet méprisant de cayt' et mis au ban de leur nation avec une telle rigueur qu'ils semblent avoir cessé de compter à la fin du Xe siècle;
- en revanche, dans la zone d'influence byzantine, ou près de cette zone d'influence, ainsi que dans la diaspora arménienne de Cilicie et de Crimée, ont existé des diocèses arméniens chalcédoniens, gardant leur langue et leur coutume, mais rattachés au patriarcat de Constantinople, à qui a été transféré le surnom de cayt', et qui se sont maintenus jusqu'au XIIIe siècle; ces Arméniens chalcédoniens se sont ensuite fondus parmi leurs coreligionnaires de langue grecque, et je ne sais si les 3'000 Arméniens orthodoxes signalés par l'historien turc d'expression française Akgönul à Istamboul en 1930 étaient les derniers de ces Τζᾱτοι à avoir conservé une identité ethnique séparée;
- enfin, il ne faut pas confondre ce phénomène avec celui des très nombreux Arméniens chalcédoniens qui, dès le départ, avaient adopté le grec comme langue liturgique et n'ont jamais cherché à conserver leur particularisme linguistique; nous savons que c'est de cette population que sont sortis de nombreux empereurs des Romains (notamment Basile Ier) et plusieurs patriarches orthodoxes de Constantinople.

Voilà; c'est tout pour le moment; j'avais laissé la question en suspens plusieurs années de suite; j'ai indiqué ici tous les renseignements dont je disposais; peut-être en trouverais-je d'autre par la suite.

Re: Saint Grégoire de Narek - Eglise en Arménie

Publié : jeu. 07 janv. 2010 0:36
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit :- enfin, il ne faut pas confondre ce phénomène avec celui des très nombreux Arméniens chalcédoniens qui, dès le départ, avaient adopté le grec comme langue liturgique et n'ont jamais cherché à conserver leur particularisme linguistique; nous savons que c'est de cette population que sont sortis de nombreux empereurs des Romains (notamment Basile Ier) et plusieurs patriarches orthodoxes de Constantinople.
Voilà le souvenir qu'en conserve un excellent ouvrage de vulgarisation (la méthode d'arménien oriental publiée aux éditions Assimil):
Il y avait dans l'armée byzantine des contingents entiers de soldats arméniens ainsi que des chefs militaires très illustres comme Aratios, Artavazd, Hamazasp Mamikonian, sans oublier le plus célèbre de tous les chefs militaires byzantins, Narcés (époque de Justinien).
Il y eut également une multitude d'empereurs byzantins qui étaient Arméniens comme Artavazd (741), Léon V l'Arménien (813-820), etc.
Et l'Empire Byzantin (sic) atteignit son apogée durant le règne des empereurs dits "macédoniens", en fait arméniens.
Cette dynastie, qui dura plus de 150 ans, fut fondée par Basile Ier (867-886).

Rousane et Jean Guréghian, L'arménien sans peine, Assimil, Chennevières-sur-Marne 2001 (1re édition 1999), pp. 397 s.
L'article que j'ai cité plus haut, disponible en russe sur le site de l'université nationale d'Arménie, donne en outre une liste d'Arméniens qui furent patriarches œcuméniques de Constantinople nouvelle Rome:
Итак, приведем список армян-Патриархов Константинопольской церкви:

1. МЕЛИТЕС – (360)
2. ЕВДОКСИЙ – (360-370)
3. ГРИГОРИЙ БОГОСЛОВ НАЗИАНЗИН – (379-381)
4. НЕКТАРИЙ – (381-397) брат Аршака
5. ИОАНН ЗЛАТОУСТ-ХРИСОСТОМ (Сурб Ованнес Воскеберан) – (398-404)
6. АРШАК – (404-405) брат Нектария
7. АТТИК – (406-425)
8. НЕСТОРИЙ – (428-431)
9. АКАКИЙ – (471-489)
10. ИОАНН КАППАДОКИЙСКИЙ – (518-520)
11. ТАРАСИЙ – (784-806)
12. НИКИФОР – (806-815)
13. ФЕОДОТ КАССИТЕРА (815-821) иконоборец, из арм. рода Мелиссин
14. ИОАНН VII ГРАММАТИК МОРОХАРЗАНИЙ – (837-843)
15. ИГНАТИЙ – (847-858; 867-877) сын императора Михаила I или Михаила II
16. ФОТИЙ – (858-867; 877-886) брат знатного ромейского вельможи Патрика Саркиса
17. СТЕФАН – (886-893) мл. сын императора Василия I
18. НИКОЛАЙ МИСТИК – (901-907; 912-925)
19. ФЕОФИЛАКТ – (933-956) сын императора Романа I
20. СЕРГИЙ II – (1001-1019) родственник патриарха Фотия
21. КОНСТАНТИН ЛИХУД – (1059-1063)
22. ИОАНН АГАПЕТ – (1111-1134)
23. МИХАИЛ КУРКУАС – (1143-1146)
24. ФЕОДОСИЙ ВОРАДИОТ – (1179-1183)

