Nikolas a écrit : ↑mer. 14 nov. 2018 20:24
Afin d'affiner vos analyses statistiques toujours pertinente avez-vous connaissance de sondage plus récent, notamment indiqué ici:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Religion_en_Ukraine
Néanmoins je me suis toujours demander comment une juridiction telle que le "patriarcat de Kiev" forte de si nombreux fidèles et théoriquement la plus importante, n'avait alors pas plus d'églises, de paroisses et de monastères. C'est une chose incompréhensible pour moi.
Mais vos remarque suscite malgré tout d'autres interrogations, moins statistiques. A vous lire le simple fait que les deux juridictions schismatiques ait plus de fidèles que la juridiction canonique justifie l'interventionnisme de Constantinople, la légalisation du schisme, et la réintégration d'individu anathématisé à plus d'un titre. Si la force des chiffres devait faire foi, il y a belle lurette qu'il n'y aurait plus d'Eglise orthodoxe, comme vous le savez.
Je ne critique pas le fait qu'il faille trouver une solution aux schismes ukrainiens dont le problème remonte comme vous le notez à juste titre à 1918, loin de là ; ni que l'autocéphalie puisse être une des solutions du problème, je trouve juste étrange de votre part, votre complaisance apparente avec les actions, plus que critiquable, entreprise par Constantinople.
J'aurais envie de vous traduire un texte du RP Andrew Phillips (avec lequel je suis pour une fois d'accord) sur le culte des "saints" Canons, mais je réserverai cette traduction pour un autre jour.
Oui, je pense que les statistiques et les chiffres ont une importance, car ils déterminent deux notions complètement étrangères à l'univers mental des orthodoxes francophones: la pastorale et la mission.
C'est le patriarcat de Moscou qui, en s'obstinant à refuser d'octroyer l'autocéphalie à l'Eglise orthodoxe d'Ukraine, a livré l'Ukraine aux sectes néoprotestantes américaines. C'est le patriarcat de Moscou qui a tout fait pour que la religion orthodoxe soit assimilée à l'impérialisme russe par une population qui ne voulait précisément plus de cet impérialisme.
Qui plus est, il apparaît désormais que ce refus d'octroyer l'autocéphalie procédait bien d'un projet politique.
Alors libre à qui le veut de prendre pour argent comptant le discours de la politique étrangère russe. Libre à tous les francophones qui le veulent de croire que la langue ukrainienne n'existe pas, que la majorité des Ukrainiens se considèrent comme des Russes, qu'un Etat nazi peut être dirigé par un Juif, etc.
Mais là où les chiffres m'ont trompé, et là où ils ont vraisemblablement trompé le patriarcat de Constantinople, c'est que les effectifs de l'Orthodoxie ukrainienne sont si faibles qu'il n'y a plus rien à sauver. C'est en 1992 qu'il fallait accorder l'autocéphalie aux orthodoxes ukrainiens. Quand le pas a été franchi en 2018, tout s'était déjà effondré, tout le monde était déjà passé au protestantisme et il n'y avait plus rien à faire.
Entre deux maux il faut choisir le moindre.
En 2018, quand le patriarcat de Constantinople a restauré sa juridiction sur l'Ukraine le temps d'accorder l'autocéphalie à l'Eglise orthodoxe d'Ukraine, le christianisme orthodoxe était déjà, en Ukraine, tombé en-dessous du seuil de survie. Il aurait mieux valu abandonner les derniers orthodoxes d'Ukraine à leur sort que de tenter de sauver l'Orthodoxie en Ukraine (ce qui n'était déjà plus possible; merci à la pastorale du patriarcat de Moscou), au vu de ce qu'ont subi depuis les patriarcats de Constantinople et d'Alexandrie pour avoir reconnu cette autocéphalie.
L'intention était louable et procédait d'un souci pastoral: sauver l'Orthodoxie en Ukraine en accordant l'autocéphalie aux orthodoxes ukrainiens. Mais tout ceci reposait sur les chiffres truqués fournis par des organismes ukrainiens comme l'Institut Razoumkov - chiffres truqués qui, au demeurant, surévaluent aussi dans des proportions démesurées les effectifs du patriarcat de Moscou en Ukraine, et pas seulement ceux des autocéphalistes. Maintenant que nous connaissons la situation réelle, nous savons qu'il n'y a plus rien à sauver.
Au cas où il y aurait encore des francophones attardés qui frétillent lorsque Vladimir Rudolfovitch Soloviov qualifie les troupes russes engagées en Ukraine de "guerriers orthodoxes", j'ai lu le très intéressant témoignage de musulmans du Donbass qui ont, en effet, accueilli les soldats russes comme des libérateurs... car il s'agissait en l'occurrence de musulmans comme eux (25 millions de musulmans en Russie en 2018, selon l'estimation du grand mufti de Russie Rawil Gaynetdin) qui venaient les libérer d'un Etat à tendance protestante et les rattacher à un Etat qui est quand même membre observateur de l'Organisation de la coopération islamique. Le Donbass est musulman (et marxiste-léniniste), pas orthodoxe.
