La Tradition de l'Eglise
Publié : jeu. 24 nov. 2005 11:16
L'expresson "stage liturgico-canonique" est amusante. De mon côté ce n’est pas tout à fait sérieusement que j’ai parlé à son propos de « théologoumène ».
Cependant il me semble que ce qu’elle cherche à faire passer pose problème.
En somme vous distinguez au sein de la Tradition deux éléments : la tradition écrite du Nouveau Testament, et un ensemble de prescriptions et de règles conférées oralement et dont on retrouverait la trace dans des documents postérieurs comme la littérature canonique ou les décisions des Conciles.
Mais cette distinction me paraît très discutable. Le Nouveau Testament lui-même est tout entier sorti de la première tradition orale qui perpétuait les souvenirs des paroles prononcées par Jésus (loguia), des miracles accomplies par lui, ainsi que de sa mort et de sa résurrection. Cette tradition vivante et même foisonnante, comme en témoignent les divergences entre les différents textes, a fini par être fixée par écrit. Un choix a été opéré en fonction du projet de chaque évangéliste. Des traditions moins certaines que d’autres ont sans doute été écartées. Quoiqu’il en soit, les paroles et les miracles de Jésus qui n’ont pas trouvé leur place dans les Ecritures, n’ont pas été retenus par la Tradition. Celle-ci n’a d’ailleurs jamais cherché à en dresser un inventaire exhaustif. On a pu remarquer ainsi la discrétion de Saint Paul concernant les épisodes de la vie du Christ. Ce n’est pas pour autant que l’Eglise ancienne n’était pas centrée sur la personne du Christ, mais elle croyait (et croit toujours) détenir dans l’Esprit la plénitude de son enseignement
Bien entendu la rédaction des Evangiles, n’a pas mis fin à la Tradition orale, mais a pris place à l’intérieur de celle-ci. L’Evangile servait de support à la transmission de la foi et à la prédication, il s’insérait dans la liturgie dont des éléments importants ont longtemps conservé un caractère oral. Petit à petit des éléments de plus en plus importants de cette Tradition ont été notés constituant l’immense corpus de la littérature ecclésiale. En même temps le caractère secret de certains rites ou enseignements fut abandonné à mesure que l’Eglise cessait d’être une minorité persécutée et s’étendait à l’ensemble de l’Empire. Même si une grande discrétion prévalait (d’où la pratique des prières secrètes), les mystères chrétiens n’étaient plus des mystères au sens que leur déroulement aurait constitué un secret connu des seuls initiés. Il restèrent pourtant des mystères parce que leur réalité ne s’épuisait pas dans les formules ou dans prescriptions rituelles, mais était spirituelle et demeurait toujours accessible uniquement dans l’Esprit et par la foi.
Si la Tradition orale est toujours présente aujourd’hui et continue comme dans l’Eglise primitive à donner son sens à la Tradition écrite, c’est qu’elle n’est justement pas un code, une collection de formules transmises de génération en génération, mais la Tradition vivante de l’Esprit.
Nous avons à ce propos des témoignages non ambigus de l’Ecriture, par exemple dans les paroles que le Christ adresse à ses disciples lors de la Cène :.
Ainsi l’enseignement du Christ se conserve-t-il dans l’Eglise, parmi ses disciples, grâce à la présence de l’Esprit saint, qui continue à enseigner, bien que cet enseignement ne soit rien de nouveau, mais un constant rappel de l’enseignement du Christ.
