j'ai même trouvé des saints francophones

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Claude le Liseur
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j'ai même trouvé des saints francophones

Message par Claude le Liseur »

Comme on sait, Orthodoxie française et Orthodoxie francophone ne se recoupent pas. D'abord, parce qu'il y a des paroisses orthodoxes francophones dans presque tous les pays francophones: Belgique, France, Québec et Suisse, seuls le Luxembourg et Monaco manquant encore à l'appel. Ensuite, parce que l'Orthodoxie française (ou belge, ou suisse) n'est majoritairement pas encore de langue française, mais bien plutôt de langue slavonne (surtout), grecque ou roumaine.

Depuis des mois que je travaille à l'ébauche de synaxaire que vous trouverez sous le forum "calendrier des saints", j'ai relu les vies de centaines de saints des actuels pays francophones (sauf le Québec, peuplé par les Français bien après que l'Orthodoxie eut disparu en Occident...), qui m'apparaissent comme de bienveillants intercesseurs auprès de Dieu pour l'Orthodoxie renaissante dans les pays francophones. Mais je me suis posé une autre question: des saints intercesseurs pour la balbutiante Orthodoxie de langue française?

Parce que l'histoire de notre langue est quand même courte (d'autant plus courte que nous sommes à l'heure du plus grand péril, et qu'on pourra peut-être bientôt écrire le mot "fin", ou plutôt "the end"...), et que la transition du latin au français a été si longue, qu'on ne peut pas honnêtement considérer la plupart de nos saints des pays francophones comme ayant été eux-mêmes francophones.
On sait que le latin a cessé d'être compris au VIIIème siècle (on peut donc supposer qu'il avait cessé d'être parlé au VIème siècle). La plupart des habitants des Gaules parlaient dès le IVème siècle des dialectes romans dont l'un est progressivement devenu le français, à mon avis dès le VIIIème siècle précisément: comme le premier texte en français qui nous est parvenu (le serment de Strasbourg) date de 842 et que la pression du latin contre les textes écrits en langue vulgaire était très forte, je peux bien supposer que le français devait avoir un bon siècle d'existence avant d'être transcrit.

Le premier problème est que la plupart des saints de notre synaxaire sont antérieurs au VIIIème siècle. C'est triste à penser, mais si une machine à remonter le temps me permettait de rencontrer mon saint patron Claude de Besançon le grand thaumaturge, je n'aurai probablement pas d'autre moyen de communication avec lui que le latin.
Le second problème est que ce français des origines, tel qu'il nous apparaît dans le serment de Strasbourg et le cantilène de sainte Eulalie, est devenu illisible et incompréhensible, la langue ayant trop évolué depuis. J'ai donc renoncé à trouver des saints vraiment de langue française dans le passé des pays aujourd'hui francophones.
Le XXème siècle a lui aussi fourni des saints qui ont vécu une partie de leur vie dans les pays francophones, mais qui ne parlaient pas la langue française.

Mais j'ai commencé à en chercher parmi les saints des pays demeurés orthodoxes après le schisme de 1054.
Et la recherche peut commencer assez haut: si le français du IXème siècle nous est incompréhensible, le français du XIIIème nous est en revanche déjà familier.

La preuve? Je vous prends le 4ème paragraphe de La Conquête de Constantinople, dictée après 1207 par Geoffroy de Villehardouin (nos amis grecs savent que c'est un parent de ce Villehardouin qui fit construire les citadelles de Mystra et de Monemvasie):

Avec ces deus contes se croisierent .II. moult hauz barons de France, Simon de Monfort et Renaut de Montmirail. Moult fu grant la renomée par les terres quant cil haut home se croisierent.

Je n'ai quand même pas besoin de réfléchir très longtemps pour deviner que cela veut dire: "Avec ces deux comtes se croisèrent deux très hauts barons de France, Simon de Montfort et Renaud de Montmirail. Très grande en fut la renommée à travers le pays quand ces hauts personnages se croisèrent." Bon, d'accord, cette prose sonne un peu comme Jean Piat jouant le rôle de Robert d'Artois dans l'adaptation télévisée des Rois Maudits qui a enchanté mon enfance(maintenant en DVD!), l'orthographe passerait de nos jours pour celle d'un délégué ministériel français à la réforme de l'orthographe ou pour celle d'une déléguée cantonale suisse à la féminisation des substantifs, tout cela fait un peu exotique, mais, quand même, c'est bel et bien du français et je comprends ce que je lis. Et en plus, la prononciation n'a que peu changé. Prenez la Chronique de Morée, écrite en grec un siècle plus tard, et prononcez à la façon grecque moderne (pas à la façon érasmienne) les mots français transcrits en grec, du type misir, kontesa, ntzeneral: vous retrouvez sans peine "messire", "comtesse", "général", et, vraiment, c'est la même phonétique.

Sachant grâce à Villehardouin, auteur d'un des premiers monuments de la prose française, que je peux commencer ma recherche de saints véritablement francophones dès les alentours de l'an 1200, je distingue deux époques où le français a pu être répandu dans certains pays de tradition orthodoxe.
En effet, les pays restés orthodoxes étant géographiquement éloignés des pays francophones, les langues d'Europe occidentale avec lesquelles ils ont été en contact ont surtout été l'italien et avant tout l'allemand, auquel l'anglais s'est ajouté au XIXème siècle. Les rencontres avec la langue française ont été rares, mais le lecteur verra qu'elles m'ont fourni une petite moisson.

La première période intéressante est celle où des seigneurs d'origine française, après avoir participé sous couvert de croisade au sac ignoble de Constantinople pour le compte des Vénitiens, se taillèrent des principautés en Grèce et même un royaume à Chypre. Ces petites principautés dites "franques" ont assez vite perdu le contact avec leur pays d'origine (la couronne de France ne les ayant jamais soutenues) et n'ont pas duré très longtemps, reculant devant la guerre de libération des Grecs ou se vendant aux villes italiennes mieux pourvues en finances, sans compter le duché que les Catalans se sont taillés en Attique au XIVème siècle.
Mais cela fait quand même une période d'un siècle (en gros tout le XIIIème siècle) où il y a eu en Grèce des populations dont le français était la langue maternelle. Contrairement à ce que l'on pourrait penser au vu du fanatisme anti-orthodoxe des Croisés de 1204, ces Francs, les années passant, ne sont pas restés insensibles à la vérité de l'Orthodoxie. Et, de leur côté, les Grecs n'ont pas ménagé leurs efforts pour les convertir.
Cette occupation franque en Grèce fournit à notre liste deux saints orthodoxes qui parlaient français comme vous et moi, ou plutôt comme Villehardouin.