Ma traduction:


Voici la liste des Arméniens qui furent patriarches de l'Église de Constantinople:
1. Mélitès – (360)
2. Eudoxe – (360-370)
3. Grégoire de Nazianze le Théologien– (379-381)
4. Nectaire– (381-397) frère d'Arsace
5. Jean Chrysostome, Jean Bouche d'Or (dit en arménien Sourp Ovannes Voskébéran) – (398-404)
6. Аrsace – (404-405) frère de Nectaire
7. Attique – (406-425)
8. Nestorius – (428-431)
9. Acace – (471-489)
10. Jean le Cappadocien– (518-520)
11. Taraise – (784-806)
12. Nicéphore – (806-815)
13. Théodore Cassitéras(815-821) iconoclaste, issu d'une famille arménienne de Mélitène [aujourd'hui Malatya - NdT]
14. Jean Grammatikos– (837-843)
15. Ignace – (847-858; 867-877) fils de l'empereur Michel Ier ou Michel II
16. Photius – (858-867; 877-886) frère de l'illustre dignitaire le patrice Sarkis (Serge)
17. Étienne – (886-893) fils cadet de l'empereur Basile Ier
18. Nicolas le Mystique– (901-907; 912-925)
19. Théophylacte – (933-956) fils de l'empereur Romain Ier
20. Serge II– (1001-1019) parent du patriarche Photius
21. Constantin Lichoudis– (1059-1063)
22. Jean– (1111-1134)
23. Michel Courcouas– (1143-1146)
24. Théodose Borradiotis– (1179-1183)

Je donne cette liste à titre indicatif, car elle ressemble à une revendication: on ne peut pas assimilier les patriarches Étienne ou Théophylacte à des Arméniens chalcédoniens uniquement parce qu'ils étaient apparentés à la dynastie macédonienne d'origine arménienne. En ce qui concerne saint Photios, les sources à ma disposition indiquent que c'est son père qui s'appelait Serge. Tous ces patriarches ne furent pas orthodoxes (cf. Nestorius!). C'est la première fois que j'entends parler d'une origine arménienne de saint Jean Chrysostome - qui me paraît plutôt si Grec qu'il ne connaissait pas le syriaque, bien que natif d'Antioche. En revanche, il semble que l'origine arménienne soit certaine pour Jean Grammatikos et saint Photios.
Enfin, dernière réserve de ma part, je n'ai pas trouvé trace d'un patriarche Mélitès sur la liste officielle des patriarches de Constantinople qui se trouve en ma possession (Ἡμερολόγιον του Οἰκουμενικου Πατριαρχείου ἔτους 2003[Calendrier du Patriarcat œcuménique pour l'année 2003], Thessalonique 2002, pp. 581-590).
Ces patriarches de Constantinople représentent le dernier groupe que j'ai cité dans mon message du 3 janvier 2010: celui des Arméniens hellénisés. Je n'ai pas connaissance qu'un évêque d'un des diocèses chalcédoniens de langue arménienne, bref qu'un évêque des cayt' ou dzaith ou zath ou ծայթ ou Τζᾱτοι, ait jamais été élu au trône de Constantinople. Je n'ai même pas réussi à identifier combien il y avait exactement de diocèses orthodoxes de langue arménienne, puisque le docteur Besse n'en cite que trois, tous situés en Grande Arménie (Valachkert, Kars et Ani), tandis que le RP Roberti indique qu'il y avait aussi des communautés de cayt' en Petite Arménie et en Crimée (mais avaient-ils leurs propres évêques?).

