Peut-on être Orthodoxe et vivre en France ?
Publié : lun. 26 juil. 2004 10:52
« … Ils allaient çà et là, vêtus de peaux de mouton ou de toisons de chèvre, privés de tout, maltraités, affligés, eux dont le monde n’était pas digne, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes et les antres de la terre… »
Ce passage de l’épître aux Hébreux me bouleverse toujours ; c’est au chapitre 11, la séquence qui commence au verset 32 … et j’allais écrire : qui se termine au verset 40. Mais en réalité, il es impossible de s’arrêter là, et on est comme aspiré par un grand tourbillon de vent ascensionnel, qui nous engouffre dans le chapitre 12 qui lui fait suite, en suivant ce texte splendide : « Ainsi donc, nous aussi, environnés que nous sommes d’une telle nuée de témoins… » et puis : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans la lutte contre le péché, et vous avez oublié l’exhortation qui vous est adressée comme à des fils… » et encore : « Quel est donc le fils que ne corrige pas son père ? Si vous êtes exempts de cette correction à laquelle tous ont part, c’est que vous êtes des bâtards et non des fils … » et surtout, bien sûr : « Recherchez la paix avec tous, et la sanctification – sans laquelle personne ne verra le Seigneur. Veillez à ce que personne ne soit privé de la grâce du Seigneur… »
Nous qui sommes orthodoxes, en France - et en même temps qui essayons chaque jour de le devenir vraiment ! – nous avons parfois (mais c’est de manière bien récurrente) le sentiment d’être nous-mêmes ces étrangers dans notre propre pays. Sans doute pas au point d’être maltraités, ni privés de tout - puisque nous avons tout de même une paroisse orthodoxe disponible ; même si elle est à 150 km de chez nous (quand ce n’est pas plus loin encore) et même si nous n’avons pas les moyens, ou la santé, pour nous y rendre tous les mois…
Non ; pas vraiment maltraités - mais méprisés, oui ; souvent.
Pas méprisés à cause de nos péchés, ce qui serait encore une sorte de bénédiction, mais à cause de notre foi. Même les musulmans ont droit à plus de considération : nous vivons pourtant sur une terre qui a été défrichée de sa sauvagerie initiale par les apôtres venus de la Méditerranée orientale, et imprégnée par le sang des martyrs orthodoxes, un pays qui a été une terre chrétienne orthodoxe ( et combien !) pendant plus de 800 ans : bien avant de commencer à faire figure de nation, reconnaissable pour telle. Et nos martyrs l’ont été souvent de la main des musulmans, même sur cette terre au bout de l’Occident. Pourtant, la religion des bourreaux de l’orthodoxie est mieux connue, et plus « admirée » ( !) par nos édiles que la Foi de nos Pères.
Tout récemment, j’en ai encore fait la constatation.
Un de mes amis les plus proches, en butte à une crise familiale (il est orthodoxe et cette famille ne l’est pas), s’est entendu dire : « Nous sommes allés voir l’avocat de la famille, et il nous a confirmé que nous pouvons te mettre dehors quand nous le voudrons si tu tardais trop à t'en aller de toi-même ; il nous a dit aussi que de toute évidence, ta fameuse orthodoxie n'a rien à voir avec l'Église; c'est une secte, et très dangereuse"…
Il est vrai que cela se passe en milieu rural, dans ce qu’on appelait encore hier « la France profonde ». Mais cet ami m’a confirmé que le bruit courait dans le bourg qu’il était un gourou, et qu’il faisait partie d’une secte ; ceux des siens qui cherchent à l’expulser ne sont sans doute pas étrangers à cette rumeur ; n’empêche qu’elle court, sans éveiller le moindre esprit critique chez les braves gens qui l’écoutent bouche bée, avant de la colporter à leur tour.
Qu'a donc fait de bien différent, au siècle dernier, l'empire occupant de l'époque, mais alors vis à vis des juifs ? Et qu'ont fait alors nos concitoyens, si ce n'est courir vers les boîtes aux lettres de leurs kommandantur pour les dénoncer ?
Est-ce donc ainsi, sur cette antique terre d’orthodoxie qu’est le midi de la France (même si tout a été fait à Rome pour le lui faire oublier) que le commun des Français nous perçoit ? Une secte pire que les autres, plus dangereuse même que la Scientologie ou le New Age - parce qu'il y a des peuples entiers « qui sont tombés dedans depuis l'an mille » ?