Saint Gérasime d'Eubée (mémoire le 7 décembre): Né dans l'île d'Eubée vers 1250 d'une famille franque (que l'on dit d'origine noble) convertie à l'Orthodoxie (ces conversions de Croisés avaient commencé très vite après la chute de Constantinople, puisque le concile du Latran de 1215 mentionne le fait que les Grecs en recevaient dans l'Orthodoxie par baptême), il devint moine au Sinaï, où il se lia avec saint Grégoire le Sinaïte (commémoré le 6 avril). Ils pratiquèrent ensemble l'ascèse en Crète, puis à la skite de Magoula. Par la suite, saint Gérasime prêcha inlassablement en français (qui devait probablement être sa langue maternelle,vu ses origines) dans les parties de la Grèce occupées par les Francs, et il en amena un grand nombre dans le sein de l'Eglise. Certains seraient même devenus moines hésychastes dans des petits monastères fondés par saint Gérasime. Saint Gérasime, qui est considéré comme un des plus grands missionnaires de l'Eglise de Grèce, se réfugia à Thessalonique après la chute d'Athènes entre les mains des Catalans (1311) et s'installa près d'un monastère avec un groupe de disciples, dont le futur patriarche oecuménique saint Isidore. Il y mourut dans les années 1320.

Saint Jean de Montfort (pas de date de commémoration), issu de la famille de Simon de Montfort, le chef de la croisade contre les Albigeois, originaire de Montfort-l'Amaury dans la région parisienne, devint moine orthodoxe à Nicosie sur l'île de Chypre et mourut en 1248.

Dans le prolongement de ces aventures de barons pillards dans l'Empire, nous trouvons une sainte orthodoxe de langue française, elle aussi de famille illustre, et autrement plus illustre que les Montfort, puisque de sang capétien: sainte Hélène d'Anjou (mémoire le 30 octobre), parente (mais à quel degré?) de Charles Ier d'Anjou, roi de Sicile et fils de Louis VIII de France. Elle épousa le roi de Serbie Ouroche Ier et fonda des monastères, avant de devenir elle-même moniale dans son veuvage.


Sautons plusieurs siècles. Je vois une autre période où la langue française a été durablement parlée dans deux pays restés orthodoxes, la Grèce (de nouveau) et la Roumanie. Le mouvement a commencé au XVIIIème siècle, mais il a s'est surtout fait sentir au cours de la période 1840-1940, où le français était pratiquement devenu la deuxième langue dans ces deux pays, en raison de contacts très importants avec la France et aussi, un peu, la Belgique et la Suisse (innombrables étudiants roumains à Paris, participation de la Grèce à l'Union monétaire latine, participation commune à la première guerre mondiale...).

Il faut quand même souligner le fait peu connu qu'aujourd'hui, et bien que le tourisme ait contribué à la survie du français en Grèce tandis que le communisme a tout fait pour éradiquer cette langue en Roumanie, ces deux pays restent les pays où l'on rencontre la plus forte proportion de gens parlant le français en Europe à l'est de Vienne (probablement 0,5 à 1% en Roumanie, probablement 2%, voire 3% en Grèce; c'est peu par rapport au pourcentage probable de locuteurs du français dans des pays pourtant non francophones comme l'Italie ou les Pays-Bas, mais c'est beaucoup pour cette région du monde - on parle par exemple de moins de 0,05% en Hongrie).

Pour cette période du XVIIIème siècle à aujourd'hui, je trouve deux saints, mais connus de toute l'Orthodoxie. Contrairement aux saints de la période précédente, ils ne sont pas de langue maternelle française, mais ont appris cette langue.

Saint Nicodème l'Hagiorite (mémoire le 14 juillet): l'auteur du Pidalion, recueil annoté des canons de l'Eglise orthodoxe, né en 1749 et parti pour un monde meilleur en 1805, connaissait le latin, le français et l'italien.

Et, pour finir, l'immense saint Nectaire d'Egine, métropolite de la Pentapole et thaumaturge (mémoire le 9 novembre): tous les visiteurs francophones de la chambre où il est mort en 1920, que l'on peut voir au monastère Aghios Nektarios en l'île d'Egine, auront remarqué avec le plus grand intérêt l'abondance de livres français dans la bibliothèque du saint. En outre, saint Nectaire passe pour être le protecteur particulier des orthodoxes francophones.


Voilà, avec saint Gérasime d'Eubée, saint Jean de Montfort, sainte Hélène d'Anjou, saint Nicodème l'Hagiorite et saint Nectaire d'Egine, j'ai quand même trouvé cinq saints qui ont eu l'usage de ma langue. Je ne prétends pas à l'exhaustivité et peut-être y en a-t-il d'autres qui auraient échappé à mon attention. Je pense qu'une recherche sur les saints qui ont eu l'usage de la langue allemande aurait amené une moisson beaucoup plus fructueuse de saints des pays slaves et de Transylvanie, mais je trouve que c'est déjà un bon début.
Et je pense que lorsque le patriarcat de Roumanie procédera aux premières canonisations de nouveaux-martyrs du joug communiste, il y en aura probablement plusieurs parmi eux qui rejoindront cette liste.


Alors, en cette nuit décisive, où le péril de mort qui pèse sur la langue française atteint un nouveau degré, en attendant le jour où l'on nous interdira de rêver en français, chers francophones et amis de la francophonie, je ne peux que vous inviter à vous confier à l'intercession de ces cinq saints:

Saint Jean de Montfort, sainte Hélène d'Anjou, saint Gérasime d'Eubée, saint Nicodème l'Hagiorite et saint Nectaire d'Egine, intercédez auprès de Dieu pour qu'Il fasse croître l'Orthodoxie francophone, pour qu'Il nous envoie les apôtres dont nous avons besoin et qu'Il nous donne la force de rester fermes dans notre foi.