Autrement dit la Tradition de l’Eglise se nourrit de deux sources, tire son autorité de deux instances. D’une par elle s’enracine dans la tradition apostolique, dans l’enseignement de ceux qui ont été les disciples du Christ et les témoins de sa Résurrection. L’Evangile, les épîtres de Paul, les témoignages des premiers pères qui étaient encore en contact avec la mémoire vivante des premiers temps, ainsi que les éléments les plus anciens du kérygme et de la liturgie en assurent la perpétuation. Mais ce n’est qu’une partie de la Tradition. L’autre fondement de celle-ci est la présence vivante et actuelle du Saint Esprit dans l’Eglise, qui fait que le depositum fidei qui est le nôtre n’est pas un corpus figé, mais une réalité vivante et spirituelle, non pas au sens d’une « évolution du dogme », mais dans ce sens que le dogme s’appuie à la fois sur la tradition des apôtres et sur l’expérience vivante de l’Eglise. Il me semble que votre formule de « stage canonico-liturgique » ne laisse pas une place suffisante à l’action du Saint Esprit dans l’Eglise. Ainsi les pères des Conciles n’ont-ils pas fait œuvre d’archivistes, cherchant dans leur mémoire collective des bribes conservées d’anciennes prescriptions, mais ont-ils tenté de formuler la foi vivante de l’Eglise sous la conduite de l’Esprit.
Le Christ lui-même nous donne l’exemple de l’attitude à avoir face à la Tradition. Lui aussi était confronté à une situation où coexistaient une Loi écrite (la Torah) et un ensemble de prescriptions traditionnelles que les Evangiles désignent comme « la tradition des anciens », rejetées par les Saducéens, mais scrupuleusement respectées par les pharisiens. Le Christ se montre particulièrement sévère pour cette tradition, ses prescriptions rituelles et sa casuistique morale. A la question des pharisiens qui lui demandent pourquoi ses disciples ne se conduisent pas selon la tradition des anciens, le Christ répond par une condamnation sans appel :
Jésus rappelle sans cesse à ses interlocuteurs la parole divine des Ecritures sous la lettre de laquelle il fait découvrir la réalité spirituelle et l’oppose au formalisme des pharisiens comme d’ailleurs au fondamentalisme des saducéens :
C’est encore de lecture de l’Ecriture qu’il est question lors des apparitions du Christ ressuscité aux apôtres :
C’est cette tradition spirituelle, celle du Christ, des synoptiques, de Saint Jean et de Saint Paul qui est notre tradition et nous devons faire attention à ne pas glisser vers un traditionalisme qui fige cette réalité vivante et la réduit à une lettre. Cette tradition vivante est celle de l’Eglise et c’est pourquoi il nous faut par dessus tout veiller à l’unité de celle-ci, qui est la source de notre dogme et de la vérité. Les formules dogmatiques ou liturgiques n’ont pas de valeur en elles-mêmes. Elles ne prennent sens qu’au sein de la vie inspirée de l’Eglise. L’erreur de l’intégrisme est de croire le contraire. La correction du rite et des formules dogmatiques devient le critère suprême de l’appartenance à l’Eglise et source d’une tension et d’une anxiété permanentes. Mais les intégristes oublient que ce précieux dépôt perd toute sa valeur une fois qu’il est détaché de la réalité vivante du Corps du Christ qui lui donnait sens. Les formules humaines les plus sacrées ne peuvent rien nous apprendre sur Dieu, sinon par l’Esprit qui, selon la promesse du Christ, demeure dans l’Eglise. Prétendre le contraire aboutit à une conception magique des formules de la Tradition, en fait une sorte de mantras ésotériques, ce qu’elles ne sauraient être.
Votre description de la Tradition orale sous les traits d’un dépôt reçu directement et littéralement du Christ, me semble amputer l’Eglise de cette source toujours actuelle de la tradition qu’est la présence en elle du Saint Esprit. Elle ne me semble pas prendre suffisamment en compte les paroles du Christ quand il dit qu’il doit partir pour que vienne le Consolateur. Poussée au bout de sa logique, elle risque de rabattre sans reste toute la Tradition vivante de l’Eglise sur un ensemble de prescriptions et de formules à l'instar du judaïsme de l’époque du Christ. C'est-à-dire finalement du substituer la loi de l’homme à la Loi de Dieu.
Cependant il me semble que ce qu’elle cherche à faire passer pose problème.
