Claude Imbert à propos de Lourdes

Échangez vos idées librement ici

Modérateur : Auteurs

Claude le Liseur
Messages : 4369
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Claude Imbert à propos de Lourdes

Message par Claude le Liseur »

Sur le forum d'accueil, un dénommé Kyrieeleison nous reproche le fait que l'aspect mercantile de Lourdes ait été dénoncé sur ce forum. Cela appelle de ma part les remarques suivantes:

1. Je n'ai pas souvenir que nous ayions beaucoup parlé de l'aspect mercantile de Lourdes. En ce qui me concerne, si j'ai parlé de Lourdes, c'est uniquement pour dire que je ne croyais pas que la Toute Sainte-Enfantrice de Dieu ait pu se présenter à Bernadette Soubirous en disant: "Je suis l'Immaculée Conception", ce qui, en plus d'être une hérésie, est une absurdité grammaticale (la logique aurait voulue qu'elle dise "Je suis l'Immaculée Conçue": pas besoin d'être orthodoxe ou catholique ou chamaniste pour faire la remarque). Le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, avait aussi des doutes sérieux dont il avait fait part dans un livre d'entretiens publiés après sa mort en 1994, où il disait que les prêtres du sanctuaire voisin de Bétharram avaient sans doute abusé la bonne foi de Bernadette Soubirous.
Ainsi, au nom de l'oecuménisme, "Kyrieeleison" 1) nous demande de croire que la Mère de Dieu a elle-même enseigné une erreur doctrinale de Pie IX, erreur que notre Eglise rejette; 2) nous interdit vis-à-vis de ce genre de phénomènes survenus (ou pas survenus) au sein de l'Eglise catholique romaine le scepticisme que se permettait le cardinal Decourtray. En clair, au nom de l'oecuménisme, on nous demande d'être plus ultramontains que le cardinal Decourtray.

2) En ce qui concerne les aspects mercantiles de Lourdes, mon propre grand-père maternel, baptisé catholique-romain, ayant vécu comme catholique-romain et enterré comme catholique-romain, me racontait toujours avec un grand sourire son voyage à Lourdes en 1937 en me parlant de Lourdes comme d'un "grand bazar" qui valait le déplacement sur le plan touristique. Pour le reste, il n'y croyait pas du tout. C'est d'ailleurs sur son conseil que j'ai fait le voyage de Lourdes en 1989. Dois-je brûler mon grand-père sur le bûcher de l'oecuménisme?

3) Il y a quatre mois, une fidèle de ma paroisse, originaire du département de Bistrita-Nasaud, m'a raconté qu'elle avait économisé pendant des mois pour pouvoir s'offrir un pélerinage à Lourdes et elle m'a demandé pardon de devoir me dire qu'elle avait été horrifiée par le mercantilisme qu'elle y avait vu, et que ce voyage à Lourdes lui avait fait mal pour sa foi. (Elle était venue se confier à moi parce qu'elle voulait en parler à quelqu'un d'origine française, donc peut-être plus au courant qu'elle de ce qui tournait autour de Lourdes.) Je lui ai expliqué que les apparitions de Lourdes étaient survenues (ou pas survenues) hors de l'Eglise orthodoxe, qu'elle n'avait aucune obligation d'y croire, qu'elle n'avait pas à se sentir coupable d'avoir été scandalisée par ce qu'elle y avait vu, qu'elle n'avait pas à craindre que son scepticisme soit l'expression d'une foi tiède et que, de toute façon, je n'y croyais pas à cause du détail de la phrase "Je suis l'Immaculée Conception". Cela l'a beaucoup rassérénée.
Si j'avais appliqué les principes de l'oecuménisme selon M. Kyrieeleison, j'aurais sans doute dû lui répondre qu'elle avait péché contre l'oecuménisme, que son scepticisme par rapport à Lourdes était un péché qui faisait saigner le coeur de nos frères catholiques-romains, etc. Parler de charité et d'amour quand on regarde les choses de très loin, c'est facile; mais quand on est confronté à des cas concrets?