(Et j'ajouterai: pour que les superbes offices qu'a composés le père Denis Guillaume n'aient pas été écrits en vain...)
eliazar
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Message par eliazar »

Cher Claude,
La réapparition d’amis grecs de ma jeunesse chez nous (après plusieurs années d’éloignement) a interrompu tout travail pour quelques jours, et je ne jette plus qu’un coup d’œil fugace sur le Forum ou même sur mon courrier quotidien. Mais je ne veux pas laisser passer ce 1er mai (et ta proposition de prière) sans un brin de réponse fraternelle.

Tu viens d’écrire : « Comme on sait, Orthodoxie française et Orthodoxie francophone ne se recoupent pas. »
Comme tu as été l’un des tout premiers à le savoir, c’est la raison pour laquelle j’ai choisi cet intitulé de « SAINTS DE NOTRE HÉRITAGE » pour notre second synaxaire de ce Forum - que par parenthèse je trouve malencontreux de séparer du premier (le tien) en les laissant : l’un sur le Forum et l’autre sur le Site.
Il m’avait semblé (et me semble de plus en plus) que nos racines orthodoxes se confondant avec nos racines chrétiennes tout court – sur l’ensemble du monde connu dans les années qui suivirent la Pentecôte – il était important que chacune des sociétés où se trouvent encore des chrétiens orthodoxes (dans la division politique et culturelle du monde actuel) devienne capable d’honorer particulièrement les saints connus ou inconnus qui jetèrent les premières semences de la foi sur son territoire. Ne serait-ce que pour mieux (et plus spécifiquement) pouvoir les prier pour la renaissance ou la croissance de la Foi Orthodoxe sur les terres d’abord vivifiées par leurs vies et par leurs morts.

Cela ne pouvait se faire que dans une conception élargie, par rapport aux frontières politiques du moment présent. J’ai donc estimé qu'en ce qui nous concernait plus particulièrement, la notion de « notre héritage » devait primer sur celles de « notre pays », ou de « notre patrie », trop réductrices : l’histoire de nos sociétés, si diverses soient-elles, est une histoire au cours de laquelle des peuples divers se sont mêlés, parfois même affrontés, avant d’aboutir à des fusions ou des cohabitations plus constructives. Mais quelque puissent avoir été les affrontements, la cohabitation qui les a suivis ou accompagnés a en général abouti à des formes de fusion, les peuples s’étant finalement mêlés à la manière dont les fleuves le font en aboutissant à un estuaire commun, avant de se fondre dans la mer.

Il en résulte de toute évidence une sorte d’impossibilité, pour le citoyen du XXIème siècle, de fixer des limites géographiques exactes à la civilisation à laquelle ( et de laquelle) il participe, mais encore plus de lui fixer des limites ethnico-linguistiques.

Prenons au hasard cette mortelle erreur du XXème siècle : le tâtonnement intermédiaire qu’on a appelé improprement national-socialisme, débouchant sur l’impasse (mortelle, on l’a vu) d’une soi-disant « race des seigneurs » - ou de façon plus aberrante encore, de : « race pure ». Ce ne pouvait être notre héritage, fut-ce même pour les racines germaniques de la France : aucun être sensé n'oserait parler de races pures pour les Franks, ni les Wisigoths du reste, ou les Burgondes!

Un autre tâtonnement erratique avait précédé cette grossière erreur issue du pan-germanisme : celui de limites qui auraient pu être idéalement capables de circonscrire une quelconque notion de « patrie ».

La « patrie » désigne plus précisément la terre de nos pères, et dans un sens encore plus réductif : la terre où nous sommes nés. La terre où je suis né, si réduite soit-elle, contient déjà trois états souverains : France, Monaco et Italie ; on voit déjà la cascade d’ambiguïtés qui résulterait pour moi d’en faire ma « patrie ». Quant à la terre de mes pères, au sens de ma « famille ancestrale », elle aboutirait à m’inscrire dans un ensemble devenu presque inconciliable, mais qui comprenait à un moment ou à un autre de sa constitution :

1° le Moyen-Orient - par les navigateurs venus des ports phéniciens, comme par ceux qui leur succédèrent immédiatement ou presque : les Grecs d’Ionie – et qui « tressèrent » une culture plus ou moins commune avec les Ligures et les Alpins qu’ils avaient trouvés sur les côtes provençales au sortir de la préhistoire, un peu comme on tresse les brins d’osier pour en faire un grand panier ;
2° l’Europe Occidentale - qui représente en gros (actuellement) la localisation la plus commode pour ce qui concerne du moins mes « pères » les plus récents, historiquement parlant ;
3° L’Afrique noire - pour la partie la plus reculée dans l’espace et le temps, puisque berceau probable de mes tout premiers « pères » - étant donnée la découverte, dans la Grotte Grimaldi de l’ancienne Principauté de Monaco (maintenant en territoire italien), du plus ancien couple humain retrouvé en Occident, lequel était indiscutablement de type négroïde ;
4° la Germanie (elle-même flottante, dans des limites si évasives qu’elle correspond plutôt à un mouvement de peuples nomades qu’à une zone géographique définissable) - pour autant que soit concernée l’incontestable fusion de plusieurs couches successives de nouveaux venus « germains » avec les populations autochtones - et ce assez tôt après l’arrivée (pour nous quasiment proto-historique) des Latins de Rome, qui reprirent peu à peu les implantations phéniciennes, puis grecques ou carthaginoises de Provence, en soumettant ce qui restait de peuples autochtones encore isolés sur le territoire;
5° enfin la Judée proprement dite, pour ceux de mes ancêtres de souche juive qui vécurent au sein des importantes colonies juives locales, colonies souvent antérieures à la prise de Jérusalem par les Romains, tant en Provence orientale qu’en Provence rhodanienne.

Et je ne dirai rien des Arabes qui laissèrent chez nous pas mal de descendants de la main gauche à l'époque même où cette partied e la Provence était encore indubitablement orthodoxe!

Entre le patriotisme, d’une part, et le racisme pan-germanique (notion déjà utopique, à mon avis), de l’autre, s’est par ailleurs établie une troisième notion : celle (intermédiaire) de « nation ».

Elle me paraît presque aussi vague que les deux autres, soit qu’on la considère sous l’angle de l’Ancien Régime (la nation, ou le précarré, qu’élaborèrent patiemment « les quarante rois qui firent la France »), ou sous l’angle moderne des « nationalismes » nouveaux, issus de la Révolution Française. En ce qui concernait notre synaxaire, en tout cas, je l’ai jugée aussi utopique que les deux autres.