Car c’est bien ce que pense la plupart de nos concitoyens (quand ils pensent aussi loin, ce qui n’est pas si répandu !) : les orthodoxes sont des fanatiques qui se sont séparés du Pape au Moyen-Age.
Bien sûr, ils ne savent rien de 1054, mais quelque chose comme çà doit tout de même traîner dans le fonds de leurs têtes, surtout depuis les guerres du Kosovo - et de Bosnie. Beaucoup se disent (surtout depuis que les chefs du tentaculaire empire étasunien insistent sur leur nouvelle stratégie de « guerre mondiale contre le terrorisme ») qu’il faudra bien éliminer un jour ou l’autre ces peuples dangereux, racistes, terroristes, partisans de l'épuration ethnique, bref ces peuples qui sont encore "orthodoxes comme les Russes".
Sans être vraiment capables d’analyser cela bien clairement, les peuples orthodoxes font pour eux partie du « bloc des ennemis » : entre le grand diable Staline et le patriarche de Moscou qui refuse de recevoir le pape, et les méchants Serbes qui faisaient du mal aux gentils musulmans du Kosovo, font-ils encore grande différence ? Tout çà, c’est le bloc de l'Est. La grande menace qui vient du froid.
Eh ! bien, quand je lis sur le Forum certaines interventions (pourtant écrites par des catholiques romains de la tendance la plus ouverte, celle qui s’intéresse peu ou prou à l’Orthodoxie ; ce qui est statistiquement rarissime), et que je lis ensuite les réactions qu'elles entraînent chez nous, je commence à me demander si nous ne sommes pas dangereusement inconscients du monde réel qui nous entoure. Nous blablatons de confiance, comme si nous étions entre esprits supérieurs, devisant entre eux de choses élevées, de la perfection de la doctrine des Apôtres et de la nécessité de vérifier la nôtre à son aune, de la définition la plus exacte possible du mystère de la sainte Trinité, etc. etc. - alors que nous ne sommes pas du tout dans la situation de nos premiers illuminateurs, et que nous ne vivons pas au coeur d’une contrée peuplée de "bons païens" à convertir, mais que nous sommes le plus souvent en posture de chemineaux de passage sur la route, face à des chiens à l'attache qui reniflent une odeur de bêtes sauvages dès que nous ouvrons la bouche, et qui se mettent à aboyer au loup - comme pour alerter leur maître... Attention, rôdeur ! Attention, secte ! Attention, gourou !
Et pourquoi pas, demain : « Attention, terroriste ! » pendant qu’on y est ?
C’est une question plus grave qu’il y paraît. Pouvons-nous encore les considérer comme nos frères (... en Adam) ou bien faudra-t-il un jour plus ou moins proche nous chercher quelque caverne dans la montagne - pour nous y réfugier comme des hommes préhistoriques à l'arrivée de la prochaine ère de glaciation ?
Parfois, je dois reconnaître que j’en ai eu l’envie. Mais chaque fois que j'ai essayé, j'ai dû bientôt redescendre dans la plaine : parce que la glaciation n'était pas encore arrivée, parce que la société de consumation continuait plus ou moins à tourner, vaille que vaille - parce qu'il fallait bien vivre : les enfants, leurs études, les impôts, la Sécu … et ce fameux hameçon de la retraite au bout de la dernière ligne droite, le dernier verrou qui protège encore un peu les vieillards sans compte en banque – et que cette société de dirigeants avides de fric (et d’élus escrocs) essaie de plus en plus de leur voler pendant qu’ils dorment.
Bien sûr, c’est un problème de société, et on me dira que notre Forum n’est pas là pour en traiter. Mais je crains que tout soit dans tout, et qu’un train en cache un autre : doit-on vraiment préférer être écrasé par celui-ci, et se bander les yeux pour ne pas voir venir l’autre ?!
Comme disait un écrivain qui eut son heure : « C’est Mozart qu’on assassine ! ». Nous ne sommes pas Mozart, mais en étant tout simplement orthodoxes dans un pays qui n’est même plus vraiment chrétien (ni chrétien hérétique ou schismatique, peu importe en l’occurrence), ne sommes-nous pas déjà entrés jusqu’au cou dans le bain glacé de cette problématique ?