En somme vous distinguez au sein de la Tradition deux éléments : la tradition écrite du Nouveau Testament, et un ensemble de prescriptions et de règles conférées oralement et dont on retrouverait la trace dans des documents postérieurs comme la littérature canonique ou les décisions des Conciles.
Mais cette distinction me paraît très discutable. Le Nouveau Testament lui-même est tout entier sorti de la première tradition orale qui perpétuait les souvenirs des paroles prononcées par Jésus (loguia), des miracles accomplies par lui, ainsi que de sa mort et de sa résurrection. Cette tradition vivante et même foisonnante, comme en témoignent les divergences entre les différents textes, a fini par être fixée par écrit. Un choix a été opéré en fonction du projet de chaque évangéliste. Des traditions moins certaines que d’autres ont sans doute été écartées. Quoiqu’il en soit, les paroles et les miracles de Jésus qui n’ont pas trouvé leur place dans les Ecritures, n’ont pas été retenus par la Tradition. Celle-ci n’a d’ailleurs jamais cherché à en dresser un inventaire exhaustif. On a pu remarquer ainsi la discrétion de Saint Paul concernant les épisodes de la vie du Christ. Ce n’est pas pour autant que l’Eglise ancienne n’était pas centrée sur la personne du Christ, mais elle croyait (et croit toujours) détenir dans l’Esprit la plénitude de son enseignement
Bien entendu la rédaction des Evangiles, n’a pas mis fin à la Tradition orale, mais a pris place à l’intérieur de celle-ci. L’Evangile servait de support à la transmission de la foi et à la prédication, il s’insérait dans la liturgie dont des éléments importants ont longtemps conservé un caractère oral. Petit à petit des éléments de plus en plus importants de cette Tradition ont été notés constituant l’immense corpus de la littérature ecclésiale. En même temps le caractère secret de certains rites ou enseignements fut abandonné à mesure que l’Eglise cessait d’être une minorité persécutée et s’étendait à l’ensemble de l’Empire. Même si une grande discrétion prévalait (d’où la pratique des prières secrètes), les mystères chrétiens n’étaient plus des mystères au sens que leur déroulement aurait constitué un secret connu des seuls initiés. Il restèrent pourtant des mystères parce que leur réalité ne s’épuisait pas dans les formules ou dans prescriptions rituelles, mais était spirituelle et demeurait toujours accessible uniquement dans l’Esprit et par la foi.
Si la Tradition orale est toujours présente aujourd’hui et continue comme dans l’Eglise primitive à donner son sens à la Tradition écrite, c’est qu’elle n’est justement pas un code, une collection de formules transmises de génération en génération, mais la Tradition vivante de l’Esprit.
Nous avons à ce propos des témoignages non ambigus de l’Ecriture, par exemple dans les paroles que le Christ adresse à ses disciples lors de la Cène :.
Mais le Paraclet, l’Esprit Saint, qu’enverra la Père en mon nom, lui vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que moi je vous ai dit. (Jean 14,26)
Ainsi l’enseignement du Christ se conserve-t-il dans l’Eglise, parmi ses disciples, grâce à la présence de l’Esprit saint, qui continue à enseigner, bien que cet enseignement ne soit rien de nouveau, mais un constant rappel de l’enseignement du Christ.
Autrement dit la Tradition de l’Eglise se nourrit de deux sources, tire son autorité de deux instances. D’une par elle s’enracine dans la tradition apostolique, dans l’enseignement de ceux qui ont été les disciples du Christ et les témoins de sa Résurrection. L’Evangile, les épîtres de Paul, les témoignages des premiers pères qui étaient encore en contact avec la mémoire vivante des premiers temps, ainsi que les éléments les plus anciens du kérygme et de la liturgie en assurent la perpétuation. Mais ce n’est qu’une partie de la Tradition. L’autre fondement de celle-ci est la présence vivante et actuelle du Saint Esprit dans l’Eglise, qui fait que le depositum fidei qui est le nôtre n’est pas un corpus figé, mais une réalité vivante et spirituelle, non pas au sens d’une « évolution du dogme », mais dans ce sens que le dogme s’appuie à la fois sur la tradition des apôtres et sur l’expérience vivante de l’Eglise. Il me semble que votre formule de « stage canonico-liturgique » ne laisse pas une place suffisante à l’action du Saint Esprit dans l’Eglise. Ainsi les pères des Conciles n’ont-ils pas fait œuvre d’archivistes, cherchant dans leur mémoire collective des bribes conservées d’anciennes prescriptions, mais ont-ils tenté de formuler la foi vivante de l’Eglise sous la conduite de l’Esprit.