Quant à la notion de francophonie, ce que tu viens d’écrire, mon cher Claude, ne fait que souligner à mes yeux la complexité de « notre héritage ». Tu as parfaitement raison d’écrire :
« …la transition du latin au français a été si longue, qu'on ne peut pas honnêtement considérer la plupart de nos saints des pays francophones comme ayant été eux-mêmes francophones ».

Le titre de notre synaxaire ne pousse pas le bouchon aussi loin, d’ailleurs. Il dit expressément vouloir regrouper : « Les Saints de notre Héritage ayant confessé l’Orthodoxie dans les actuels pays francophones ». Cela ne dit en rien qu’ils eussent parlé français, puisque pour nous en tenir au seul Irénée de Lyon, il semble bien probable qu’il ait pensé, et célébré en grec - même s’il parlait latin dans la rue, et apprenait le gaulois pour annoncer l’Évangile aux les « barbares » gaulois qui « descendaient en ville » pour les grandes fêtes païennes. Lesquels devaient bien avoir quelque teinture de grec, eux-mêmes, puisque leurs monnaies portaient en grec la marque de leur « roi » Vercingétorix – en grec et pas en gaulois, ni en latin…

Non, Claude, je ne crois pas nécessaire de distinguer ceux des Saints de Notre Héritage qui parlaient français d'avec tous les autres. Notre Héritage (dans mon esprit) n’est absolument pas celui du Dictionnaire de l’Académie Française.
D’autant qu’à l’époque de son plus parfait usage (qui coïncide évidemment avec le temps de sa plus universelle expansion), le français fut la langue des beaux esprits et des gens cultivés non seulement dans les pays concernés par les Saints de notre synaxaire, mais jusqu’en Russie ou au fond de l’Europe Centrale voire des Balkans. Et comme tu l’as noté avec une certaine malice, la francophonie actuelle englobe des continents et des pays où les Saints de Notre Héritage n’ont jamais mis les pieds, que ce soit l’Afrique ou le Canada par exemple.

Pour tout dire, je ne crois pas que Notre Héritage soit la langue française, ni même que le plus urgent soit d’en demander à nos saints la défense et l’illustration pour les siècles à venir. Je déplore comme toi de voir se déliter jour après jour une langue qui nous a tant apporté, en étant devenue un instrument de travail intellectuel aussi pointu.

Mais je crois fermement que Notre Héritage est la Foi Orthodoxe, celle de l’Église du Christ, dans les territoires qui ont participé, peu à peu ( chacun dans sa langue et avec ses us et coutumes locaux), à construire ce que j’appellerai le peuple de Dieu, le peuple orthodoxe, et en lui comme autour de lui, l'aura d'une espèce de civilisation culturelle commune au Piémont ou aux principautés d’Allemagne rhénane (voire à la Prusse même quand elle ne se croyait pas encore le berceau d'une race pure, mais ceci est une autre histoire, puisque très postérieure à la chute du Patriarcat Orthodoxe de Rome), comme à une grande partie de la Belgique, de la Suisse, etc..

Pour le reste, il suffira de se reporter à l’énumération qu’en donne le titre du même Synaxaire des Saints de Notre Héritage.
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Irène
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Message par Irène »

En qualité de membre de ce forum orthodoxe mais, également, francophone, je vous remercie, Claude, pour ce beau message qui implique pas mal de recherches.

Merci pour ces émouvantes précisions telles que Saint Gerasime d'Eubée prêchant en français - de l'époque bien sûr - ou les livres en français dans la chambre de Saint Nectaire d'Egine.

Notre langue maternelle fait intrinsèquement partie de notre être, et il suffit de voir le combat admirable des québécois pour avoir le droit de la pratiquer !
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Cher Eliazar,

Mon message s'adressait aux francophones et aux amis de la francophonie. Je le voulais un dernier message d'espoir en ce jour que l'Histoire retiendra comme le Waterloo de la langue de Molière - ma langue. A vue humaine, tout est fini. Alors il ne reste plus que le Ciel.

Tu penses que la langue française n'est pas notre héritage. Très bien. Il n'en va pas de même pour moi. Ni pour les derniers francophones de Saint-Boniface ou des Fourons. Mais, en effet, personne n'est forcé de se sentir solidaire de nous.

C'est très bien d'écrire que notre héritage c'est la foi orthodoxe, après cette démonstration de l'insignifiance des questions linguistiques. Je te rappelle qu'il m'est arrivé de servir dans une paroisse d'émigrés roumains (y compris un survivant du camp de la mort communiste du Canal), où je n'ai lu l'Apôtre que dans la langue d'Eminescu. Sur la question de "il ne faut pas faire passer la langue avant la religion", j'estime que je n'ai de leçons à recevoir de personne. Et je n'irai pas pour autant raconter à un Roumain qu'il doit se mettre à célébrer en anglais ou en taki-taki parce que son héritage, c'est la Foi orthodoxe et pas la langue de ses pères!


J'aurais apprécié que tu ne me prêtes pas des propos qui ne sont pas les miens.

Premier exemple:

Et comme tu l’as noté avec une certaine malice, la francophonie actuelle englobe des continents et des pays où les Saints de Notre Héritage n’ont jamais mis les pieds, que ce soit l’Afrique ou le Canada par exemple.


Je n'ai pas parlé de l'Afrique dont je ne vois pas ce qu'elle vient faire là-dedans. Ecoute, je me ronge les sangs jour après jour en voyant se déliter ma chère Côte d'Ivoire, mais j'ai pensé que le jour même où mon monde s'écroulait, j'avais le droit d'évoquer ma préoccupation légitime pour des gens dont je suis quand même plus proche que des Ivoiriens (malgré tout ce qui me lie à eux), à savoir les peuples francophones. L'Orthodoxie en Afrique est un autre sujet qui avait été évoqué avec brio par Axel dans un fil à propos du Ghana, et comme mes connaissances de baoulé se limitent à naniéré babiéré falla follo , je sais que je ne serai pas le Denis Guillaume des Akans.

Je suis sans doute un affreux égoïste, mais, le jour de la fin de mon monde, je n'ai pas pu m'empêcher de penser au sort des miens, pour une fois, avant celui des pauvres orphelins de Félix Houphouët-Boigny le Pacifique.

