auteur : antoine
XB!
Katherine, à la rubrique "références" vous écrivez:
<<le synode de
Constantinople de 543 a condamné les origénistes en premier lieu parce que la théorie de l'apocatastase est une négation de la liberté des créatures de Dieu. Une telle doctrine risquait d'en engendrer d'autres semblables, pernicieuses pour la vie chrétienne. >>
Mais il y a apocatastase et apocatastase. Beaucoup de saints se sont demandés comment ils pourraient vivre dans la béatitude en sachant que leurs frères sont en enfer?
Si l'apocatastase est une permission à tous les actes sous couvert d'une
"rémission" totale alors bien evidemment cette doctrine est justement
condamnable comme l'a fait à le synode de Constantinople.
Mais si l'apocatastase est un théologoumène sur les fins dernières et la
restauration totale de la création alors elle devient une reconnaissance de la miséricorde infinie de Dieu qui noie notre liberté dans un mystère qui la dépasse et qui montre que Dieu ne se laise pas circonscrire dans nos pensées.
Voilà un texte de G. de Nysse qui ne me semble pas mériter de condamnation.
Antoine
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GRECOIRE DE NYSSE
Traité sur la parole:
« Alors le Fils lui-même se soumettra à
celui qui lui a tout soumis* »
PG44,1304-1325.
Traduction par Marlette Canévet, professeur à l'Université Strasbourg H.
Nous remercions la traductrice pour son concours et ses conseils dans la préparation de ce volume.
Ce petit traité sur la soumission du Fils selon 1 Co 15 est une occasion, pour GréCoire, de développer son idée de la disparition finale du mal et de l'omniprésence du Christ qui sera « tout en tous », soit ce qu'on appelle la doctrine de « I'apocatastase».
L'authenticité de notre traité n'est plus contestée. On peut d'ailleurs le
rapprocher du livre I du Contre Eunome ou de la Réfutation de la profession de foi d'Eunome pour ce qui est de l'explication du mot soumission.
Voir l'introduction de J. Kenneth Downing, dans son édition du traité (GreCorli Nysseni Opera dogmatica minora, vol 2, Leyden, BrilI, 1987, p. XXXIX-LI). (Note de la traductrice.)
« Alors le Fils lui-même se soumettra à
celui qui lui a tout soumis* »
1. Toutes les paroles du Seigneur sont des paroles saintes et pures, comme le dit le Prophète (Ps 11, 7), lorsque, à la ressemblance de la purification de l'argent qui se fait dans le feu, l'esprit purifié de toute opinion hérétique parvient à l'éclat propre et naturel de la vérité de ces paroles. Je pense, avant tout, qu'il faut rendre témoignage à la clarté et à la pureté des doctrines de S. Paul(1) (2 Co 12, 1-4), parce que, initié à la connaissance des choses indicibles, dans le paradis, et possédant en lui le Christ qui parlait, il disait des choses telles que peut naturellement en prononcer, sous la conduite du Verbe, son maître, celui qui est instruit à une telle école.
Puisque les mauvais trafiquants entreprennent de rendre l'argent divin de
mauvais aloi, en obscurcissant la clarté du Verbe par un mélange avec des
pensées hérétiques et fausses, ainsi que les pensées mystérieuses de l'Apôtre,
(soit par ignorance, soit parce qu'ils les reçoivent et c'est mal comme bon
leur semble), ils le tirent dans le sens qui vient au secours de leur propre
méchanceté, et disent, pour détruire la gloire du Dieu Monogène, que la parole
suivante de l'Apôtre s'accorde avec leur pensée : « Alors le Fils se soumettra à
celui qui lui a tout soumis » (1 Co 15, 28), puisqu'un tel texte manifeste une
certaine humilité servile. C'est pourquoi il a paru nécessaire d'examiner avec
soin la parole qui touche à ce sujet, afin de montrer que l'argent apostolique
est véritablement pur de toute souillure, exempt de toute pensée hérétique et
sans mélange avec elle.
Que signifie soumettre?
2. Nous savons donc que, selon l'usage de l'Ecriture sainte, un tel mot a une
pluralité de sens et ne s'adapte pas toujours aux mêmes idées, mais tantôt
signifie ceci, tantôt renvoie à cela. L'Ecriture dit par exemple: « Que les
esclaves soient soumis à leurs propres maîtres » (Tit 2, 9), et, à propos de la
nature irrationnelle, que Dieu l'a soumise à l'homme, comme dit le Prophète : «
Il a tout soumis sous ses pieds » (Ps8, 7). A propos de ceux qui sont vaincus à
la guerre, elle dit : « Il a mis des peuples et des races sous nos pieds » (Ps
46, 4). Mais, faisant mémoire de ceux qui sont sauvés grâce à la connaissance,
elle dit, comme si c'était Dieu qui parlait: « Des étrangers m'ont été soumis »
(Ps 59, 10). Et il semble que ce que nous trouvons dans le Psaume 61 est proche
de cela, quand il dit : « Mon âme ne sera pas soumise à Dieu » (Ps 61, 2). Et
par-dessus tout, l'expression que nos ennemis nous objectent, dans l'Epître aux
Corinthiens: « Alors le Fils lui-même se soumettra à celui qui lui a soumis
toutes choses » (1 Co 15, 28).
Mais puisque le sens de ce mot peut conduire à beaucoup d'idées, il serait bon
de prendre séparément chacune de ces citations en soi et de reconnaître à quel
sens du mot soumission s'apparente la parole de l'Apôtre. Nous disons donc, à
propos de ceux qui sont vaincus à la guerre par la puissance de ceux qui les
dominent, que le sens du mot soumission désigne le fait de se courber malgré soi
et par nécessité devant les vainqueurs. Car si quelque pouvoir échoit ensuite
aux prisonniers, qui leur suggère l'espoir de s'élever au-dessus de ceux qui les
dominent, alors ils se dressent en face de ceux qui les ont dominés, estimant
que le fait d'avoir été soumis à leurs ennemis est une injustice et un affront.