Et, dernière question : serais-je vraiment le seul à ressentir ce malaise ?
Ce passage de l’épître aux Hébreux me bouleverse toujours ; c’est au chapitre 11, la séquence qui commence au verset 32 … et j’allais écrire : qui se termine au verset 40. Mais en réalité, il es impossible de s’arrêter là, et on est comme aspiré par un grand tourbillon de vent ascensionnel, qui nous engouffre dans le chapitre 12 qui lui fait suite, en suivant ce texte splendide : « Ainsi donc, nous aussi, environnés que nous sommes d’une telle nuée de témoins… » et puis : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans la lutte contre le péché, et vous avez oublié l’exhortation qui vous est adressée comme à des fils… » et encore : « Quel est donc le fils que ne corrige pas son père ? Si vous êtes exempts de cette correction à laquelle tous ont part, c’est que vous êtes des bâtards et non des fils … » et surtout, bien sûr : « Recherchez la paix avec tous, et la sanctification – sans laquelle personne ne verra le Seigneur. Veillez à ce que personne ne soit privé de la grâce du Seigneur… »
Nous qui sommes orthodoxes, en France - et en même temps qui essayons chaque jour de le devenir vraiment ! – nous avons parfois (mais c’est de manière bien récurrente) le sentiment d’être nous-mêmes ces étrangers dans notre propre pays. Sans doute pas au point d’être maltraités, ni privés de tout - puisque nous avons tout de même une paroisse orthodoxe disponible ; même si elle est à 150 km de chez nous (quand ce n’est pas plus loin encore) et même si nous n’avons pas les moyens, ou la santé, pour nous y rendre tous les mois…
Non ; pas vraiment maltraités - mais méprisés, oui ; souvent.
Pas méprisés à cause de nos péchés, ce qui serait encore une sorte de bénédiction, mais à cause de notre foi. Même les musulmans ont droit à plus de considération : nous vivons pourtant sur une terre qui a été défrichée de sa sauvagerie initiale par les apôtres venus de la Méditerranée orientale, et imprégnée par le sang des martyrs orthodoxes, un pays qui a été une terre chrétienne orthodoxe ( et combien !) pendant plus de 800 ans : bien avant de commencer à faire figure de nation, reconnaissable pour telle. Et nos martyrs l’ont été souvent de la main des musulmans, même sur cette terre au bout de l’Occident. Pourtant, la religion des bourreaux de l’orthodoxie est mieux connue, et plus « admirée » ( !) par nos édiles que la Foi de nos Pères.
Tout récemment, j’en ai encore fait la constatation.
Un de mes amis les plus proches, en butte à une crise familiale (il est orthodoxe et cette famille ne l’est pas), s’est entendu dire : « Nous sommes allés voir l’avocat de la famille, et il nous a confirmé que nous pouvons te mettre dehors quand nous le voudrons si tu tardais trop à t'en aller de toi-même ; il nous a dit aussi que de toute évidence, ta fameuse orthodoxie n'a rien à voir avec l'Église; c'est une secte, et très dangereuse"…
Il est vrai que cela se passe en milieu rural, dans ce qu’on appelait encore hier « la France profonde ». Mais cet ami m’a confirmé que le bruit courait dans le bourg qu’il était un gourou, et qu’il faisait partie d’une secte ; ceux des siens qui cherchent à l’expulser ne sont sans doute pas étrangers à cette rumeur ; n’empêche qu’elle court, sans éveiller le moindre esprit critique chez les braves gens qui l’écoutent bouche bée, avant de la colporter à leur tour.
Qu'a donc fait de bien différent, au siècle dernier, l'empire occupant de l'époque, mais alors vis à vis des juifs ? Et qu'ont fait alors nos concitoyens, si ce n'est courir vers les boîtes aux lettres de leurs kommandantur pour les dénoncer ?
Est-ce donc ainsi, sur cette antique terre d’orthodoxie qu’est le midi de la France (même si tout a été fait à Rome pour le lui faire oublier) que le commun des Français nous perçoit ? Une secte pire que les autres, plus dangereuse même que la Scientologie ou le New Age - parce qu'il y a des peuples entiers « qui sont tombés dedans depuis l'an mille » ?