J'ai eu l'impression que Maurice Druon a eu les mêmes préoccupations que moi, à lire le bel et noble avis de décès qu'il a publié dans Le Figaro ce lundi matin:

www.lefigaro.fr/debats/20040503.FIG0075.html

Au moins, je ne suis pas tout seul...

Pour le Québec, j'ai juste écrit, sans malice, qu'aucun saint orthodoxe n'y avait vécu avant 1054, ce qui va de soi. Mais quant à dire que les saints des pays francophones d'Europe n'ont jamais mis les pieds dans le seul pays francophone hors d'Europe, je pense que c'est oublier toute l'aventure de ces quelques milliers de Français (rejoints, bien plus tard, par quelques contingents de Belges et de Suisses) qui étaient partis bâtir une autre France sur les bords du Saint-Laurent, et qui ont réussi à survivre pendant trois siècles et demi. Ils avaient emporté avec eux leur langue, leurs lois, leurs moeurs et leurs saints. Voici un article très incomplet écrit par un prêtre orthodoxe ukrainien du Canada sur les saints de l'Ancienne France transplantés dans ce qui fut la Nouvelle France:

www.unicorne.org/orthodoxy/avrilmai/quebec.htm

Sinon, il suffit de lire n'importe quelle carte du Québec pour se rendre compte que les saints de nos pays ont franchi l'Atlantique...

Deuxième exemple:

Non, Claude, je ne crois pas nécessaire de distinguer ceux des Saints de Notre Héritage qui parlaient français d'avec tous les autres.


Où ai-je écrit cela? J'ai juste donné la vie des cinq saints du calendrier orthodoxe, qui font avant tout partie de l'héritage des peuples grec et serbe, dont deux étaient des Grecs pur sucre, qui sont pratiquement inconnus en Europe occidentale et au Québec, mais dont il se trouve que, fait rarissime, ils parlaient français... Et qui sont ainsi, à ma connaissance, les cinq seuls saints du calendrier qui avaient l'usage de cette langue...
Je ne pensais pas que tout le monde avait connaissance de la vie de ce saint Gérasime qui prêchait en français en Grèce occupée ou du fait que la bibliothèque de saint Nectaire d'Egine contenait tant d'ouvrages en français. Désolé, mais pour moi, ce fut quand même un choc quand je l'ai découvert lors de mon premier pélerinage à Aghios Nektarios.
Si donner des informations peu connues comme l'existence même de saint Jean de Montfort, c'est "distinguer ceux des Saints de Notre Héritage qui parlaient français d'avec tous les autres", alors là, je ne me rendais pas compte que mon travail était à ce point-là une provocation!


Toutefois, et puisqu'il faut tout justifier, je persiste à penser que l'existence d'une sainte reine angevine en Serbie et de saints grecs francophones (en attendant que le patriarcat de Roumanie se décide à canoniser des personnes mortes après 1868, et que des saints roumains viennent compléter la liste...) peut être un clin d'oeil pour ceux de nos frères orthodoxes grecs qui ont fait le choix de se battre pour l'Orthodoxie francophone. Il y en a. Même à Montréal (quel courage!).

Et puis, pour finir, moi, je trouve les offices du père Denis Guillaume si beaux que je voudrais qu'ils n'aient pas été composés en vain. Et si c'était à cause de cela, et de cela seulement, que je n'acceptais pas la condamnation à mort de ma langue, et bien ce serait encore une raison valable.
Antoine
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Message par Antoine »

Dans l'article du Figaro auquel Claude fait référence, maurice Druon écrit:
Je répéterai, une fois de plus, les paroles de Georges Pompidou : «Si nous reculons sur notre langue, nous serons emportés purement et simplement. C'est à travers notre langue que nous existons dans le monde autrement que comme un pays parmi les autres.»
On le voit bien en ce qui concerne l'Orthodoxie. La réticence des "juridictions étrangères" à officier dans la langue du territoire sur lequel elles se trouvent est une arme stratégique de dissuasion de création d'une Eglise locale.
ll n'y a pas d'Eglise Locale car il n'y a pas d'Orthodoxie de langue française.Juste quelques indigènes convertis et qui doivent leur survie à des étrangers en leur étant surtout très reconnaissants d'avoir été parqués dans leurs zoos.
Si ma respiration est ma prière et si ma prière est orthodoxe alors en me coupant de ma langue on me condamne à mourir par étouffement spirituel. La foi orthodoxe n'est pas un héritage elle est ma relation au Christ qui est la Vie.
Lors de la pentecôte les apôtres n'ont pas prêché dans toutes les langues. Non, ils ont prêché dans la leur et chaque auditeur comprenait dans la sienne, "l'Esprit Saint réalisant l'interprétariat simultané". C'est l'anti Babel.


[5] Or, il y avait en séjour à Jérusalem des Juifs, hommes pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel. [6] Au bruit qui eut lieu, la multitude accourut, et elle fut confondue parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue. [7] Ils étaient tous dans l'étonnement et la surprise, et ils se disaient les uns aux autres: Voici, ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens? [8] Et comment les entendons-nous dans notre propre langue à chacun, dans notre langue maternelle? [9] Parthes, Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont, l'Asie, [10] la Phrygie, la Pamphylie, l'Égypte, le territoire de la Libye voisine de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs et prosélytes, [11] Crétois et Arabes, comment les entendons-nous parler dans nos langues des merveilles de Dieu? [12] Ils étaient tous dans l'étonnement, et, ne sachant que penser, ils se disaient les uns aux autres: Que veut dire ceci?
Irène
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Message par Irène »

Le fil de Claude : "conclusions de la rencontre des évêques roumains en Occident" est quand même, à ce jour, le seul espoir solide de voir un jour une église locale en langue française.

Quand Antoine écrit qu'il n' a pas d'église locale en France car il n'y a pas d'Orthodoxie en langue française, tout est dit. Et il suffirait que les différentes juridictions implantées en francophonie fassent passer leur amour de l'Orthodoxie avant leur nationalisme pour que tout change.

Il y a tellement de catholiques malheureux dans leur foi, cette foi impossible à vivre ! Ils reprendraient vite le chemin juste s' il était tout simplement visible. Et pas qu'eux : il suffit de voir ceux qui cherchent dans le bouddhisme par exemple.

