Bible et archéologie
Publié : jeu. 08 déc. 2005 16:57
Sur la suggestion de Giorgos, j’ai lu le dossier consacré par La Recherche dans son n° de novembre 2005 à l’archéologie en Palestine. Et je remercie Giorgos car sans lui je n’aurais pas forcément acheté ce numéro qui ne manque pas d’intérêt. Bon, on y retrouve en filigrane la vieille méfiance des archéologues envers les textes – tous les textes, pas seulement la Bible – comme un écho de la vieille rivalité entre archéologues et historiens. A cet égard, l’interview de Pierre de Miroshedji, directeur du Centre de recherches français de Jérusalem, comporte des perles délicieuses comme celle-ci, à propos des Livres des Rois et des Chroniques : « Car la Bible rapporte, pour ces périodes, toutes sortes de petites histoires qui ont un caractère édifiant, apologétique, voire folklorique et qui n’ont rien à voir avec l’histoire proprement dite. » Là, je m’étrangle (de rire) et, en tant qu’historienne, je demande humblement à monsieur le directeur de recherches ce que c’est que l’histoire proprement dite, espèce inconnue dans le zoo de ma discipline.
Le même Miroshedji met en doute tout ce qui, dans la Bible, se rapporte à des périodes antérieures au roi David, en particulier la conquête de Canaan par Josué. Mais il faut savoir que l’une des théories à la mode chez les archéologues depuis 15 ou 20 ans, c’est de refuser tout ce qui rappellerait la théorie des migrations, à la mode dans la première moitié du XXe siècle chez les mêmes archéologues. Autrefois, on expliquait le moindre hiatus culturel par des remplacements drastiques de population ; aujourd’hui, on soutient avec la même absence de preuve réelle que personne n’a bougé et qu’il s’agit d’émergences civilisationnelles – quoi que veuillent dire ces termes. Donc, en accord avec cette théorie et comme on ne trouve pas de traces d’incendies de villes entières, Josué n’a pas conquis quoi que soit, les Hébreux ne sont pas sortis d’Egypte, ils ont « émergé » progressivement. Et avec une naïveté peut-être calculée, notre spécialiste nous explique qu’il y a débat entre archéologues et historiens « notamment entre le XIIe et le Xe siècles avant notre ère, époques fondatrices au point de vue religieux et culturel, mais pour lesquelles les textes relèvent en partie de la légende ». A l’objection du journaliste qui fait remarquer qu’à cette époque, la zone était sous influence égyptienne et qu’il doit donc y avoir des textes égyptiens, l’archéologue est bien obligé de l’admettre. Il doit même reconnaître que les tablettes d’el-Amarna présentent un « paysage humain » conforme à ce que dit la Bible du temps des patriarches. Mais avec dans ladite Genèse des anachronismes qui prouvent une rédaction plus tardive.
Qui donc a écrit "l'archéologie n'est pas une science mais une vendetta" ?
Cela dit, ce n'est pas un scoop. Cela doit bien faire un demi siècle que tout le monde est d'accord pour dire que le Pentateuque (la Torah juive) a été compilé vers -1000, sans doute sous le règne de David, à partir d'archives sur tablettes et sur papyrus, les premières venant de Syrie du nord, de la région de Harran où Abraham a séjourné, les seconds d'Egypte.
Miroshedji, contrairement aux rationalistes hargneux, admet fort bien que les archéologes travaillant sur ce terrain lisent la Bible plutôt que d'aller chercher des modèles de société chez les éleveurs nomades du Soudan ou les agriculteurs du Tchad profond, modèles qui, de plus, seraient filtrés par le regard de l'ethnologue.
Qu'en penser ? Comme démarche scientifique, c'est honnête. Comme démarche spirituelle, ce serait nul mais ce n'est pas son boulot. On peut en discuter sur le plan archéologique et historique et il faut même sérieusement le discuter.
Vous voulez que je vous dise ? En matière d'archéologie de la Palestine, je préfère mille fois un agnostique bien sorbonnard à un kto, un baptiste américain ou un juif pieux qui tordent leurs découvertes pour les faire coller à une dogmatique elle-même tordue.
Le même Miroshedji met en doute tout ce qui, dans la Bible, se rapporte à des périodes antérieures au roi David, en particulier la conquête de Canaan par Josué. Mais il faut savoir que l’une des théories à la mode chez les archéologues depuis 15 ou 20 ans, c’est de refuser tout ce qui rappellerait la théorie des migrations, à la mode dans la première moitié du XXe siècle chez les mêmes archéologues. Autrefois, on expliquait le moindre hiatus culturel par des remplacements drastiques de population ; aujourd’hui, on soutient avec la même absence de preuve réelle que personne n’a bougé et qu’il s’agit d’émergences civilisationnelles – quoi que veuillent dire ces termes. Donc, en accord avec cette théorie et comme on ne trouve pas de traces d’incendies de villes entières, Josué n’a pas conquis quoi que soit, les Hébreux ne sont pas sortis d’Egypte, ils ont « émergé » progressivement. Et avec une naïveté peut-être calculée, notre spécialiste nous explique qu’il y a débat entre archéologues et historiens « notamment entre le XIIe et le Xe siècles avant notre ère, époques fondatrices au point de vue religieux et culturel, mais pour lesquelles les textes relèvent en partie de la légende ». A l’objection du journaliste qui fait remarquer qu’à cette époque, la zone était sous influence égyptienne et qu’il doit donc y avoir des textes égyptiens, l’archéologue est bien obligé de l’admettre. Il doit même reconnaître que les tablettes d’el-Amarna présentent un « paysage humain » conforme à ce que dit la Bible du temps des patriarches. Mais avec dans ladite Genèse des anachronismes qui prouvent une rédaction plus tardive.
Qui donc a écrit "l'archéologie n'est pas une science mais une vendetta" ?
Cela dit, ce n'est pas un scoop. Cela doit bien faire un demi siècle que tout le monde est d'accord pour dire que le Pentateuque (la Torah juive) a été compilé vers -1000, sans doute sous le règne de David, à partir d'archives sur tablettes et sur papyrus, les premières venant de Syrie du nord, de la région de Harran où Abraham a séjourné, les seconds d'Egypte.
Miroshedji, contrairement aux rationalistes hargneux, admet fort bien que les archéologes travaillant sur ce terrain lisent la Bible plutôt que d'aller chercher des modèles de société chez les éleveurs nomades du Soudan ou les agriculteurs du Tchad profond, modèles qui, de plus, seraient filtrés par le regard de l'ethnologue.
Qu'en penser ? Comme démarche scientifique, c'est honnête. Comme démarche spirituelle, ce serait nul mais ce n'est pas son boulot. On peut en discuter sur le plan archéologique et historique et il faut même sérieusement le discuter.
Vous voulez que je vous dise ? En matière d'archéologie de la Palestine, je préfère mille fois un agnostique bien sorbonnard à un kto, un baptiste américain ou un juif pieux qui tordent leurs découvertes pour les faire coller à une dogmatique elle-même tordue.