Le Christ lui-même nous donne l’exemple de l’attitude à avoir face à la Tradition. Lui aussi était confronté à une situation où coexistaient une Loi écrite (la Torah) et un ensemble de prescriptions traditionnelles que les Evangiles désignent comme « la tradition des anciens », rejetées par les Saducéens, mais scrupuleusement respectées par les pharisiens. Le Christ se montre particulièrement sévère pour cette tradition, ses prescriptions rituelles et sa casuistique morale. A la question des pharisiens qui lui demandent pourquoi ses disciples ne se conduisent pas selon la tradition des anciens, le Christ répond par une condamnation sans appel :
Laissant de côté le commandement de Dieu vous vous attachez à la tradition des hommes. (…) Vous rejetez bel et bien le commandement de Dieu pour garder votre tradition. Moïse dit en effet : honore ton père et ta mère… (Marc 7, 8-9)
Jésus rappelle sans cesse à ses interlocuteurs la parole divine des Ecritures sous la lettre de laquelle il fait découvrir la réalité spirituelle et l’oppose au formalisme des pharisiens comme d’ailleurs au fondamentalisme des saducéens :
Si vous vous égarez, n’est-ce pas faute de connaître les Ecritures et la puissance de Dieu ? (Marc 12, 24)
C’est encore de lecture de l’Ecriture qu’il est question lors des apparitions du Christ ressuscité aux apôtres :
Alors il ouvrit leur intelligence pour qu’ils comprennent les Ecritures. (Luc 24,45)
C’est cette tradition spirituelle, celle du Christ, des synoptiques, de Saint Jean et de Saint Paul qui est notre tradition et nous devons faire attention à ne pas glisser vers un traditionalisme qui fige cette réalité vivante et la réduit à une lettre. Cette tradition vivante est celle de l’Eglise et c’est pourquoi il nous faut par dessus tout veiller à l’unité de celle-ci, qui est la source de notre dogme et de la vérité. Les formules dogmatiques ou liturgiques n’ont pas de valeur en elles-mêmes. Elles ne prennent sens qu’au sein de la vie inspirée de l’Eglise. L’erreur de l’intégrisme est de croire le contraire. La correction du rite et des formules dogmatiques devient le critère suprême de l’appartenance à l’Eglise et source d’une tension et d’une anxiété permanentes. Mais les intégristes oublient que ce précieux dépôt perd toute sa valeur une fois qu’il est détaché de la réalité vivante du Corps du Christ qui lui donnait sens. Les formules humaines les plus sacrées ne peuvent rien nous apprendre sur Dieu, sinon par l’Esprit qui, selon la promesse du Christ, demeure dans l’Eglise. Prétendre le contraire aboutit à une conception magique des formules de la Tradition, en fait une sorte de mantras ésotériques, ce qu’elles ne sauraient être.
Votre description de la Tradition orale sous les traits d’un dépôt reçu directement et littéralement du Christ, me semble amputer l’Eglise de cette source toujours actuelle de la tradition qu’est la présence en elle du Saint Esprit. Elle ne me semble pas prendre suffisamment en compte les paroles du Christ quand il dit qu’il doit partir pour que vienne le Consolateur. Poussée au bout de sa logique, elle risque de rabattre sans reste toute la Tradition vivante de l’Eglise sur un ensemble de prescriptions et de formules à l'instar du judaïsme de l’époque du Christ. C'est-à-dire finalement du substituer la loi de l’homme à la Loi de Dieu.