Dans un autre sens, les choses irrationnelles sont soumises aux rationnelles
parce que leur nature manque de ce qui est le plus grand des biens, c'est-à-dire
la raison, car il est nécessaire, selon la bonne répartition naturelle, que ce
qui manque soit soumis à ce qui possède davantage. Mais ceux qui sont dominés et
sous le joug de la servitude à cause de la conséquence d'une loi, bien que,
selon la nature, ils soient égaux, reçoivent le rang de dominés parce qu'ils
sont conduits à la soumission par l'inflexibilité de la nécessité. Enfin, le but
de notre soumission à Dieu c'est le salut, comme nous l'apprenons de la
prophétie qui nous dit: « Sois soumise à Dieu, ô mon âme. Car auprès de lui se
trouve mon salut » (Ps 61, 6 et 2).
La soumission au Fils
Donc lorsque nos ennemis(2) nous objectent la parole de l'Apôtre qui dit que le
Fils sera soumis au Père, il serait logique, étant donnée la diversité de sens
du mot, de leur demander quel sens du mot soumission ils ont en vue pour penser
qu'il faut l'appliquer au Dieu Monogène. Mais il est évident qu'ils diront qu'il
ne faut penser la soumission du Fils en aucun des sens que nous avons dits. Car
ce n'est pas en étant ennemi qu'il aurait été soumis par la guerre, de telle
sorte qu'il mette en retour ses efforts et ses espoirs dans un soulèvement
contre celui qui le domine. Ce n'est pas non plus comme une créature
irrationnelle que le Verbe subirait comme une nécessité naturelle la soumission
parce que le bien lui ferait défaut, telle la soumission du petit bétail, des
troupeaux ou des bœufs à l'égard de l'homme. Ce n'est pas non plus à la
ressemblance des esclaves achetés à prix d'argent ou nés dans la maison qu'il
attend, asservi qu'il serait par la loi, d'être libéré de sa servitude par bonté
ou par grâce. Mais, pourrait-on objecter, ce n'est pas non plus en conformité
avec le but du salut que le Dieu Monogène est soumis au Père, de telle sorte que
le salut lui serait procuré par le Père en raison de ce but et à la ressemblance
des hommes. En effet la soumission à Dieu est nécessaire pour la nature
changeante (3) qui entre dans le bien par participation, parce que c'est de là
que nous vient la communion aux biens. Mais dans la nature immuable et
inaltérable la soumission ne trouve pas de place, cette nature en laquelle on
peut distinguer tout ce qu'il y a de bon comme concept ou comme nom, l'éternité,
l'incorruptibilité, la béatitude, le fait d'être toujours le même et
l'impossibilité de devenir meilleur ou pire. Elle n'admet, en effet, aucune
addition dans le bien ni aucune inclination au mal. Car ce qui peut faire
jaillir pour les autres le salut ne manque pas lui-même de ce qui peut sauver.
La soumission de Jésus
Quel sens du mot soumission peuvent-ils raisonnablement lui appliquer de manière
propre ? Car on a trouvé que tous les sens découverts sont très loin de pouvoir
être pensés ou dits de manière propre du Dieu Monogène. Mais s'il faut ajouter
aussi cette forme de soumission dont parle l'Evangile de Luc quand il dit: « Le
Seigneur, parvenu à l'âge de douze ans, était soumis à ses parents » (cf. Lc 2,
42.5 1), il ne convient pas non plus que cela soit dit du vrai Fils qui est
avant tous les siècles par rapport à son vrai Père. Car c'est à ce moment-là que
celui qui a été éprouvé en tous points à notre ressemblance hormis le péché, a
reçu de progresser à travers les âges de notre nature: devenu comme un petit
enfant, il a pris une nourriture de nourrisson, mangeant de la crème et du miel;
puis, progressant jusqu'à l'adolescence, il n'a pas refusé ce qui correspondait
à cet âge et lui convenait, devenant par sa vie un modèle de bonne mesure.
Mais puisque, pour les autres hommes, la pensée est inachevée à ce stade et
qu'elle a besoin, à cause de sa jeunesse, d'être conduite vers le meilleur à
travers des stades plus achevés, le garçon de douze ans est soumis à sa mère,
afin qu'elle lui montre qu'il est bon que ce qui parvient à la perfection à
travers un progrès reçoive, avant d'y parvenir, la soumission comme un guide
vers le bien. Mais quand il s'agit de celui qui est toujours parfait en tout
bien, et qui ne peut accueillir en lui-même ni progrès ni diminution, parce que
sa nature se suffit à elle-même et demeure sans diminution, les gens dont tous
les propos sont inconsidérés ne sauraient dire par qui il peut être soumis. En
effet, puisque, vivant dans la nature humaine, par sa chair, il imposait, quand
il était enfant, la loi de la soumission à sa jeunesse dans tout ce qu'il
faisait, il est évident qu'à partir du moment où il parvint à la perfection de
l'âge, il n'avait plus les yeux fixés sur le pouvoir de sa mère. En effet,
lorsque celle-ci, à Cana de Galilée, l'invita à montrer sa puissance en ce qui
manquait au repas de noces et à accorder au festin l'usage du vin, il ne refusa
pas d'accorder cette faveur à ceux qui en avaient besoin, mais il repoussa
l'invitation de sa Mère comme inopportune pour lui en disant: « Qu'y a-t-il
entre toi et moi, femme? Voudrais-tu commander à cet âge qui est le mien? N'est-
elle pas encore venue l'heure qui donne à mon âge l'indépendance et la
liberté(4)» (cf. Jn 2, 4).
La soumission à venir
Si donc dans la vie selon la chair la mesure propre à cet âge vient secouer la
soumission à celle qui l'a enfanté, personne ne pourrait dire quelle place tient
la soumission pour celui qui, par sa puissance, est le maître du siècle lui-même.
Car le propre de la vie divine et bienheureuse c'est de demeurer toujours dans
le même état et de ne pas admettre de changement qui provienne d'une altération.