Toujours est-il que le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions. Pour être venus au secours d'une minorité orthodoxe en Ukraine qui était déjà condamnée et que rien ne pouvait plus secourir, les patriarcats de Constantinople et d'Alexandrie se sont opposés à la politique d'une grande puissance, la Russie, et ils n'ont pas fini de le payer. Il est quand même curieux que les mêmes francophones qui s'indignent lorsque le patriarcat de Constantinople intervient en Ukraine (dont une partie était sous sa juridiction jusqu'en... 1915) ne voient pas ce qu'il y a d'absurde, choquant et contraire au bon sens dans l'érection d'un exarchat du patriarcat de Moscou en Afrique. Là, il n'y a même pas l'excuse d'une intention pastorale. C'est de la pure vengeance. Avec, en plus, la volonté de s'aligner sur les objectifs géopolitiques de la Fédération de Russie (détruire le peu d'influence que la France et la Grande-Bretagne conservent sur le continent africain). Là encore, il faut vraiment être un francophone en pamoison devant le preux chevalier chrétien Vladimir Poutine (ou qui attend que le patriarcat de Moscou accomplisse le travail pastoral et administratif que les orthodoxes francophones n'ont jamais voulu faire chez eux) pour croire que l'érection par le patriarcat de Moscou de cet exarchat parallèle et schismatique n'aura pas pour effet de porter un coup fatal au christianisme orthodoxe là où, contrairement à l'Ukraine, il avait un avenir: en Afrique subsaharienne.
Puisque vous êtes tous si prompts à utiliser l'adjectif "schismatique", vous noterez que c'est la première fois que je l'utilise à votre encontre: l'exarchat que le patriarcat de Moscou a installé en Afrique est schismatique, archischismatique, ultraschismatique; il a la quintessence du schisme; l'expression ecclésiastique de la passion la plus basse (la vengeance); il est la version spirituelle du groupe Wagner; il est le contraire de l'esprit missionnaire. Il n'y a pas besoin d'invoquer les fameux "saints" canons, la canonicité, tous ces grands mots dont le pharisaïsme aime à se gargariser: il suffit d'être un peu chrétien pour s'en rendre compte.
Mais, à la fin, tout se ramène à un choix, et ce choix, malheureusement, est déterminé par des chiffres. Toujours sous l'angle de la pastorale et du salut des âmes, il ne fallait pas prendre le risque de sacrifier l'Orthodoxie d'Afrique noire, promise à un bel avenir, pour essayer de sauver l'Orthodoxie en Ukraine, qui relève déjà d'un passé lointain. Si le patriarcat de Constantinople avait connu en 2018 les chiffres que nous connaissons aujourd'hui au lieu d'être désinformé, peut-être qu'il n'aurait pas pris ce risque.
Il n'en reste pas moins que le patriarcat de Moscou, en s'étant accroché à sa juridiction sur l'Ukraine pour des raisons politiques (que curieusement, personne ne condamne dans ce cas-ci), porte à lui seul la responsabilité de la disparition du christianisme orthodoxe en Ukraine. Tout pouvait être sauvé en 1992. Tout était déjà fini en 2018.
Le gouvernement ukrainien de l'époque et toute une partie de l'élite ukrainienne (institut Razoumkov, etc.), portent quant à eux la lourde responsabilité d'avoir présenté au patriarcat de Constantinople des chiffres dont nous savons maintenant à quel point ils étaient fantasmagoriques, fantastiques, fantasmatiques, abracadabrantesques, au moins vingt fois supérieurs à la réalité, de telle manière que le patriarcat de Constantinople a été conduit à prendre des décisions qui lui ont été lourdement préjudiciables et qui ont aussi été préjudiciables à l'Eglise, en sacrifiant ce qui existait (l'Orthodoxie en Afrique noire) pour sauver ce qui n'existait pas (l'Orthodoxie en Ukraine).
Il eût mieux valu ne pas contester la juridiction du patriarcat de Moscou, et laisser cette brillante pastorale se déployer jusqu'à la conversion au protestantisme ou à l'Islam du dernier orthodoxe ukrainien. Il ne fallait pas contester cette juridiction, pour peu justifiée qu'elle fût.
Juridiction sur du vide. Juridiction sur des monuments historiques rebaptisés paroisses. Juridiction sur des évêques sans prêtres et des prêtres sans fidèles. Mais tout ceci, bien sûr, est canonique. Il n'y a que les "saints" canons qui comptent. Le salut des âmes n'a aucune importance. Le néant, mais absolument canonique.
Car, bien entendu, il était absolument canonique d'imposer la soustraction d'obédience et d'arracher l'Ukraine à la juridiction de Moscou en 1686. Tout le monde sait que Pierre Ier, avec son saint Synode, Catherine II, avec sa décision d'emmurer le saint évêque Arsène de Rostov, Alexandre Ier, avec son appartenance à la secte de Madame de Krüdener, étaient de grands canonistes. Tous aussi canoniques que l'exarchat du groupe Wagner (pardon, l'exarchat d'Afrique du patriarcat de Moscou).
En tout cas, il apparaît maintenant que la décision du patriarcat de Constantinople en 2018 était une grande erreur. Vingt ans plus tôt, elle aurait eu du sens. En 2018, il n'y avait déjà plus rien à faire. Il fallait laisser les morts enterrer leurs morts (Mt 8:22), prendre acte de ce que le christianisme orthodoxe, en Ukraine, était arrivé au bout de sa route, et accepter que le patriarcat de Moscou maintienne à tout prix sa juridiction sur le néant. Tout plutôt que de mettre en péril les missions orthodoxes au sud du Sahara et les dizaines de milliers d'âmes qui, sur le continent africain, se tournaient vers l'Orthodoxie.
L'Orthodoxie, qui est à peu près morte en Ukraine, aurait pu vivre au Kenya. Il est dommage que l'on ne l'ait pas voulu.