La France orthodoxe pendant mille ans et coupée depuis mille ans de ses racines et de la Vérité, quelle tragédie. Mais l'espoir est une vertu cardinale ...
Antoine
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Message par Antoine »

XB!
La pentecôte est assurément l'annonce par les apôtres d'un Dieu révélé comme tri-unité
Quand les apôtres annoncèrent les prodiges de Dieu, les incroyants prirent pour de l'ivresse l'œuvre de l'Esprit, par lequel se fait connaître la Trinité, l'unique Dieu de nos pères.
Ode 7 du canon de la pentecôte

Mais il ne faut pas oublier la ratification de toutes les langues dans cette révélation pour les unir au service d'un même message. Ainsi l'ode 3 du canon nous dit:
La puissance de l'Esprit divin est descendue pour réunir en une seule harmonie les langues autrefois divisées de ceux qui s'étaient accordés pour le mal, enseignant aux fidèles la connaissance de la Trinité en qui nous trouvons la force.
Il n'ya pas une langue qui deviendrait LA langue de l'Eglise au détriment des autres. L'extrait du 2ème chapitre des Actes ci-dessus le montre bien. Si l'Esprit Saint s'est efforcé de rendre compréhensible le message des apôtres à toutes les peuplades qui assistaient à ce délit d "ivresse" sur la voie publique, qui se placerait au-dessus de Lui pour réduire la portée du message à une langue choisie en fonction du critère qu'elle seule serait capable de véhiculer la révélation?
L'orthodoxie exprime cette harmonie dans toutes les langues et le refus de célébrer en Français sur le sol de France est assurément un crime babélien contre la pentecôte. Une orthodoxie unifiée dans la langue locale du pays serait le fondement de l'Eglise locale.
Les différentes juridictions présentes sur le sol de France et leur ressortissants nationalistes feraient bien de réviser leurs positions à la lumière des langues de feu pentecostales.

Il est significatif que l'office de glorification de Mère Marie se soit déroulé en slavon...C'est sans doute pour conforter Elisabeh Behr Sigel dans ses propos (cf rubrique "arrière plan du modernisme"):
C’est peut-être aussi une manière de reconnaître qu’il existe en France une Église locale, au-delà des différentes juridictions auxquelles appartiennent les personnes.
J'y croirai quand je verrai écrit dans les rues de Paris "Place de la concorde" en slavon...
eliazar
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Message par eliazar »

Cher Claude,
Ayant été absent quelques jours de notre Forum pour des raisons familiales, je tombe avec un certain étonnement sur la diatribe que m’y a valu de ta part, hier, mon courriel du 1er mai.

J’aimerais te rappeler que mon but essentiel était d’examiner la question de francophonie à travers les problèmes qu’elle pose dans la rédaction d’un synaxaire comme celui des « Saints de Notre Héritage » : c’est à dire que la définition de notre Héritage (dans ce domaine spécifique des Saints Orthodoxes qui nous l’ont laissé, à nous, néo-orthodoxes qui les avons remplacés non dans la sainteté, hélas, mais dans la foi orthodoxe – et sur les mêmes terres) ne saurait se limiter à la seule notion de francophonie entendue trop strictement comme découlant du français de Villehardouin.
C’était strictement tout ; j’écrivais du reste : « je ne crois pas nécessaire de distinguer ceux des Saints de Notre Héritage qui parlaient français d'avec tous les autres ».

J’ajoutais même ceci : « pour tout dire, je ne crois pas que Notre Héritage soit la langue française, ni même que le plus urgent soit d’en demander à nos saints la défense et l’illustration pour les siècles à venir ». Signifiant par là, bien évidemment, que mon propre but, dans ce synaxaire, avait été dès le début de demander à tous ces saints (quelle qu’ait pu être leur langue) d’intercéder pour que la foi orthodoxe rayonne à nouveau sur la terre qu’ils ont ensemencée de leur sang ou de leur exemple, par opposition aux hérésies multiples qui y prolifèrent actuellement et s’y sont implantées souvent bien après la chute officielle du Patriarcat orthodoxe de Rome en 1054.

Alors, mon cher Claude, lorsque tu en tires la conclusion (pour moi assez étonnante) que je pense « … que la langue française n'est pas notre héritage », je suis interloqué ; j’avais pris la précaution, en soulignant les deux majuscules de Notre Héritage, de montrer que la phrase se rapportait au titre du synaxaire et non à la langue que chacun de nous parle ici ; je pense que tu auras mal lu, sans doute emporté par l’émotion que tu as ressentie à la suite d’un drame dont je précise que j’ignore absolument tout, mais qui a l’air d’avoir embrasé un horizon dont je ne puis encore présumer l'étendue réelle, puisque tu as écrit des phrases comme :

« le jour de la fin de mon monde, je n'ai pas pu m'empêcher de penser au sort des miens »
« A vue humaine, tout est fini. Alors il ne reste plus que le Ciel. »
«si c'était à cause de cela, et de cela seulement, que je n'acceptais pas la condamnation à mort de ma langue, et bien ce serait encore une raison valable ».

Alors, pour ne pas ajouter encore à une douleur que je sens grave chez toi (et dont, je le répète, j’ignore complètement la cause), je viens ici te présenter toutes mes excuses pour cette ignorance. Et te redire que ce n’était en rien à cause des quelques renseignements (fort intéressants comme à l’habitude) que les lecteurs de ce Forum te devaient sur les moins connus de ces cinq saints, que j’avais cru avoir tout de même le droit de faire entendre un autre son de cloche...
... Ce n’était que parce que j’avais bien cru comprendre que tu mettais ces cinq là à part de tous les autres en nous suggérant de leur demander (spécialement à eux) :
« … intercédez auprès de Dieu pour qu'Il fasse croître l'Orthodoxie francophone, pour qu'Il nous envoie les apôtres dont nous avons besoin et qu'Il nous donne la force de rester fermes dans notre foi. »

Autrement dit, je voulais dire qu’il me semblait suffisant de demander à l’ensemble des Saints de Notre Héritage (sans dissocier cinq d’entre eux des autres, à cette occasion) d’intercéder pour le triomphe de l’Orthodoxie sur les terres où ils ont témoigné, même si à Trèves ou dans le Piémont, la langue vernaculaire n’est pas à ce jour le français – ce qui est tout de même secondaire à mes yeux. C’est tout.