Donc puisque celui qui était au commencement, le Dieu Monogène, est étranger à
tout progrès et à toute altération, comment donc ce qui n'existe pas maintenant
existe-t-il ensuite? Car l'Apôtre ne parle pas comme si le Fils était toujours
soumis, mais comme s'il devait être soumis à la fin de l'accomplissement du
monde.
Cependant si l'on peut dire que la soumission est quelque chose de bon et de
digne de Dieu, comment le bien est-il maintenant absent de Dieu ? Car le bien
est équivalent pour les deux, le Fils qui est soumis et le Père qui reçoit la
soumission du Fils. Un tel bien manque donc à l'heure actuelle au Père et au
Fils, et ce que ni le Père ni le Fils n'avaient avant les siècles s'ajoutera au
Père et au Fils à l'accomplissement des temps, l'un endurant la soumission,
l'autre obtenant grâce à elle une addition et une augmentation de sa propre
gloire qu'il n'a pas jusqu'au temps présent. Où se trouve donc dans tout cela
l'absence de changement ? Le fait que quelque chose survienne après, qui
n'existe pas maintenant, est, en effet, le propre de la nature changeante. Si la
soumission est un bien, il convient de croire que ce bien existe maintenant pour
Dieu ; si une telle chose est indigne de Dieu, il convient de croire qu'elle
n'existe pour lui ni maintenant ni à un autre moment. Or l'Apôtre dit qu'à ce
moment-là le Fils sera soumis à Dieu son Père, et non pas qu'il lui est soumis
maintenant. Cette parole vise donc un autre but, et la signification de ce mot
est loin de la pensée erronée des hérétiques(5).
Le contexte de l'affirmation paulinienne
3. Quelle est donc cette parole? Peut-être en verrait-on mieux le sens d'après
le contexte de ce qui est dit dans ce passage. Puisque ce discours est une
controverse avec les Corinthiens qui avaient accueilli la foi dans le Seigneur,
mais pensaient que la doctrine de la résurrection des hommes était un mythe, en
disant: « Comment les morts ressusciteront-ils et avec quel corps reviendront-
ils (1 Co 15, 35), eux dont les corps sont allés à leur disparition après leur
mort de mille manières et sous mille formes, ou bien par pourrissement, ou bien
parce qu'ils furent détruits par des animaux carnivores, rampant, nageant,
volant, ou dotés de quatre pattes ? » C'est pourquoi l'Apôtre leur a suggéré
bien des raisons, les persuadant qu'il ne faut pas comparer la puissance de Dieu
à la leur propre en attribuant à Dieu les mêmes impossibilités que celles des
hommes, mais qu'il faut conjecturer la grandeur du pouvoir divin d'après les
exemples que nous connaissons.
Il leur propose ainsi l'action miraculeuse, en ce qui regarde les corps, des
semences qui sont toujours renouvelées par la puissance divine(6), et il montre
que la sagesse divine n'a pas cessé de trouver dans le tout des multitudes de
formes corporelles, rationnelles, irrationnelles, aériennes, terrestres, ou qui
nous apparaissent dans le ciel, le soleil et les autres astres, dont chacune
vient à l'être par la puissance divine et qui nous prouvent que, pour la
résurrection, Dieu n'est pas en peine de nos corps. En effet, si tous les êtres
n'ont pas été transformés à partir d'une matière sous-jacente pour se manifester,
mais si c'est la volonté divine qui est devenue matière et substance de tout ce
qui a été fait, il est bien plus possible(7) de ramener ce qui existait déjà à
sa propre forme que de faire parvenir à l'existence et à l'être ce qui à
l'origine n'existe pas.
Il leur montre donc dans les paroles qu'il leur adresse que le premier homme
s'étant dissous dans la terre à cause du péché, et étant appelé pour cette
raison terrestre, il s'ensuit que ceux qui naissaient d'un tel homme après lui
étaient eux aussi, à partir de lui, terrestres et mortels. Il déduit aussi
nécessairement le deuxième enchaînement par lequel l'homme est restauré dans ses
éléments, de mortel devenant immortel, et dit que le bien se produit dans la
nature, répandu à partir d'un seul en tous, tout comme le mal s'était répandu à
partir d'un seul dans la multitude, en s'étendant par la succession de ceux qui
viennent par la suite. Et il se sert des mots suivants, en établissant la
doctrine qui touche à ce sujet: « Le premier homme tiré de la terre est
terrestre; mais le second vient du ciel. Tel le terrestre, tels aussi les
terrestres, et tel le céleste, tels aussi les célestes. Et de même que nous
avons porté l'image du terrestre, de même nous porterons aussi l'image du
céleste » (1 Co 15, 47-49).
La résurrection universelle
4. Ayant affermi son discours sur la résurrection par de telles raisons et
d'autres du même genre, et ayant enchaîné les hérétiques par des raisonnements
dans lesquels il démontre que celui qui ne croit pas à la résurrection des
hommes ne doit pas non plus admettre celle du Christ, il établit, en combinant
les raisonnements liés entre eux, le caractère inéluctable des conclusions, en
disant: « S'il n'y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas
ressuscité. Si le Christ n'est pas ressuscité, vaine est notre foi en lui » (cf.
1 Co 15, 13 et 17). Car si la prémisse est vraie, à savoir que le Christ est
ressuscité des morts, il faut absolument que ce qui la suit soit vrai, à savoir
qu'il y a une résurrection des morts. Car en même temps que la démonstration
partielle le tout se trouve démontré. Et, à nouveau, si quelqu'un dit que le
tout est faux, à savoir qu'il y a une résurrection des morts, on ne pourra pas
dire non plus que le partiel soit vrai, à savoir que le Christ est ressuscité
des morts. Si le général est impossible, il est absolument impossible aussi dans
l'un de ses éléments. Mais ceci est objet de foi pour ceux qui accueillent le
Christ et incontestable, à savoir que le Christ est ressuscité des morts.
Nécessairement dans la foi en la résurrection du Christ qui touche un cas
partiel sera comprise la foi dans le tout.
