« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. »
« Di-lbedou illa Lverb, Lverb illa rour-Rebbi, Lverb illa d-Rebbi. » (Traduction kabyle de la péricope de Pâques, in Archimandrite Denis Guillaume, Evangéliaire polyglotte de Pâques, САМИЗДАТ, Nîmes 1999, p. 104.)
Voici la phrase qui devrait, chaque dimanche de Pâques, s’élever de toute l’Afrique du Nord, si des erreurs fatales n’avaient été commises voici plus de quinze siècles.
Dans son message du 11 octobre 2006 à 12 heures 36, Pascal-Yannick a posé un certain nombre de questions sur l’histoire ancienne du christianisme en Afrique, et sur l’histoire de l’Afrique, qui me semblent du plus haut intérêt et qui appellent un certain nombre de développements.
Le 11 octobre 2006 à 15 heures 02, j’avais posté un début de réponse, répondant dans l’urgence à certaines questions de Pascal-Yannick, mais sans pouvoir citer mes sources.Pascal-Yannick a écrit :J'aimerai savoir s'il y a eu des missions orthodoxes en Afrique subsaharienne au temps de Carthage?
Si oui pourquoi,comment ont-elles disparu et jusqu'où s'étendaient-elles?
Si non pourquoi ,au moins,les explorateurs côtiers n'y ont pas apporté l'Orthodoxie?
Le ouiquende étant arrivé, je peux détailler mon message de mercredi dernier et donner mes sources. J’aborderai en vrac plusieurs points, mais mon exposé se divisera en trois parties : l’expansion de l’Eglise de Carthage en dehors de son terroir urbain et latinisé, la connaissance que le monde gréco-romain avait de l’Afrique et les missions chrétiennes en Afrique subsaharienne dans les premiers siècles.lecteur Claude a écrit :Je reviendrai sur la question des missions issues des Eglises de Carthage et d'Alexandrie, car je n'ai pas les documents sous la main. Ils se trouvent en partie dans le livre inachevé de Mgr Duchesne, L'Eglise au VIe siècle.
Il y a eu une présence chrétienne dans la boucle du Niger, donc au sud du Sahara, jusqu'au Xe siècle.
Il est connu que les éléphants d'Hannibal provenaient tout simplement de l'actuel Maroc. Nous ne pouvons juger le Maghreb de l'Antiquité à l'aune de ce que nous connaissons du Maghreb aujourd'hui. C'est la région du monde où les bouleversements ont été les plus complets.
Nous voyons aujourd'hui les trois Etats maghrébins au bord de l'explosion démographique, avec 75 millions d'habitants. En 1955, quand la France contrôlait encore ces régions, il n'y en avait pas 25 millions (dont 2 millions d'Européens et de juifs autochtones chassés après les indépendances). En 1830, quand les pompons bleus débarquèrent à Alger, ces vastes contrées n'avaient pas 5 millions d'habitants. A l'arrivée de l'Islam, au VIIe siècle, 2 millions (estimation de Courbage et Fargues). Il y a donc toutes les raisons de penser qu'avant la conquête romaine, il ne devait pas y avoir 1 million d'habitants. Le pays n'était guère plus humide qu'aujourd'hui (la désertification du Sahara est bien antérieure); mais 1 million d'habitants sur 800'000 kilomètres carrés habitables, cela laissait de la place pour les éléphants.
Quant Charles-Marie Leconte de Lisle, dans le superbe poème des Eléphants que tous les écoliers des pays francophones ont appris un jour ou l'autre, écrit:
Mais qu'importent la soif et la mouche vorace,
Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé?
Ils rêvent en marchant du pays délaissé,
Des forêts de figuiers où s'abrita leur race,
c'est bien des éléphants d'Afrique du Nord dont il parle, des éléphants qui vivaient dans les forêts méditerranéennes, pas de leurs grands frères de la savane africaine. Leconte de Lisle n'utilise pas ici une image ridicule en parlant de "forêtes de figuiers".