Ceci me dispensera (j'espère) d'avoir à répondre à cette autre de tes phrases : « Sur la question de "il ne faut pas faire passer la langue avant la religion", j'estime que je n'ai de leçons à recevoir de personne ». Pour au moins deux raisons : on a toujours des leçons à recevoir de ceux qui ont vécu deux ou trois fois plus longtemps que soi (et je n’ai jamais estimé que cela puisse avoir rien d’humiliant, en ce qui me concerne), et j’ai mené ce même combat dans bien d’autres circonstances que toi – et, je me répète, depuis tellement plus d’années que c’en est navrant.

Maintenant, si comme j’ai cru le comprendre, la langue française vient d’être condamnée à mort, je te prie, toute querelle insignifiante mise à part, de bien vouloir ajouter mon nom à côté du tien au bas de toute pétition dont le but serait de demander que cette sentence ne soit pas exécutée.
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eliazar
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Message par eliazar »

Cher Antoine,

Ayant répondu en priorité à Claude, je ne veux pas avoir lu ton propre message sans souligner à mon tour un point important. Tu as écrit en effet :

« On le voit bien en ce qui concerne l'Orthodoxie. La réticence des "juridictions étrangères" à officier dans la langue du territoire sur lequel elles se trouvent est une arme stratégique de dissuasion de création d'une Église locale. ll n'y a pas d'Église Locale car il n'y a pas d'Orthodoxie de langue française. »

Oui, le piétinement des Églises Orthodoxes présentes sur le territoire de la langue française est bien une arme stratégique de dissuasion. Peut-être est-ce (comme tu sembles le penser) du fait de certaines Églises locales.
Mais je crois bien plus encore que c’est du fait de notre propre administration.

J’ai toujours été frappé du fait que même les Évêques kto, dans une France républicaine à constitution athée, ne puissent être consacrés qu’après approbation du Vatican – c’est à dire d’une puissance étatique étrangère.

Je l’ai été aussi , en de certaines occasions, de constater que pour l’ouverture d’un lieu de culte orthodoxe (plus exactement d’une paroisse orthodoxe destinée à célébrer en langue vernaculaire, c à d en français), un Évêque orthodoxe se sente obligé d’en référer de même à des autorités administratives qui en référaient à leur tour à l’épiscopat catholique romain (et ce que j’ai dit plus haut donne encore plus de sens à ce qualificatif de « romain »), avant de faire savoir que « l’Évêque latin du diocèse ne verrait pas cela d’un bon œil ».
Et de fait, la dite paroisse (pour laquelle le dit Évêque latin avait donné verbalement son plein accord… une semaine avant que l’Évêque orthodoxe intéressé soit allé prendre langue avec lui !) n’a jamais été ouverte.

De plus, nous sommes tout de même quelques-uns à le savoir, si nos Évêques portent des titulatures aussi absurdes que « Évêque de Nazianze » ou « Évêque de Trachia » alors que leur troupeau est tout entier sur la Côte d’Azur, et qu’ils résident tous deux dans la même ville de Nice (et que ni l’un ni l’autre ne prendrait jamais le moindre risque d’aller annoncer l’Évangile aux actuels habitants de la région dont ils sont pourtant l’Évêque titulaire !) – c’est bien parce que l’ Évêque romain de Nice ne les tolère dans sa ville qu’à cette condition – et aussi à la condition qu’ils ne fassent pas trop appel à la langue française dans la liturgie de leurs paroisses.
Bon, diras-tu, et alors ? Eh! bien, quand UN Évêque de Nice est d’accord, cependant, et accorde un lieu de culte kto déjà désaffecté (mais dont il est propriétaire) pour UNE paroisse francophone, c’est l’Évêque « grec » qui le court-circuite pour qu’elle ne soit pas ouverte dans le local que son collègue kto vient de concéder !

Même si cela semble donner raison à ta thèse, cher Antoine, et même si je sais bien qu’il y a grand péché contre le saint Pseudo-Œcuménisme à dire ce que je dis - je persiste et je signe : il y a entente pour limiter l’orthodoxie francophone en France, et cette entente dépasse de loin les limites des seuls épiscopats orthodoxes dont les titulaires viennent de l’étranger – pour y retourner un jour. Une fois leur véritable mission NON accomplie.
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Thierry-VCO
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Message par Thierry-VCO »

Christ Est Ressuscité!

Lorsque nous allons à Clara chez le P.Cassien et que nous montons à l'ermitage Saint Etienne pour la Divine Liturgie, nous suivons l'office en français. Les chants sont en français retranscrit des chants que nos moniales chantent à Keratea. Pas mal pour des intrègr(istes).


:)

Thierry
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Je ne suis pas entièrement d'accord. Ce n'est pas tant l'attitude de l'Eglise qui a empêché l'Orthodoxie francophone de se développer que les déplorables débordements de certains francophones adeptes du n'importe quoi.

Quand des prêtres francophones ont voulu faire leur travail, que ce soit l'archimandrite Placide de Saint-Laurent-en-Royans avec son monastère, l'archimandrite Antoine de Lectoure avec ses rééditions des travaux du père Guettée ou le hiéromoine Denis de Nîmes avec ses offices sublimes aux saints orthodoxes d'Occident, personne ne les en a empêchés.

Ce n'est pas la faute des Eglises-mères si l'Orthodoxie francophone est devenue en partie le refuge où ont abouti des catholiques super-modernistes frustrés que la main de Jean-Paul II les empêche de complètement démolir leur Eglise et qui ont naïvement et orgueilleusement cru que personne ne pourrait leur faire obstacle dans l'Orthodoxie. Et cela n'a rien à voir avec l'oecuménisme, mais tout à voir avec le gnosticisme, la théosophie, la maçonnerie, le christo-marxisme et la mégalomanie de certains francophones que leur canonicité brandie tel un étendard n'empêche pas d'animer des secticules dérisoires où ils font régner un culte de la personnalité que je goûte peu.

Je vous assure que je me sens moins dépaysé dans ma paroisse grecque que dans telle ou telle paroisse francophone qui n'est qu'un bric-à-brac de n'importe quoi et où l'utilisation de ma langue ne parvient pas à m'ôter l'impression de faire un petit voyage sur la planète Mars.

A mon avis, la plus grande source de désarroi n'est pas qu'il n'y a pas assez de paroisses francophones. Ce serait plutôt qu'il y a trop de paroisses francophones qui n'ont rien à voir avec l'Orthodoxie.