Ainsi, les ayant donc contraints par le raisonnement accepter la doctrine (car
ce qui d'une manière générale n'existe pas, ne peut pas non plus exister dans un
cas particulier. Si donc nous croyons qu'il est ressuscité, une telle foi
devient la preuve de la résurrection générale des hommes), et ayant ajouté au
discours auquel aboutit l'établissement de la doctrine cette parole: « De même
que tous meurent en Adam, de même aussi dans le Christ tous sont vivifiés » (1
Co 15,22), il dévoile avec sagesse ce vers quoi regarde ce mystère en conduisant
son discours dans les phrases suivantes par un enchaînement nécessaire vers la
fin des choses qu'on espère.
La victoire du Ressuscité
Voici le but de ce qui est dit. J'exposerai d'abord le sens de ce qui est écrit
dans mes propres termes; ensuite j'y joindrai la parole de l'Apôtre qui
s'accorde avec mon propre exposé.
Quel est donc le but de la parole que le divin Apôtre enseigne dans ce passage ?
Le voici. Un jour la nature du mal s'en ira vers le néant(8), elle sera
entièrement effacée de l'être, et la divine et pure Bonté contiendra en elle-
même toute la nature rationnelle, car rien de ce qui vient par Dieu à
l'existence ne manquera au Royaume de Dieu lorsque tout le mal qui a été mêlé
aux êtres sera dissous par la purification du feu, au creuset, comme une scorie,
et que tout ce qui tient son existence de Dieu redeviendra tel qu'il était au
commencement lorsqu'il n'avait pas encore accueilli le mal(9).
Et l'Apôtre dit que cela se produira ainsi. La divinité pure et intacte du Fils
est venue dans la nature mortelle et périssable des hommes. De toute la nature
humaine à laquelle le divin a été mêlé, l'homme dans le Christ est ressuscité
comme prémices de la pâte commune, et, par lui, tout l'humain a été uni à la
divinité(10). Puisque en lui toute la nature du mal a été effacée, «lui qui n'a
pas commis de péché », selon le mot de l'Apôtre:
«On n'a pas trouvé de ruse dans sa bouche » (cf. Is 53, 9), et que, en même
temps que le péché, a été effacé ce qui l'accompagne, c'est-à-dire la mort (car
il n'y a pas d'autre origine à la mort que le péché), alors, à partir de lui
l'effacement du péché a commencé ainsi que la dissolution de la mort et, ensuite,
un certain ordre selon un certain enchaînement s'est introduit dans les
événements.
Soumission et victoire sur le mal
En effet, dans l'ordre décroissant du bien, chaque chose, qu'elle se trouve plus
éloignée ou plus proche du premier, suit celle qui la précède, en proportion de
sa dignité et de sa puissance. De la sorte, à la suite de l'homme dans le Christ,
devenu prémices de notre nature en recevant lui-même la divinité, - lui qui est
devenu prémices de ceux qui se sont endormis et premier-né d'entre les morts,
parce qu'il a supprimé les souffrances de la mort à la suite de cet homme, dis-
je, qui a été complètement séparé du mal et qui a rendu inopérante en lui la
force de la mort dont il a détruit tout le pouvoir, les possibilités et la
puissance, tout homme qui sera trouvé semblable à Paul (Paul qui devenu autant
qu'il le pouvait imitateur du Christ dans la séparation d'avec le mal), suivra «
les prémices » (le Christ) au moment de la Parousie.
Ensuite viendra (je le dis à titre d'hypothèse), si cela se trouve, Timothée,
lui qui a imité autant que possible son maître, ou bien quelqu'un d'autre. Ainsi
de suite, viendront tous ceux que, en proportion de leur relâchement dans le
bien, l'on trouvera derrière ceux qui les précèdent, jusqu'à ce que
l'enchaînement des gens qui se suivent parvienne jusqu'à ceux en qui la part de
bien sera trouvée plus petite que l'abondance du mal (11).
Selon le même mouvement, l'enchaînement qui va de ceux qui sont les moins
mauvais jusqu'à ceux qui excellent dans le mal constituera l'ordre de ceux qui
reviennent vers le meilleur, jusqu'à ce que le progrès du bien parvienne
jusqu'au comble du mal pour anéantir ce mal'.
Or c'est la fin de notre espérance que rien de ce qui s'oppose au bien ne
subsistera, mais la vie divine se répandra en tout et chassera complètement la
mort des êtres en ayant au préalable détruit le péché duquel, comme nous l'avons
dit, la mort tient sa royauté sur les hommes(12).
Lorsque toute puissance mauvaise et tout pouvoir mauvais auront été détruits et
qu'aucune passion ne dominera plus notre nature, nécessairement, puisque rien ne
dominera rien, tout sera soumis à la puissance qui s'exerce sur tout. Et la
séparation absolue d'avec le mal est la soumission à Dieu. Donc lorsque, à
l'imitation des prémices, nous serons tous sortis du mal, alors la pâte tout
entière de notre nature, mêlée aux prémices et devenue un seul corps continu,
accueillera en elle-même l'hégémonie du seul bien. Et ainsi le corps entier de
notre nature ayant été mêlé à la nature divine et intacte, ce qu'on appelle la
soumission du Fils se produira en nous, car la soumission ainsi accomplie dans
son corps sera attribuée à celui qui a effectué en nous la grâce de la
soumission(13).