Il faut ainsi accepter l'idée, que cela plaise ou non, qu'en Afrique du Nord, à l'époque d'Hannibal ou de Scipion l'Africain, il y avait des éléphants (d'ailleurs petits, rabougris, car il s'agissait d'une population relique isolée en Afrique du Nord par l'assèchement du Sahara) et il n'y avait pas un seul dromadaire.
Les Français avaient aussi découvert dans des coins isolés d'Afrique du Nord des populations reliques de cobras ou de crocodiles rabougris. Et, il y a quelques années, j'ai lu un article dans Le Point sur une mare du Tibesti (en plein Sahara) où il restait encore trois ou quatre petits crocodiles, seuls survivants de populations qui ont été "piégées" par la désertification du Sahara il y a quelques millénaires. Les éléphants d'Hannibal étaient un exemple de ce genre de population.
Les éléphants, objets d'une chasse intensive, ont disparu en même temps que les dromadaires sont apparus au Maghreb, c'est-à-dire à l'époque romaine.
Ce sont les Romains, par la prospérité qu'ils ont apporté à ces régions, entraînant l'augmentation de la population, mais aussi par leur cupidité (recherche de l'ivoire), qui ont entraîné la disparition de ces éléphants. Et ce sont eux qui ont importé les dromadaires depuis le Moyen-Orient. Ils ne se doutaient pas que cette action, en entraînant plus tard l'apparition des grands nomades chameliers, allait avoir des conséquences catastrophiques et pour la latinité, et pour le christianisme, et pour les Berbères, mais cela, on y reviendra plus tard.
Mais oui, au Ier siècle avant Jésus-Christ, quand les Berbères traversaient le Sahara vers l'embouchure du Sénégal, ils le faisaient dans des chars tirés par des chevaux, pas sur des dromadaires.
Tout ceci est raconté en long, en large et en travers par E.F. Gautier (fameux professeur de géographie à l'université d'Alger) dans Le passé de l'Afrique du Nord. Les siècles obscurs, Payot, Paris 1952, ouvrage que j'ai pu acheter d'occasion voici quelques années.
Il faut bien comprendre que, dès l'époque antique, le Sahara était une barrière difficilement franchissable, même si Hérodote atteste que des Nasamons (une peuplade berbère) avaient atteint les bords du Niger au Ve siècle avant Jésus-Christ. (Mais Hérodote le décrit comme un voyage tout à fait exceptionnel.)
Sur les navigations maritimes, il y a bien sûr le Périple d'Hannon. Le professeur Gautier est de l'école maximaliste: pour lui, les Carthaginois ont navigué jusqu'au Cameroun et le dernier comptoir carthaginois, Cerné, se trouvait à la hauteur de Saint-Louis-du-Sénégal. Mauny et Alexandre sont de l'école minimaliste: pour eux, les Carthaginois n'ont pas dépassé le cap Juby et Cerné se situerait à la hauteur de Mogador (pardon, Essaouira). Pour ma part, je penche pour la thèse de Gautier, car je ne vois pas quel volcan actif il y a dans toutes ces régions en dehors du mont Cameroun. Quoiqu'il en soit, ces relations maritimes avec l'Afrique subsaharienne ont pris fin après la première destruction de Carthage par Scipion Emilien (~146) et n'ont jamais repris pendant l'époque romaine.
Tout au plus le monde romain connaissait-il l'existence des Canaries que des Normands devaient plus tard (au XVe siècle!) redécouvrir pour le compte de la couronne de Castille. On sait que Juba II, roi de Maurétanie (un royaume berbère, fortement gréco-romain de culture, dont la capitale se trouvait à Césarée de Maurétanie, aujourd'hui Cherchell à l'ouest d'Alger) a envoyé une flotte vers les Canaries. La titulature des évêques du patriarcat d'Alexandrie au VIe siècle mentionne un évêque des îles Canaries, mais ce n'était qu'un titre.