Et pour vous remercier de votre patience, quelques vers de Chaunes et Sylvoisal que je tire de leur dernier recueil de poèmes publié par notre frère Vladimir Dimitrijevic (La furie française, L'Âge d'Homme, Lausanne 2004, p. 212):

Au mois de mai joli, coiffé d'un béret vert,
Massu nous a laissés dans le froid de l'hiver.
Notre langue elle-même est en train de mourir,
Dans l'Algérie perdue j'ai perdu le sourire.

Ah, sortir de l'OTAN, sortir de l'O.N.U.
Racine et Bossuet n'y sont plus entendus.
Le Général tout nu, errant dans Césarée,

Aux portes des enfers qui ne parlent qu'anglais,
Demande enfin la clé et sort épouvanté
Du port, où l'attendait un vaisseau préparé.
eliazar
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Message par eliazar »

Je ne voudrais pas avoir l’air de faire la petite bouche sur les efforts des uns et des autres, et je suis bien obligé de convenir avec Claude que moi aussi je me sens plus à l’aise SPIRITUELLEMENT dans des paroisses grecques (même Constantinopolitaines) que dans certaines paroisses françaises. Dont celles de l’archimandrite Antoine de Lavardac et Lectoure.

Ceci dit, je reconnais aussi l’effort de rééditions fait par le dit archimandrite Antoine, tout en notant que cet effort (très utile) a été fait lorsque Lavardac a été « repris » sous diverses omophores VCO (dont pendant quelques mois celle des matthéistes de Clara dont vient de parler Thierry-VCO) et que l’une de ses éditions a été « empruntée » à notre ancienne correspondante Katherine – qui en aurait lourd à raconter à ce sujet.

Et que si je me remets peu à peu de mes déconvenues passées quant aux paroisses de langue française, c’est depuis qu’une autre paroisse VCO s’est ouverte à Pau, qui n’est pas matthéiste mais florinéenne, et qui a fait par ailleurs le même louable effort en ce qui concerne le chant, même si cela a été (malheureusement pour ma sensibilité) sur les mélodies slaves et non les grecques. Mais je reconnais aussi que c’est une simple affaire de goût personnel : rythmes et mélodies grecques sont plus immédiatement accessibles à un Méditerranéen que les slaves, très belles, mais qui me sont plus distantes.

Et à propos des VCO florinéens (ceux du bd de Sébastopol à Paris, comme on sait) ils ont fait un effort considérable de créations de paroisses (vu leurs petits moyens) et un encore plus considérable de traductions (et de diffusion) d’ouvrages importants.

Alors, et sans vouloir tomber dans le travers de tout systématiser, force m’est de constater que le véritable effort pour l’orthodoxie francophone est celui des VCO de toutes tendances, beaucoup plus que celui des Églises « canoniques ». Car même celle de Serbie, dont dépend aujourd’hui la nouvelle implantation de l’archimandrite Antoine à Lectoure, n’a fait que reprendre presque sans changements les paroisses et les travaux précédemment faits par le dit archimandrite lorsqu’il était VCO…

Quant à ce qu’écrit Claude : « l'Orthodoxie francophone est devenue en partie le refuge où ont abouti des catholiques super-modernistes frustrés que la main de Jean-Paul II les empêche de complètement démolir leur Eglise et qui ont naïvement et orgueilleusement cru que personne ne pourrait leur faire obstacle dans l'Orthodoxie. Et cela n'a rien à voir avec l'oecuménisme, mais tout à voir avec le gnosticisme, la théosophie, la maçonnerie, le christo-marxisme et la mégalomanie de certains francophones que leur canonicité brandie tel un étendard n'empêche pas d'animer des secticules dérisoires où ils font régner un culte de la personnalité que je goûte peu», je ne peux qu’abonder dans son sens, encore que ces failles se soient trop souvent trouvées activées ou même introduites via l’œcuménisme au nom trompeur.

Je ne dirai rien à propos du culte de la personnalité – sinon qu’il peut aussi sévir là où la doctrine orthodoxe n’est pas en défaut.
Dernière modification par eliazar le lun. 19 juil. 2004 20:54, modifié 1 fois.
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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Ceux qui pensaient que mes craintes étaient infondées (ou que l'article de Maurice Druon dans le Figaro était excessif) pourront lire cet article du Monde qui nous annonce que le masque est tombé encore plus vite que je ne le pensais:

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 863,0.html

(le Kinnock ou le Prodi du moment inventera toujours un prétexte pour noyer le chien francophone ou germanophone...)

Ou, dans le Figaro, la lettre de démission du député UDF Gilbert Gantier, qui part en partie à cause de l'absence totale de réaction des francophones face à ce qu'on leur prépare:

http://www.lefigaro.fr/debats/20040601.FIG0038.html


Plus que jamais, nous devons prier et demander l'intercession de nos saints francophones: saint Jean de Montfort, sainte Hélène d'Anjou, saint Gérasime d'Eubée, saint Nicodème l'Hagiorite et saint Nectaire d'Egine!
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Dans la dernière livraison du Messager orthodoxe (n° 140, Paris 2004), je découvre un sixième saint francophone qui me permet de compléter cette liste.

Il s'agit de saint Elie Fondaminski (1880-1942; mémoire le 20 juillet), ancien homme politique socialiste révolutionnaire en Russie devenu confesseur dans l'émigration, mort en déportation à Auschwitz le 19 novembre 1942. Elevé dans le judaïsme, il était resté catéchumène de nombreuses années, à la façon des chrétiens du IVème siècle, ne se faisant baptiser qu'au dernier moment, alors qu'il était déjà détenu à Compiègne. Il a été canonisé par le patriarcat oecuménique de Constantinople en 2004.

Or, Le Messager orthodoxe reproduit (n° 140, pages 47-61) un article de Georges Fédotov, publié en 1948 dans le n° 18 de Novyi Journal et traduit du russe par Daniel Struve, où l'on apprend (page 52) que saint Elie Fondaminski, dans les dernières années de son catéchuménat, appartenait à la petite paroisse française du père Lev Gillet. Je me crois donc autorisé à déduire de son appartenance à une paroisse orthodoxe francophone qu'il connaissait le français, et je suis heureux de voir ma petite liste de saints francophones passer de cinq à six noms.

En attendant la canonisation de l'archiprêtre Wladimir Guettée...
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