Dieu tout en tous
5. Voilà donc les enseignements de Paul, du moins tels que nous les comprenons.
Il est temps maintenant d'y ajouter les paroles mêmes de Paul, qui sont les
suivantes : « Comme tous meurent en Adam, dans le Christ tous recevront la vie,
mais chacun à son rang d'abord les prémices, le Christ, puis ceux qui
appartiennent au Christ lors de sa venue, ensuite viendra la fin, quand il
remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute domination, toute
autorité, toute puissance. Car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis ses
ennemis sous ses pieds. Mais quand il dira : 'Tout est soumis', c'est évidemment
à l'exclusion de celui qui lui a tout soumis. Et quand toutes choses lui auront
été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a tout soumis
pour que Dieu soit tout en tous. » Dans la dernière de ces paroles,
l'inconsistance du mal est clairement posée par le texte quand il dit que Dieu
sera en tout, étant devenu tout en chacun. En effet, il est évident que le fait
que Dieu sera en tout deviendra vrai lorsqu'on ne verra plus aucun mal dans les
êtres. Car il n'est pas vraisemblable que Dieu soit dans le mal. Si bien que, ou
Dieu ne sera pas en tout tant qu'un peu de mal sera laissé dans les êtres, ou
alors, s'il faut véritablement croire qu'il est en tout, on démontre par cette
même foi qu'il n'y a pas de mal. Il n'est pas possible, en effet, que Dieu soit
dans le mal (14).
Quant au fait que Dieu devienne tout pour les êtres, il montre le caractère
simple et uniforme de la vie que nous espérons. Car le texte établit que notre
vie ne sera plus un rassemblement de choses nombreuses et variées comme notre
vie actuelle, quand il dit que Dieu sera pour nous tout ce qui semble nous être
nécessaire dans cette vie, chaque chose étant transformée selon une certaine
analogie en quelque chose de plus divin. Si bien que Dieu sera pour nous
nourriture, dans la mesure où il est vraisemblable de manger Dieu, et boisson,
et de même vêtement, abri, air, lieu, richesse, jouissance, beauté, santé, force,
pensée, gloire, béatitude, et tout ce qu'on peut juger de bien et dont manque
notre nature, en accordant la signification des mots avec ce qui convient à Dieu.
On peut ainsi apprendre que celui qui est en Dieu possède tout du fait qu'il
possède Dieu. Et posséder Dieu n'est rien d'autre que d'être uni à Dieu. Et
personne ne peut être uni à Dieu sinon en devenant un seul corps avec lui, selon
le terme de Paul. Nous tous en effet unis au corps unique du Christ, par cette
participation, nous devenons son corps unique.
Tout le corps ecclésial sera soumis
Donc lorsque le bien se sera répandu en tout, alors son corps tout entier sera
soumis à la puissance vivifiante, et ainsi la soumission de ce corps sera dite
être la soumission du Fils lui-même mêlé à son propre corps qui est l'Eglise
(15). C'est ce que dit l'Apôtre aux Colossiens en ces termes: « En ce moment je
trouve ma joie dans mes souffrances, et je complète dans ma chair ce qui manque
aux épreuves du Christ pour son corps qui est l'Eglise, car je suis devenu
ministre de l'Eglise selon l'économie(16) » (Col 1, 24-25). Et il dit à l'Eglise
des Corinthiens : « Vous êtes le corps du Christ, membres chacun pour sa part »
(1 Co 12, 27). 11 expose cet enseignement plus clairement aux Ephésiens en
disant: «Véridiques dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers
celui qui est la tête, le Christ, dont le corps tout entier reçoit concorde et
cohésion par toutes sortes de jointures qui lui fournissent l'énergie, opérant
sa croissance selon la mesure de chacun pour sa propre édification dans la
charité » (Ep 4, 15-16). Si bien que le Christ se construit lui-même par le
moyen de ceux qui s'y ajoutent successivement dans la foi. Il cessera de se
construire lui-même lorsque la croissance et la perfection de son corps seront
parvenues à leur propre mesure, et qu'il ne restera plus rien à ajouter à ce
corps pour sa construction, car tout aura été construit sur le fondement des
Prophètes et des Apôtres, et ajouté par la foi, lorsque, comme dit l'Apôtre:
«Nous parviendrons tous ensemble à l'unité de la foi et de la connaissance du
Fils de Dieu, jusqu'à l'homme parfait à la mesure de l'âge de la plénitude du
Christ » (Ep 4, 13).
Si donc lui qui est la tête construit le corps qui lui fait suite par ceux qui
lui sont successivement adjoints, en les ajustant et les réunissant chacun à ce
qui lui est naturel, selon la mesure de son énergie pour qu'il devienne main,
oeil, pied, ouïe, ou quoi que ce soit qui contribue à la plénitude du corps,
selon l'analogie de la foi de chacun, et si en faisant cela il se construit lui-
même, comme on l'a dit, il sera évident ainsi que, étant en tout, il reçoit en
lui-même tous ceux qui lui sont unis par communion de son corps et qu'il les
fait tous membres de son propre corps, si bien que « les membres sont nombreux
et unique le corps » (1 Co 12, 20).
Le salut cosmique
Celui donc qui nous a unis à lui et qui s'est uni à nous, et qui en tout est
devenu un avec nous, s'approprie tout ce qui est nôtre. Et la soumission au
divin est le sommet de nos biens lorsque toute la création sera en accord avec
elle-même, et que « tout genou fléchira devant lui, les êtres célestes,
terrestres et infernaux, et que toute langue proclamera que Jésus Christ est le
Seigneur » (Ph 2, 10-11). Alors toute la création étant devenue un seul corps et
tous étant unis les uns avec les autres en lui par l'obéissance, il rapportera à
lui-même la soumission de son propre corps au Père (17).
Que personne ne s'étonne de ces propos. En effet, nous-mêmes nous avons une
certaine habitude d'attribuer à l'âme ce qui arrive par notre corps. Ainsi celui
qui s'entretenait avec son âme de la fertilité de son champ lui dit: « Mange,
bois, réjouis-toi » (cf. Lc 12, 19), en rapportant à son âme la satisfaction de
son corps. De même ici aussi la soumission du corps de l'Eglise est rapportée à
celui qui habite dans le corps.
Et puisque tout ce qui est en lui sera sauvé et que le salut est signifié par le
mot de soumission, selon ce que le Psautier nous invite à penser, logiquement
nous apprenons, dans ce passage de l'Apôtre, à croire qu'il n'y aura plus rien
en dehors des sauvés. Le texte nous signifie cela à travers la purification de
la mort et la soumission du Fils, car toutes ces paroles sont en accord les unes
avec les autres, le fait qu'il n'y aura plus de mort, et le fait que tous seront
dans la vie. Or le Christ est vie, lui qui introduit selon la parole de l'Apôtre
tout son corps auprès du Père lorsqu'il remettra la royauté à Dieu le Père. Son
corps, comme il a été dit bien des fois, c'est toute la nature humaine à
laquelle il a été mêlé(18).
