La Lituanie, comme la plupart des pays civilisés (Canada, Roumanie, Suisse, etc.) tient naturellement des statistiques ethniques et religieuses qui, en Macronie, sont susceptibles d'une peine de cinq ans d'emprisonnement. Le dernier recensement a eu lieu en 2011.
La population de ce pays a considérablement baissé depuis l'indépendance, en raison, en particulier, d'une forte émigration vers le Royaume-Uni. Selon le Wikipédia russe, la population au dernier recensement soviétique (1989) s'élevait à 3'674'802 personnes. Selon l'office lituanien des statistiques (lien en anglais https://osp.stat.gov.lt/en/statistiniu- ... 2c620b8111#/ ), la population résidente au début du mois d'août 2019 n'était que de 2'793'397 personnes. Cela représenterait une baisse de 24% (près d'un quart de la population) en trente ans.
La présence de l'Orthodoxie dans l'actuelle Lituanie est attestée depuis au moins le XIVe siècle, avec le martyre des saints Antoine, Jean et Eustathe à Vilnius en 1347. Toutefois, le pouvoir politique a fait le choix du catholicisme romain lors du mariage du grand-duc Jagellon (lituanien Jogaila) avec la reine de Pologne Edwige (polonais Jadwiga) en 1386. L'Orthodoxie est dès ce moment-là devenue minoritaire au sein du peuple lituanien, qui a été fortement incité à passer du paganisme au catholicisme romain. L'Orthodoxie, majoritaire dans l'essentiel du territoire du Grand-Duché, est resté tolérée pendant deux siècles.
la présence orthodoxe n'a pas survécu à l'uniatisme imposé par la violence à partir de la fausse union de Brest en 1596 - on se souvient notamment des exploits de Josaphat Kuncewicz, plus tard canonisé par le Vatican, qui brûlait les églises orthodoxes avec leurs fidèles dedans. Il n'y a pratiquement pas trace de survie d'une présence orthodoxe au sein du peuple lituanien après cette date - alors qu'en Estonie, par exemple, les Setos sont toujours restés orthodoxes. Selon Regina Laukaitytė ("The Orthodox Church in Lithuania", in Lucian N. Leustean e.a., Eastern Christianity and Politics in the Twenty-First Century, Routledge, Oxon / New York 2014), il n'y aurait eu que 400 fidèles orthodoxes en Lituanie à la fin du XVIIIe siècle, avec tout de même deux monastères.
La Lituanie a été rattachée à l'Empire russe suite à l'effondrement de l'Etat polonais en 1795. L'Eglise orthodoxe y a été réimplantée, mais comme une Eglise purement coloniale, représentée uniquement, ou presque, par des ouvriers, cheminots, commerçants, fonctionnaires, militaires et paysans russes, blanc-russiens et ukrainiens qui s'étaient installés en Lituanie. Le peuple lituanien est resté dans sa quasi-totalité catholique romain, contrairement aux Estoniens et aux Lettons qui étaient luthériens dans leur grande majorité (sans oublier qu'au milieu du XIXe siècle, une mission orthodoxe bien conçue a remporté des succès importants parmi les Estoniens, dont environ 15% sont alors passés du luthéranisme à l'Orthodoxie).
La Lituanie, moins industrialisée et moins stratégique que la Lettonie et l'Estonie, a attiré relativement peu d'immigrants slaves, et ce aussi bien à l'époque impériale qu'à l'époque soviétique. Comme l'Orthodoxie ne s'est pas implantée au sein de la population autochtone (contrairement à l'Estonie), elle est restée une religion très minoritaire.
Quand l'Empire russe s'est effondré en 1917-1918, la Lituanie a connu, en matière ecclésiastique, un régime différent de celui d'autres pays issus de cet effondrement (Pologne, Finlande, Estonie, Lettonie, Géorgie). Dans les autres pays, les nouveaux pouvoirs politiques, qui cherchaient à effacer toute trace du passé impérial ou toute possibilité d'ingérence, mais qui devaient composer avec d'importantes populations orthodoxes, ont poussé à la rupture des liens avec une Eglise orthodoxe russe elle-même en grande difficulté (persécution communiste ; schisme des rénovationnistes ; décès du patriarche Tikhon en 1925, non remplacé jusqu'en 1943) et à la création d'Eglises autocéphales ou au moins autonomes. Cela s'est fait sur un fond plus ou moins hostile, allant de la sympathie des nouvelles autorités en Estonie (où le président Päts était orthodoxe et frère d'un prêtre) et en Finlande (où l'Eglise orthodoxe est jusqu'à ce jour une religion d'Etat avec l'Eglise luthérienne) jusqu'à l'hostilité en Pologne (qui a connu un déchaînement de violence, avec destruction de centaines de lieux de culte orthodoxes, en 1938-1939).