4) Le Point est un hebdomadaire français de grande diffusion dont je me sens très éloigné sur le plan politique. Je me permets cependant de reproduire une partie de l'éditorial de son directeur Claude Imbert (lui-même catholique-romain) dans le numéro 1666 du 19 août 2004, page 49:

"A Lourdes, le pape aura exhibé, avec une opiniâtreté ostentatoire, l'effrayante extinction de ses moyens physiques. La force spirituelle qu'il déploie impressionne, même si le dolorisme rôde sur un délabrement si obstinément exposé. La très humaine volonté du pape en fit jadis, contre l'empire rouge, un athlète de la liberté. Elle magnifie aujourd'hui, dans un Occident ramolli, la vertu disqualifiée du courage. Ainsi, une main tremblante et crispée sur la passerelle, Jean-Paul II figure-t-il en capitaine impavide d'une Eglise qui lui ressemble: encore florissante sous les Tropiques mais dans la vieille Europe aussi malade que lui. L'assiduité au culte, les vocations s'effondrent. Et la croyance se trouve moins étouffée par le dogme scientiste que par le réseau des techniques, de la biologie génétique, de la pilule et du consumérisme...
Les préceptes moraux de ce pape admiré sont, jusque chez les fidèles, moins contestés qu'ignorés. "Le chanteur vaut mieux que la chanson", dit crûment un prélat désenchanté. A ce malade d'entre les malades, la grotte miraculeuse apporte encore son éternelle consolation. Mais le culte de la Vierge Marie, son environnement sulpicien de miracles pour bergers et bergères décourage non seulement les sceptiques, non seulement les chrétiens protestants et orthodoxes, mais aussi les catholiques qui, croyant en l'Incarnation et à la Résurrection du Christ, n'en répugnent pas moins à la "foi du charbonnier" et aux apparitions hypnotiques de l'Immaculée Conception."

Voilà ce qu'on peut lire dans un grand hebdomadaire français qui n'est ni anti-catholique, ni anti-religieux. L'hétérodoxe Claude Imbert nous reconnaît, à nous orthodoxes, le droit d'être sceptiques par rapport à Lourdes, et d'autres voudraient nous l'interdire au nom de l'oecuménisme. Mais l'oecuménisme avec qui? Pourquoi n'aurions-nous pas le droit de nous sentir proches de certains catholiques qui n'en peuvent plus de l'attirail mis en place par les ultramontains au XIXème siècle pour justifier les prétentions de Pie IX et qui sont écoeurés par l'utilisation politique de révélations comme par hasard toujours faites à des bergères? Les apparitions de la Salette ont été utilisées contre les républicains en France. Les apparitions de Lourdes ont été utilisées pour justifier le dogme promulgué quatre ans plus tôt par Pie IX. Les apparitions de Fatima ont été utilisées par le prosélytisme papal en Russie, et maintenant en Transylvanie où l'on promène actuellement (avec quel argent?) une "Vierge de Fatima" sur un camion. Et c'est parce que Paul VI (Montini) avait renoué avec la tradition de sobriété en matière de miraculeux du temps du regretté Benoît XIV (Lambertini) que l'on n'a pas eu droit à une utilisation des "apparitions" de Garabandal ou de Palmar de Troya. Et, pour une fois, nous devons être reconnaissants à l'épiscopat catholique-romain croate d'avoir freiné le culte des "apparitions" de Medjugorje (dont c'est maintenent un groupe monophyiste français qui fait la promotion active!).

Et, au nom de l'oecuménisme, on prétendrait nous empêcher de douter de ces "apparitions" et "révélations" toujours si opportunes sur le plan politique, ou de dire qu'il n'y a rien de plus écoeurant que cette "Vierge de Fatima" supposée venir au secours d'un uniatisme en complet effondrement en Transylvanie?

Au nom de l'oecuménisme, nous n'aurions pas le droit de dire que la vie spirituelle, ce n'est pas la recherche à tout prix du miraculeux, mais que c'est la sobriété de l'ascèse et de la prière dans le respect des dogmes divins et déifiants reçus des Apôtres et préservés jusqu'à ce jour par l'Eglise orthodoxe?

Les Eglises protestantes, qui sont les vraies fondatrices de l'oecuménisme, sont celles où règne le plus grand climat de liberté. Il me semble en revanche que, dans l'Eglise orthodoxe, l'oecuménisme sert de prétexte à imposer un cléricalisme rétrograde, un conformisme pesant et une censure étouffante que l'Orthodoxie n'avait jamas connus.
Jeanne Saint Gilles
Messages : 154
Inscription : mar. 03 août 2004 18:20
Localisation : Paris 08

Re: Claude Imbert à propos de Lourdes

Message par Jeanne Saint Gilles »

lecteur Claude a écrit :
Et, au nom de l'oecuménisme, on prétendrait nous empêcher de douter de ces "apparitions" et "révélations" toujours si opportunes sur le plan politique, ou de dire qu'il n'y a rien de plus écoeurant que cette "Vierge de Fatima" supposée venir au secours d'un uniatisme en complet effondrement en Transylvanie?
Votre réaction m'inspire 2 remarques et questions

- l'uniatisme en Roumanie (je croyais l'uniatisme propre à l'Ukraine); quelle est son origine et son état actuel. Vous parlez d'effondrement. Pourquoi, comment? Avez-vous des chiffres? Et sur l'uniatisme en Ukraine?