C'est en ce sens que Paul a nommé le Seigneur « médiateur entre Dieu et les
hommes » (1 Tm 2, 5). Car celui qui est dans le Père et qui est venu chez les
hommes accomplit l'œuvre de médiation en les unissant tous à lui et par lui au
Père, comme le dit le Seigneur dans l'évangile en s'adressant au Père : « Afin
que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'ils soient
eux aussi un en nous » On 17, 21). Ce texte proclame clairement que c'est en
nous unissant à lui qui est dans le Père qu'il nous procure par lui-même l'union
avec le Père.
Le Fils et l'Esprit
Et les paroles de l'évangile qui suivent concordent avec ce que nous venons de
dire: « La gloire que tu m'as donnée, je la leur donne » On 17, 22). Je pense
qu'ici il appelle gloire l'Esprit Saint qu'il a insufflé à ses disciples. Il
n'est pas possible que ceux qui étaient séparés les uns des autres soient unis
autrement qu'en étant réunis par l'unité de l'Esprit, car « si quelqu'un n'a pas
l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas »(Rm 8, 9). Or l'Esprit c'est la
gloire, comme il dit ailleurs à son Père: « Glorifie-moi de la gloire que
j'avais au commencement auprès de toi, avant que le monde soit » On 17, 5). Car
le Dieu Verbe qui avait, avant que le monde soit, la gloire du Père, et ensuite,
aux jours ultimes, est devenu chair, est Dieu, et il fallait que la chair, par
union avec le Verbe, devînt ce qu'est le Verbe. Et elle le devient en recevant
ce que le Verbe avait avant le monde, c'est-à-dire l'Esprit Saint. Car rien
n'est préexistant sinon le Père, le Fils et l'Esprit Saint. C'est pourquoi il
dit ici aussi: « La gloire que tu m'as donnée, je la leur donne, afin que par
elle ils soient unis à moi et par moi à toi (19). »
Unité réalisée
6 Voyons aussi ce qui suit dans l'évangile: « Afin qu'ils soient un comme nous
sommes un, toi en moi et moi en eux, parce que toi et moi nous sommes un; afin
qu'ils Soient parfaits dans l'unité » (cf. Jn 17, 21 et 23). Ces paroles n'ont
besoin d'aucune exégèse, je crois, pour s'adapter à la pensée que nous proposons,
car la lettre elle-même expose cette doctrine. « Afin qu'ils soient un comme
nous sommes un. » Il est impossible en effet que tous deviennent un « comme nous
sommes un » autrement qu'en étant séparés de tout ce qui les divise les uns les
autres pour être unis à nous qui sommes un. « Afin qu'ils soient un comme nous
sommes un. » Comment cela peut-il se faire? « Parce que je suis en eux. » Il est
impossible, en effet, que je sois seul en eux, mais tu l'es aussi sans aucun
doute, car « toi et moi nous sommes un ». Et c'est ainsi qu'ils deviendront «
parfaits dans l'unité », eux qui atteignent leur perfection en nous, car « nous
sommes l'unité ».
Il signifie d'une manière plus claire une pareille grâce dans la phrase qui suit
par ces mots: « Tu les as aimés comme tu m'as aimé » jn 17, 23). En effet, si le
Père aime le Fils et si nous sommes tous dans le Fils, nous qui sommes devenus
par notre foi en lui son propre corps, nécessairement celui qui aime son propre
Fils aime aussi le corps de son Fils comme son Fils lui-même. Or ce Corps c'est
nous. La pensée de l'Apôtre est donc claire à travers ces paroles : la
soumission du Fils à son Père signifie la connaissance de l'être et le salut de
toute la nature humaine.
Mais cette parole nous deviendrait plus claire encore grâce à d'autres pensées
de l'Apôtre, dont je ne vous citerai qu'une seule, en écartant la multitude des
témoignages par souci de ne pas étendre surabondamment mon discours. Paul dit,
en effet, quelque part dans ses discours : « Je suis crucifié avec le Christ. Je
vis, non plus moi, mais c'est le Christ qui vit en moi »(Gal 2, 19-20). Donc si
Paul ne vit plus, lui qui est crucifié pour le monde, mais si c'est le Christ
qui vit en lui, tout ce qui existe chez Paul et que l'on dit à son sujet se
rapporte avec raison au Christ qui vit en lui. Et, de fait, celui qui dit : «
Cherchez-vous la preuve que le Christ parle en moi? » (2 Co 13, 3) dit bien que
les paroles de Paul sont prononcées par le Christ. Et il ne dit pas que ses
activités en faveur de l'évangile sont les siennes, mais il les attribue à la
grâce du Christ qui habite en lui. Si donc on peut dire que le Christ qui vit en
lui accomplit ses actions et prononce ses paroles, et si Paul, s'étant éloigné
de tout ce qui le possédait auparavant lorsqu'il blasphémait, pourchassait et
manifestait sa violence, regarde vers le seul vrai bien et se rend obéissant et
soumis à ce bien, alors la soumission de Paul à l'égard de Dieu ne se rapporte-t-
elle pas à celui qui vit en lui et qui dit et fait le bien en lui? Car le sommet
de tous les biens c'est la soumission à Dieu(20).