En Lituanie, la situation était très particulière. Les effectifs de la minorité orthodoxe étaient trop faibles pour que l'on pût sérieusement envisager la création d'une Eglise autocéphale. Le gouvernement n'avait pas de sympathie particulière pour une Eglise coloniale et qui avait été favorisée par l'occupant russe, mais il était conscient, d'une part que cette Eglise ne présentait aucun danger et que le fidèle orthodoxe moyen en Lituanie, fût-il d'origine russe ou ukrainienne, n'éprouvait pas un sentiment de sympathie débordante à l'égard de l'épouvantable dictature communiste, responsable d'une persécution religieuse sans équivalent dans l'Histoire. En outre, l'évêque orthodoxe, réfugié à Kaunas, capitale provisoire de la Lituanie entre 1921 et 1939, continuait à revendiquer une juridiction sur la ville de Vilnius, que la Pologne venait d'arracher à la Lituanie. Qu'on le veuille ou non, cela faisait de l'Eglise orthodoxe une alliée objective du gouvernement lituanien dans sa revendication sur Vilnius, et créait une raison supplémentaire de la laisser en paix.
Le gouvernement de la Lituanie indépendante se garda donc, dans l'ensemble, d'interférer dans les affaires d'une Eglise orthodoxe locale organisée en un seul diocèse qui fut le seul de tous les pays baltes à rester dans la juridiction du patriarcat de Moscou - ou de ce qu'il en restait - entre 1918 et 1940. Cela donna à ce diocèse une importance démesurée puisque c'était pratiquement le seul diocèse du patriarcat de Moscou rétabli en 1917 qui fonctionnait en dehors des frontières de l'Union soviétique et en dehors de toute persécution religieuse. C'est ainsi que le métropolite de Lituanie de l'époque fut amené à jouer un rôle important dans les affaires de l'Orthodoxie en France, et notamment dans les débuts des communautés orthodoxes francophones. Je me demande même si ce n'est pas grâce à ce diocèse de Lituanie que le pouvoir soviétique a renoncé à faire totalement disparaître le patriarcat de Moscou dans le cadre d'une solution qui serait plus tard celle de l'Albanie d'Enver Hoxha.
Lors de la période soviétique (1944-1991), la persécution de l'Eglise orthodoxe a été moins intense en Lituanie que dans la plupart des autres républiques soviétiques : en raison de la faiblesse démographique de l'Eglise orthodoxe, l'essentiel des violences était dirigé contre une Eglise catholique romaine autrement plus présente en Lituanie. Il n'en reste pas moins qu'en Lituanie aussi, l'Eglise orthodoxe a subi la propagande antireligieuse omniprésente, la taxation confiscatoire des revenus du clergé, et les fermetures de lieux de culte pendant la grande persécution khrouchtchévienne de 1959-1964.
En 1990-1991, lors de la crise finale qui a conduit la Lituanie à recouvrer son indépendance, le métropolite de Vilnius de l'époque, Monseigneur Chrysostome (Martichkine), pourtant à la tête d'une Eglise étrangère au peuple lituanien, a pris parti pour la revendication d'indépendance et a manifesté une loyauté sans faille à l'égard de la république de Lituanie. Celle-ci, ayant recouvré l'indépendance perdue en 1940, a aussi renoué avec la politique qui avait été suivie de 1918 à 1940, de telle sorte que l'Eglise orthodoxe n'a pas subi d'ingérences de la part de l'Etat et s'est vu restituer les lieux de culte fermés pendant la période soviétique. A Monseigneur Chrysostome a succédé en 2010, Monseigneur Innocent (Vasiliev), qui avait servi à Paris entre 1999 et 2010.
Monseigneur Chrysostome n'avait eu à l'époque le soutien que de deux membres de son clergé, dont le futur métropolite Hilarion (Alfeyev), et a eu à subir pas mal d'avanies de la part des structures soviétiques qui restaient bien en place. L'Eglise orthodoxe de Lituanie s'est dans l'ensemble abstenue de se mêler de politique, ou même de trop se lier aux nombreuses institutions culturelles de la minorité russe, et la République de Lituanie s'est de son côté abstenue d'intervenir dans les affaires de l'Eglise orthodoxe ou à interférer dans les relations de celle-ci avec le patriarcat de Moscou.
Cette Eglise, qui a dans l'ensemble bénéficié de la bienveillance de la Lituanie indépendante, est néanmoins dans une situation très difficile, du fait de son caractère à la fois minoritaire et visiblement étranger. Le métropolite actuel, originaire de la région de Novgorod en Russie, ne maîtrise pas la langue lituanienne. Il est significatif que le site Internet du diocèse ne soit disponible qu'en russe (ici : https://www.orthodoxy.lt/ ). Il s'agit donc bien, pour le moment, d'une Eglise slave en terre lituanienne. La faiblesse des effectifs a conduit à ce que la Lituanie tout entière ne constitue qu'un seul diocèse du patriarcat de Moscou, ce qui reproduit la situation de la précédente indépendance lituanienne.