Car c’est bien ce que pense la plupart de nos concitoyens (quand ils pensent aussi loin, ce qui n’est pas si répandu !) : les orthodoxes sont des fanatiques qui se sont séparés du Pape au Moyen-Age.
Bien sûr, ils ne savent rien de 1054, mais quelque chose comme çà doit tout de même traîner dans le fonds de leurs têtes, surtout depuis les guerres du Kosovo - et de Bosnie. Beaucoup se disent (surtout depuis que les chefs du tentaculaire empire étasunien insistent sur leur nouvelle stratégie de « guerre mondiale contre le terrorisme ») qu’il faudra bien éliminer un jour ou l’autre ces peuples dangereux, racistes, terroristes, partisans de l'épuration ethnique, bref ces peuples qui sont encore "orthodoxes comme les Russes".
Sans être vraiment capables d’analyser cela bien clairement, les peuples orthodoxes font pour eux partie du « bloc des ennemis » : entre le grand diable Staline et le patriarche de Moscou qui refuse de recevoir le pape, et les méchants Serbes qui faisaient du mal aux gentils musulmans du Kosovo, font-ils encore grande différence ? Tout çà, c’est le bloc de l'Est. La grande menace qui vient du froid.
Eh ! bien, quand je lis sur le Forum certaines interventions (pourtant écrites par des catholiques romains de la tendance la plus ouverte, celle qui s’intéresse peu ou prou à l’Orthodoxie ; ce qui est statistiquement rarissime), et que je lis ensuite les réactions qu'elles entraînent chez nous, je commence à me demander si nous ne sommes pas dangereusement inconscients du monde réel qui nous entoure. Nous blablatons de confiance, comme si nous étions entre esprits supérieurs, devisant entre eux de choses élevées, de la perfection de la doctrine des Apôtres et de la nécessité de vérifier la nôtre à son aune, de la définition la plus exacte possible du mystère de la sainte Trinité, etc. etc. - alors que nous ne sommes pas du tout dans la situation de nos premiers illuminateurs, et que nous ne vivons pas au coeur d’une contrée peuplée de "bons païens" à convertir, mais que nous sommes le plus souvent en posture de chemineaux de passage sur la route, face à des chiens à l'attache qui reniflent une odeur de bêtes sauvages dès que nous ouvrons la bouche, et qui se mettent à aboyer au loup - comme pour alerter leur maître... Attention, rôdeur ! Attention, secte ! Attention, gourou !
Et pourquoi pas, demain : « Attention, terroriste ! » pendant qu’on y est ?
C’est une question plus grave qu’il y paraît. Pouvons-nous encore les considérer comme nos frères (... en Adam) ou bien faudra-t-il un jour plus ou moins proche nous chercher quelque caverne dans la montagne - pour nous y réfugier comme des hommes préhistoriques à l'arrivée de la prochaine ère de glaciation ?
Parfois, je dois reconnaître que j’en ai eu l’envie. Mais chaque fois que j'ai essayé, j'ai dû bientôt redescendre dans la plaine : parce que la glaciation n'était pas encore arrivée, parce que la société de consumation continuait plus ou moins à tourner, vaille que vaille - parce qu'il fallait bien vivre : les enfants, leurs études, les impôts, la Sécu … et ce fameux hameçon de la retraite au bout de la dernière ligne droite, le dernier verrou qui protège encore un peu les vieillards sans compte en banque – et que cette société de dirigeants avides de fric (et d’élus escrocs) essaie de plus en plus de leur voler pendant qu’ils dorment.
Bien sûr, c’est un problème de société, et on me dira que notre Forum n’est pas là pour en traiter. Mais je crains que tout soit dans tout, et qu’un train en cache un autre : doit-on vraiment préférer être écrasé par celui-ci, et se bander les yeux pour ne pas voir venir l’autre ?!
Comme disait un écrivain qui eut son heure : « C’est Mozart qu’on assassine ! ». Nous ne sommes pas Mozart, mais en étant tout simplement orthodoxes dans un pays qui n’est même plus vraiment chrétien (ni chrétien hérétique ou schismatique, peu importe en l’occurrence), ne sommes-nous pas déjà entrés jusqu’au cou dans le bain glacé de cette problématique ?
Et, dernière question : serais-je vraiment le seul à ressentir ce malaise ?