Soumission universelle
Mais ce que nous avons dit d'un seul peut s'appliquer avec raison à l'ensemble
de la création humaine lorsque, comme le dit le Seigneur, l'évangile se répandra
dans le monde entier. Car, quand tous auront rejeté le vieil homme avec ses
actions et ses désirs et accueilli en eux le Seigneur, nécessairement celui qui
vit en eux accomplira les oeuvres qu'ils feront. Or le comble de tous les biens
c'est le salut qui se produit pour nous par la séparation du mal. Et l'on ne
peut s'écarter du mal qu'en étant mêlé à Dieu par la soumission. La soumission à
Dieu elle-même est attribuée à celui qui vit en nous. L'un des Prophètes dit en
effet: « S'il y a quelque chose de beau, c'est à lui, et s'il y a quelque chose
de bien, cela vient de lui » (cf. Jc 1, 17). Puisque la soumission est belle et
bonne, on a donc démontré qu'elle lui appartient, et le bien de cette soumission
vient sans conteste de celui de qui vient la nature de tout bien, comme dit le
Prophète.
Que personne donc n'aille rejeter le mot de soumission en considérant le mauvais
usage qu'on en fait en général. La sagesse du grand Paul sait en effet se servir
librement des mots comme bon lui semble, et ajuster le sens des mots
àl'enchaînement propre de sa pensée, même si l'habitude conduit le mauvais usage
du sens littéral vers d'autres idées. Car d'où prend-il l'usage de : « Il s'est
anéanti lui-même » (Ph 2, 7), et de : « Personne n'anéantira ce motif d'orgueil
qui est le mien » (1 Co 9, 15), et de: «La foi est néant » (Rm 4, 14), et : «
Afin que la croix du Christ ne soit pas anéantie pour moi » (1 Co 1, 17) ? A
partir de quel usage a-t-il accepté ces mots dans son propre discours? Qui le
jugera lorsqu'il dit: «Ayant pour vous de l'affection » (1 Th 2, 8), expression
par laquelle il désigne son sentiment d'amour? D'où vient qu'il désigne
l'humilité de l'amour par l'expression « ne pas s'enfler » (cf. 1 Co 13, 4)? Et
l'amour des disputes, querelleur et prompt à se défendre, comment peut-il le
désigner par le mot de eritheia (rivalité), alors qu'il est évident pour tous
que, en dehors de l'Ecriture, c'est le mot de erithos (fileuse) qui dérive de
eriourgia (travail de la laine) et que nous avons l'habitude de désigner par
eritheia l'effort que l'on dépense pour fabriquer de la laine ? Mais grand bien
fasse â Paul de ces étymologies vaines grâce auxquelles il donne le sens qu'il
veut aux expressions qu'il veut. Et ceux qui cherchent bien trouveraient
beaucoup d'autres expressions, parmi les paroles de l'Apôtre, qui ne sont pas
asservies à l'usage habituel, mais qui sont prononcées par lui, en toute liberté,
en fonction d'une idée qui lui est propre, sans qu'il fasse attention à
l'habitude.
La réconciliation
Ici aussi la signification du mot « soumission » revêt de la part de Paul un
autre sens que celui des idées communes. Ce que montre le discours, c'est que,
dans ce passage non plus, la soumission des ennemis dont Paul fait mention ne
comporte pas quelque chose d'obligatoire et d'involontaire, comme le voudraient
ceux qui sont asservis à l'usage habituel; mais c'est clairement leur salut qui
est signifié par le mot de soumission. La preuve en est le fait que le mot «
ennemi » est divisé par Paul, dans ce passage, en deux sens: parmi les ennemis,
en effet, il dit que les uns seront soumis et les autres détruits. L'ennemi
naturel sera détruit, à savoir la mort, ainsi que le pouvoir, la liberté et la
puissance du péché qui l'accompagnent. Mais ceux qui, en un autre sens, sont
dits ennemis de Dieu seront soumis, eux qui ont déserté le royaume pour passer
au péché, et dont Paul fait mention dans le discours aux Romains quand il dit: «
Si, en effet, quand nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec
lui » (Rm 5, 10). Ce qu'il appelle ici soumission, il l'appelle là
réconciliation. Et c'est une idée unique qui désigne par deux mots différents le
salut. De même, en effet, que la soumission fait que nous sommes sauvés, de même
il dit dans un autre passage : « Réconciliés nous serons sauvés dans sa vie »
(Rm 5, 10). Il dit, d'une part, que de tels ennemis seront soumis à Dieu le Père,
et, d'autre part, que la mort et son pouvoir n'existeront plus. C'est ce que
montre, en effet, l'expression: « être détruit ». Si bien qu'il devient ainsi
évident que la puissance des maux sera rendue complètement inactive, mais ceux
qui ont été appelés ennemis de Dieu à cause de leur désobéissance deviendront
amis du Seigneur par leur soumission, lorsqu'ils obéiront à celui qui dit:
«C'est au nom du Christ que nous sommes en ambassade, car Dieu vous appelle par
notre bouche. Nous vous le demandons au nom du Christ, réconciliez-vous avec
Dieu » (2 Co 5, 20) et, selon la promesse de l'évangile, une fois réconciliés, «
vous ne serez plus comptés par le Seigneur parmi les esclaves, mais parmi ses
amis »(cf.Jn 15, 15).
Nous comprendrons, je crois, d'une manière conforme à la piété les paroles : «
Il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis ses ennemis sous ses pieds », si
nous entendons par le fait de régner l'idée d'être le meilleur. Le Puissant dans
le combat cessera, en effet, d'être le meilleur lorsque, rassemblant tout son
royaume, en unissant tout à lui, il l'amènera devant Dieu le Père. Le fait de
remettre sa royauté au Père a le même sens que mener tous les hommes devant Dieu,
lui (le Christ) par qui nous obtenons d'être amenés vers le Père, dans un
unique Esprit (21). Quand les ennemis d'autrefois seront devenus « l'escabeau
sous les pieds » (Ps 109, 7; He 1, 13) de Dieu, en recevant en eux la trace
divine et que la mort sera détruite (si personne ne meurt plus, la mort finira
de subsister), alors la soumission de nous tous soumission qui n'a rien d'une
humiliation servile se présentera comme une royauté, une incorruptibilité, une
béatitude. Celui «qui vit en nous », Paul dit qu'il sera soumis à Dieu, lui qui
parfait notre bien par sa propre personne et accomplit en nous ce qui lui plaît
à lui-même.
