Recension: "L'inconscient spirituel" par J.-C. Larchet

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Claude le Liseur
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Recension: "L'inconscient spirituel" par J.-C. Larchet

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Jean-Claude Larchet, L'inconscient spirituel, Le Cerf, Paris 2005 (il y a eu des rééditions depuis), 257 pages.

Au milieu d'une production éditoriale consacrée à des sujets à la mode, mais qui ne nous permettront ni de sauver notre âme, ni de vivre heureux (œcuménisme, ordination des femmes, etc.), les livres de Jean-Claude Larchet se distinguent par leur volonté d'aborder de front les sujets vraiment importants, au moyen d'une érudition solide guidée par l'enracinement dans la foi orthodoxe et à travers un style qui reste accessible et agréable à lire.

Certain de ses livres (je pense en particulier à Pour une éthique de la procuration) peuvent changer votre vie. L'inconscient spirituel ne fait pas exception.

Cet ouvrage est basé sur plusieurs conférences que l'auteur a données en 2003 et en 2004, mais développées de telle sorte que le livre présente une réelle unité et que les chapitres se suivent dans un enchaînement logique.

Le premier chapitre (pp. 13-20) est consacré à la distinction (difficile) entre maladies spirituelles et maladies psychiques.

Le deuxième chapitre (pp. 21-30) est la synthèse la plus efficace qu'il m'ait été donné de lire des principes de l'anthropologie chrétienne: image et ressemblance, coopération entre Dieu et l'homme, vertus et passions. Ce chapitre est nécessaire à la compréhension de la suite du livre. L'auteur rappelle l'optimisme de la conception orthodoxe, pour qui le péché ancestral n'a pas modifié en profondeur la nature humaine, par rapport au pessimisme de la conception augustinienne reprise par le catholicisme romain et le protestantisme (pp. 28-29).

Le troisième chapitre (pp. 31-46) est consacré à "Freud et le christianisme". Les points de convergence existent, mais les points de divergence sont si nombreux que le freudisme ressemble en fait à du christianisme inversé: pour Freud, l'activité religieuse correspond à une sublimation de l'activité sexuelle ; pour l'Orthodoxie, l'énergie sexuelle correspond à une "désublimation" de l'énergie spirituelle (p. 39). L'auteur souligne l'athéisme de Freud.
(NdT: Ce fait distingue fondamentalement Freud d'un autre psychanalyste d'origine juive, Victor Frankl, resté quant à lui fidèle à sa religion, qui est mentionné à plusieurs reprises dans le livre de Jean-Claude Larchet.)

Le quatrième chapitre (pp. 47-104) aborde le sujet beaucoup plus riche de la psychanalyse analytique jungienne. Les points de convergence apparaissent comme beaucoup plus nombreux, puisque Carl Gustav Jung était, contrairement à Freud, respectueux de la religion, voire religieux, et que sa théorie des archétypes apparaît d'emblée beaucoup plus stimulante que le freudisme. Toutefois, le fossé avec le christianisme orthodoxe est immense: l'auteur montre que, si Jung était religieux, sa religion était très probablement la gnose alexandrine, et que le jungisme présente aussi de nombreux risques, notamment par sa dévalorisation de l'ascèse, son indifférence à la relation à autrui et son illusion de divinisation, à laquelle Jung lui-même a succombé.

Le cinquième chapitre (pp. 105-110) définit une autre notion de l'inconscient: l'inconscient spirituel. Dans un monde scientifique écrasé par l'athéisme freudien, quelques psychanalystes ont eu le mérite d'évoquer l'inconscient spirituel: Victor Frankl dans un contexte juif, Igor Caruso et Wilfried Daim dans un contexte chrétien.
(NdT: il semble par ailleurs que Victor Frankl ait subi pas mal d'avanies de ce fait, au point que le chef de la dynastie hassidique des Loubavitch, Menachem Mendel Schneerson, ait cru bon de lui apporter son réconfort moral. La mémoire d'Igor Caruso est aussi passablement attaquée de nos jours. Je précise toutefois qu'on ne trouvera pas chez eux un exposé aussi clair que dans les chapitres suivants du livre de Larchet.)

Le sixième chapitre (pp. 111-138) est consacré à la dimension positive de l'inconscient spirituel, soit l'inconscient théophile, tourné vers Dieu. Les références patristiques sont nombreuses, notamment des citations de saint Maxime le Confesseur, à qui l'auteur a consacré une grande partie de son oeuvre.

Le septième chapitre (pp. 139-150) est consacré à la dimension négative de l'inconscient spirituel, soit l'inconscient "déifuge".

Le huitième chapitre (pp. 151-156), intitulé "L'inconscient spirituel et la thérapeutique", est une introduction à la partie la plus pratique du livre: une fois exposées les bases, on va entrer dans la pratique.

Le neuvième chapitre (pp. 157-186) expose deux pratiques thérapeutiques chrétiennes, la confession et la manifestation des pensées, avec un exposé de leurs différences et un rappel de ce que devrait être la confession dans l'Eglise orthodoxe, une pratique radicalement différente de ce qui prévaut dans le catholicisme romain, par exemple. (NdT: Ces principes sont souvent bafoués dans la pratique. Captivité babylonienne de l'Eglise, toujours victime de la confusion introduite par les jésuites et les uniates à l'époque de la Contre-Réforme.)

Le dixième chapitre (pp. 187-254), "Sources spirituelles des maladies psychiques", m'apparaît comme le couronnement de l'ensemble. Il s'agit d'un exposé clair, complet et concis des passions et de leurs relations, à vrai dire non seulement avec les maladies psychiques, mais aussi avec l'ensemble de nos comportements déviants. Les pages consacrées à la cénodoxie (vaine gloire) et à l'orgueil sont magistrales. Non seulement la plupart des lecteurs ne manqueront pas d'y comprendre les racines cachées du comportement de tel ou tel individu qu'ils ont eu le malheur de croiser sur leur chemin, mais aussi (ce qui est plus important!) ils y contempleront leur propre face obscure.

Le dernier chapitre (pp. 255-257) rappelle que le recours à la thérapeutique spirituelle ne peut exclure, du moins dans les circonstances actuelles, le recours à la psychothérapie, ne serait-ce qu'en raison du manque de pères spirituels expérimentés.
(NdT: Cette constatation lucide nous ramène à notre condition de religion devenue minoritaire partout, sauf en Grèce, en Roumanie et à Chypre, et qui, contrairement au judaïsme, n'a pas réussi à s'organiser de manière à faire face à cette situation de minorité assiégée. D'autant plus que l'Orthodoxie a été éradiquée de l'ancien Empire russe, par exemple, précisément au XXe siècle où le freudisme partait à la conquête du monde, de telle sorte qu'il n'a pas été possible de préparer une réponse orthodoxe à Freud.)

Il reste donc à intégrer la richesse incomparable de l'anthropologie orthodoxe dans la pratique de psychothérapeutes désormais bien plus nombreux que les pères spirituels. Le livre de Larchet fournit la base théologique et philosophique d'un tel travail, de même que les œuvres de Frankl, Caruso et Daim fournissent la base scientifique et psychanalytique d'une prise en compte de l'inconscient spirituel.

Je voudrais toutefois préciser que si ce travail reste à faire pour la prise en charge des malades psychiques et psychiatriques les plus atteints, je pense que le livre de Jean-Claude Larchet peut déjà servir de vademecum et de thérapeutique pour les malades les moins atteints, c'est-à-dire la plupart d'entre nous.
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