Re:

Publié : dim. 22 janv. 2012 18:11
par Nikolas
Jean-Louis Palierne a écrit :Lorsque l’iconographie orthodoxe nous représente le Pantocrator (comme dans la coupole de Sainte-Sophie de Constantinople) elle nous le représente portant un manteau rouge par dessus une tunisue bleue. Sur sa nature céleste, il revêt le manteau de notre commune nature humaine — mais telle qu’il l’avait jadis créée glorieuse pour ses ancêtrers Adan et Ève.
Au cours de ma lecture de ce passionnant fil, une phrase de Jean Louis Palierne (Eternelle mémoire) écrite en page 1 dans son message du Sam 10 Fév 2007 13:15 (viewtopic.php?p=14095#p14095 ), que j'ai souligné, m'interroge.
Peut être certains d'entre vous pourront ils y répondre.

Sur toutes les icônes du Christ que j'ai a ma disposition le Christ porte toujours un manteau bleu par dessus une tunique rouge, ce qui est l'inverse de ce que décrit Jean Louis.
Et suite à une visite virtuelle de Ste Sophie de Constantinople ( http://www.360tr.com/34_istanbul/ayasofya/english/ ) je ne trouve aucune coupole avec un Christ Pantocrator telle qu'il le décrit.

Alors je m'interroge : s'agit-il d'une erreur de sa part ? Pourtant je souscris totalement a l'explication symbolique qu'il donne dans la phrase suivante.
Et si ça en est une, que signifie alors un manteau bleu sur une tunique rouge ? Le Christ qui revêt notre nature humaine du manteau de sa nature céleste ?
Son explication décrivant la symbolique de l'incarnation du Christ et cette dernière celle de la déification du genre humain.
Ce qui expliquerait pourquoi j'ai trouvé quelque exemple du tunique bleu avec manteau rouge, pour le Christ Emmanuel.
Mais par contre jamais sur un Christ Pantocrator comme il le décrit.

J'attend vos lumières.

Re: Saint Grégoire de Narek - Eglise en Arménie

Publié : dim. 22 janv. 2012 20:37
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit : Ces patriarches de Constantinople représentent le dernier groupe que j'ai cité dans mon message du 3 janvier 2010: celui des Arméniens hellénisés. Je n'ai pas connaissance qu'un évêque d'un des diocèses chalcédoniens de langue arménienne, bref qu'un évêque des cayt' ou dzaith ou zath ou ծայթ ou Τζᾱτοι, ait jamais été élu au trône de Constantinople. Je n'ai même pas réussi à identifier combien il y avait exactement de diocèses orthodoxes de langue arménienne, puisque le docteur Besse n'en cite que trois, tous situés en Grande Arménie (Valachkert, Kars et Ani), tandis que le RP Roberti indique qu'il y avait aussi des communautés de cayt' en Petite Arménie et en Crimée (mais avaient-ils leurs propres évêques?).
Ceci étant, toujours en me basant sur la transcription phonétique de l'alphabet arménien donnée par Rousane et Jean Guréghian dans la méthode Assimil d'arménien, je pense que le nom des Arméniens chalcédoniens ծայթ doit avoir une prononciation très proche de ce que donnerait tzaït en français.

Re: Saint Grégoire de Narek - Eglise en Arménie

Publié : sam. 28 janv. 2012 18:25
par Nikolas
N'ayant toujours pas eu de réponse à mon précédant message, j'en conclu malheureusement que personne n'est en mesure de me répondre.

Je voudrais aussi poser deux questions à Claude:

Lorsque vous utiliser l'expression "Eglise arménienne grégorienne", dans votre message du 31 Oct 2006 9:09 de ce fil ou encore dans le très intéressant fil "De l'Albanie du Caucase à l'Albanie des Balkans", vous entendez par là Eglise apostolique Arménienne actuelle ?
Claude le Liseur a écrit :J'ai moi-même été pendant près de neuf ans un partisan acharné de la déclaration de Chambésy et de l'union avec les Eglises anciennes orientales. Plus j'ai progressé dans ma connaissance du dossier, plus j'ai déchanté. Et il y a d'autres problèmes que la christologie.
Je suis moi même actuellement très intéresser par ces questions, ayant été pendant plusieurs années passionnés par l'histoire et la vie de l'Eglise d'Ethiopie entre autres. Mais je connais mal les questions théologiques à ce sujet.
Peut être auriez des conseils de lecture à me donner sur le sujet?
Ou pourriez vous faire une analyse de la question sur le forum?

J'ai remarqué que dans le dernier ouvrage de Jean CLaude Larchet, Personne et nature, La Trinité - Le Christ - L’homme , collection « Théologies », Ed. Cerf, il y avait un article sur les fondements et la nature du monophysisme de l’Église arménienne.
Mais ce genre d'article peut il s'appliquer à la théologie des autres églises non-chalcédoniennes?