Voilà ce que, à la mesure de notre intelligence, nous avons compris de la
sagesse de Paul dans ce passage, autant que nous le pouvons. Nous voulions
montrer que le but visé par l'Apôtre, en composant le présent discours, n'était
pas d'examiner les chefs de file des doctrines hérétiques. Si donc tu trouves
dans ce qui a été dit une richesse suffisante pour la présente recherche, il
faut en rendre grâce à Dieu. Mais s'il te semblait qu'il manque encore quelque
chose, nous accueillerons de bon cœur le complément que tu apporteras à ce qui
manque, si du moins tu dévoilais à notre connaissance, par écrit, ce qui est
caché, et si l'Esprit Saint nous le découvrait dans la prière.
NOTES
1 Le texte commenté est I Co 15, 28, fort débattu dans la controverse arienne.
Sur lui repose tout le traité.
2 GréCoire vise les ariens qui utilisaient le texte paulinien pour affirmer le
LoCos inférieur au Père. Théodoret rapporte que ces hérétiques avaient sans
cesse ce verset à la bouche (Lettres pauliniennes, PG 82, 357).
3 Notion fondamentale chez GréCoire de Nysse : tout ce qui est créé, tout ce qui
est humain est soumis au changement. L'homme doit librement choisir le bien.
Voir Création de l'homme, 13, PDF 23, p. 77.
4 Dans la mouvance anti-arienne, GréCoire semble minimiser l'autonomie de la
nature humaine, qui n'est pas liée à l'enfance mais à sa condition. Il glisse de
la nature à la personne divine qui l'assume.
5 La polémique oblige l'évêque à durcir sa formulation, en semblant affirmer que
l'humanité du Christ n'était pas par définition soumise au changement.
6 Voir l'Homélie pascale 1.
7 Le texte grec est corrompu ici. Notre traduction est donc approximative (Note
de la traductrice).
8 GréCoire affirme à diverses reprises, comme ici, la finitude du mal, lié au
temps. Tout en maintenant la littéralité des textes bibliques sur le feu
inextinguible, le Nyssène en donne son interprétation théologique, résumée par J.
Daniélou : « Il y a après la résurrection pour les grands pécheurs des
supplices terribles, mais ces supplices sont des purifications et ils
atteindront un terme » GréCoire de Nysse, Cours dactylographié, p. 184.
9 Pour GréCoire, il faut regarder en avant pour comprendre les origines. La fin
éclaire le commencement. «Regarde les temps de la fin et tu comprendras ceux du
début » Ecclésiaste, hom. 1. Voir J. Daniélou, Comble du mal et eschatologie
chez GréCoire de Nysse, Baden-Baden, FestschriftJ. Lortz, 1958, p. 27-45.
10 Texte fondamental : l'assomption de l'humanité par le Fils purifie et
transforme «toute la pâte humaine », elle détruit le mal, efface la nature du
mal (péché et mort) et devient principe de résurrection universelle.
11 Une fois de plus GréCoire affirme la victoire complète du Christ sur toute
forme de mal.
12 L'assurance, l'espérance de GréCoire reposent sur l'incommensurable distance
du mal et du péché de l'homme à la miséricorde divine. «Le vice ne peut aller
jusqu 'à l'illimité, mais contenu dans ses bornes, selon toute logique, il passe
au bien» Création de l'homme, 21, PDF 23, p. 116-i 17. «Même si le péché
augmentait infiniment, la miséricorde de Dieu le dépasserait toujours de sa
grandeur, elle qui est plus haute que la hauteur des cieux», In Ps8. Urs von
Balthasar ajoute : «La bonté ontologique de Dieu est infiniment supérieure à 'la
malice et au néant du péché' », Présence et pensée, p. 59.
13 Texte bien mis en lumière par Emile Meersch, Le Corps mystique du Christ,
Paris, 1936, p. 456. il est d'une densité qu'il faut bien cerner. Première idée-
force Unité ontologique de la nature humaine, au plan de Dieu et dans le
déroulement de l'histoire ; Adam signifie l'homme total et tous les hommes. La
résurrection de l'humanité du Christ implique la victoire de tout le corps qu'il
a assumé, donc de l'humanité qui forme un tout. « L'unité théologique du corps
du Christ est entièrement basée sur cette unité philosophique. Le Christ total
n'est autre que l'humanité totale. Comment alors la face du Christ serait-elle
toute radieuse et tournée vers le Père, si certains traits de ce visage, de
cette unique et indivisible image du Père, restaient déformés par le péché? »
Urs von Balthasar, Présence et pensée, p. 59.
14 A trois reprises, GréCoire affirme la destruction finale de toute forme de
mal, appelé à disparaître.
15 Explication qui vient d'Origène, Principes, III, 5, 6 - 6, 9.
16 GréCoire, après l'Apôtre, confesse que le corps ecclésial doit souffrir à son
tour la passion du Christ pour lui permettre de prendre sa pleine stature.
17 Les perspectives de l'œuvre salvifique s'étendent au cosmos tout entier. Dans
l'Homélie pascale 2, l'évêque avait déjà développé la dimension cosmique et
universelle de la croix. Elle reparaît ici.
18 Nouvelle affirmation de l'unité ontologique de l'humanité entière.
19 La transformation du chrétien à l'image de Dieu est une oeuvre trinitaire,
action conjointe du Fils et de l'Esprit dont le terme est le rattachement du
corps entier comme de chacun de ses membres au Père, source et terme de toute
l'économie du salut.
20 Les actions de la vie spirituelle ne sont que l'expression de cette
obéissance envers le Père. Cette sujétion nous vient du Christ, elle est en lui,
comme en son principe vital, c'est lui qui la communique à tout son corps. C'est
donc lui qui opère en nous, en mobilisant notre liberté. GréCoire puise
conjointement ici aux deux sources paulinienne etjohannique.
21 J. Daniélou commente ce texte « Nous pouvons admirer la très belle théologie du royaume de Dieu, comme reconnaissance de sa souveraineté par toutes les libertés. » GréCoire de Nysse, Cours dactylographié, p. 183.