La Lituanie tenant, à l'exemple de la plupart des pays dignes de ce nom et à l'inverse de la République française, des statistiques ethniques et religieuses détaillées, le recensement de 2011 a donné les résultats suivants, qui ont été publiés sur Internet en anglais (ici : http://statistics.bookdesign.lt/esu_04.htm?lang=en ). Les trois ethnies principales étaient les Lituaniens (84,2%), les Polonais (6,6%) et les Russes (5,8%). Les trois religions principales étaient le catholicisme romain (77,2%), l'absence de religion (6,1% seulement malgré un demi-siècle d'athéisme soviétique) et l'Orthodoxie (4,1%, auxquels il conviendrait d'ajouter 0,8% de Vieux-Croyants arrivés en Lituanie dès le XVIIe siècle). Le christianisme orthodoxe est la religion de 59,1% des Ukrainiens, 51,5% des Russes (auxquels il faut ajouter 11,8% de Vieux-Croyants) et de 32,3% des Biélorussiens. Le catholicisme romain est quant à lui la religion de 88,6% des Polonais, 82,9% des Lituaniens, 49,6% des Blanc-Russiens et 13,7% des Ukrainiens.
Si la proportion de 4,1% s'était conservée, cela correspondrait aujourd'hui à 115'000 fidèles, contre 125'000 en 2011, compte tenu du déclin démographique général de la Lituanie. Or, il est peu probable que cette proportion se soit maintenue, dans la mesure où la communauté orthodoxe était plus âgée, sujette à l'assimilation dans le milieu ambiant et probablement diminuée à la marge par une petite émigration vers la Russie. Il est donc possible que la communauté ne dépasse guère les 100'000 baptisés à l'heure actuelle.
Déjà en 2011, sur 53 paroisses orthodoxes enregistrées en Lituanie, seules 27 avaient des liturgies hebdomadaires et 20 des liturgies à intervalles plus ou moins réguliers, tandis que 6 avaient cessé de fonctionner (source : Regina Laukaitytė, "The Orthodox Church in Lithuania", in Lucian N. Leustean e.a., Eastern Christianity and Politics in the Twenty-First Century, Routledge, Oxon / New York 2014).
Il faut toutefois signaler qu'un monastère d'hommes et un monastère de femmes, à Vilnius, sont restés ouverts pendant toute la période soviétique, ce qui était une rareté en URSS, et qu'ils existent toujours.
Pour lutter contre cette évolution, Monseigneur Chrysostome s'était efforcé d'ouvrir son diocèse vers la culture lituanienne pour ne pas devenir l'Eglise d'une minorité ethnique condamnée à disparaître avec elle. Il avait encouragé les efforts, déjà évoqués sur le présent forum (ici: viewtopic.php?f=1&t=2834 ), d'un prêtre lituanien, Vitalijus Mockus, pour remplacer la traduction lituanienne de la liturgie (datant de 1880 ou de 1887, selon les sources, jamais utilisée et en lituanien maladroit) par une traduction en lituanien littéraire, de telle sorte que, depuis le 23 janvier 2005, les offices sont régulièrement célébrés en lituanien dans l'église historique Sainte-Parascève à Vilnius.
Je répète ici ce que j'ai déjà écrit à ce propos :
Prions le Seigneur pour qu'il accorde vigueur et croissance à l'Eglise orthodoxe de Lituanie !http://www.pravoslavie.ru/72840.html
Intéressante interview d'un prêtre orthodoxe d'ethnie lituanienne, l'archiprêtre Vitalijus Mockus (russe Виталий Моцкус), né en 1974, converti à l'Orthodoxie en 1990. Il est le recteur de l'église Sainte-Parascève, à Vilnius, où les célébrations se font en lituanien.
Au passage, je vous assure que, ne connaissant pas le lituanien (si ce n'est que, pour l'avoir entendu chanter une fois, je sais que c'est une très belle langue), il m'a fallu un certain temps pour trouver comment s'écrivait en lituanien et en alphabet latin le nom que je n'avais trouvé que dans sa translittération russe.
En fait, il explique qu'une traduction de la liturgie en lituanien avait été faite en 1880 avec la bénédiction du Saint-Synode, mais elle ne semble pas avoir été réellement utilisée. Elle était par ailleurs considérablement russifiée et écrite en cyrillique avec des notes sur la prononciation de la langue lituanienne. Le RP Motskus pense dès lors qu'elle était destinée à des prêtres qui n'auraient pas vraiment connu le lituanien. Il a donc refait les traductions.
La première liturgie orthodoxe en lituanien a été célébrée à Vilnius le 23 janvier 2005.
Visiblement, d'après ses explications, le travail missionnaire est très difficile, mais en tout cas, l'église est très belle. C'est l'église où avait été baptisé en 1705 Abraham Hannibal, l'arrière-grand-père camerounais de Pouchkine. Fermée au culte par les Soviétiques en 1961, rendue à l'Eglise orthodoxe en 1990, et donc utilisée depuis 2005 pour le culte orthodoxe en langue lituanienne.
Et finalement, de navigation en navigation, j'ai fini par trouver le site Internet de cette unique paroisse orthodoxe de langue lituanienne :
https://www.paraskevi.lt/
On trouve au demeurant beaucoup de références sur la Toile à propos de l'archiprêtre Mockus, en lituanien et en russe, y compris des vidéos où il s'exprime.
Donc, au terme de mon investigation, je conclus que le lituanien est bel et bien une des langues liturgiques de l'Orthodoxie, et ce depuis le 23 janvier 2005.