- en fait par rapport à l'oecuménisme, on nous dit : "il y a des apparitions donc le catholicisme est valable donc faisons de l'oecuménisme". Mais on ne spose pas la question de la véracité de ces choses... Ce qui serait le minimum. Au juste il y aurait une chapelle orthodoxe à Fatima?
Jérusalem quand pourrai-je te voir?
Claude le Liseur
Messages : 4369
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

Non, à ma connaissance, il y a à Fatima une chapelle russe catholique (les uniates russes n'ont par ailleurs que trois ou quatre paroisses à travers le monde), ce qui permet sans doute de faire croire aux pélerins que c'est une chapelle orthodoxe et que l'Orthodoxie cautionne les "apparitions" de Fatima.

L'uniatisme est loin d'être confiné à l'Ukraine: il y a aussi des uniates en Hongrie (où ils sont sept fois plus nombreux que les orthodoxes!) avec le diocèse d'Hadju-Dorog , en Slovaquie, en Transylvanie et au Banat, en Syrie, au Liban, en Palestine (où ils sont pratiquement aussi nombreux que les orthodoxes), en Egypte, dans l'ancienne Yougoslavie (diocèse de Krijevtsi) et même en Grèce (mais je les mentionne pour l'exhaustivité, parce qu'ils n'y dépassent pas 2'500 personnes). Il y a aussi des uniates détachés des Eglises antichalcédoniennes, en Irak (où ils représentent la grande majorité des chrétiens), en Inde (plus nombreux qu'en Ukraine!), en Syrie, en Egypte, en Erythrée et en Ethiopie (mais sans grand succès dans ce dernier pays).

J'ai parlé de l'histoire de l'uniatisme en Translyvanie dans le fil intitulé 21 octobre: les confesseurs de Transylvanie. L'uniatisme y avait été créé par les Habsbourg en 1701 en contraignant la métropole orthodoxe d'Alba Iulia (Alba Carolina /Gyulafehervár / Weissburg / Balgrad) à la fausse union. L'Orthodoxie avait été interdite, mais elle a survécu par le fait que les prêtres orthodoxes roumains de Transylvanie allaient se faire ordonner en Valachie ou en Moldavie avant de revenir secrètement dans leur village et par le fait que les Habsbourg n'avaient pas osé toucher à l'évêché serbe d'Arad dont l'évêque acceptait d'ordonner des prêtres pour les Roumains.
La prédication du saint martyr Vissarion Saraï a ramené des dizaines de villages uniates à l'Orthodoxie en 1744, et malgré les persécutions des Habsbourg et la disparition de tant et tant de confesseurs dans les cachots de Kufstein au Tyrol, Marie-Thérèse a dû s'incliner en légalisant l'Orthodoxie en 1762, non sans avoir fait détruire tous les monastères orthodoxes de Transylvanie par le général Bukow. Son fils Joseph II, despote éclairé s'il en fut, a accordé la liberté religieuse (les orthodoxes ont pu construire leur première église à l'intérieur de Brasov / Brásso / Kronstadt d'où ils étaient auparavant bannis en 1787, sous son règne), mais non la liberté de quitter l'uniatisme, qui n'est venue qu'au XIXème siècle. A partir de la révolution de 1848, et surtout de la réunification de la Roumanie en 1918, il y a eu un mouvement constant de retour de paroisses uniates à l'Orthodoxie, mouvement dont les communistes ont pris prétexte pour purement et simplement interdire l'Eglise uniate en 1948.
Fondée par la violence en 1701, l'Eglise uniate fut ainsi supprimée par la violence en 1948. A cette date, elle devait compter encore 1'400'000 fidèles (sur la base des 1'411'515 recensés en 1930, et en sachant qu'elle avait décliné depuis). Les communistes espéraient que la plupart des anciens uniates préféreraient l'athéisme au retour à l'Orthodoxie, tant leur haut clergé les avait élevés dans la haine de l'Orthodoxie (le cardinal Hossu, évêque uniate de Cluj / Kolozsvár / Klausenburg et de Gherla / Armenierstadt / Armenopol, ne disait-il pas que le baptême orthodoxe était un passeport pour l'enfer?). En fait, cela ne s'est pas passé comme ça, et la plupart des anciens uniates sont devenus orthodoxes. En effet, le clergé paroissial uniate ne partageait pas les options du haut clergé (d'ailleurs souvent dénationalisé), et les évêques et prêtres orthodoxes qui ont eu à accueillir des uniates ont fait preuve de beaucoup de patience et de compréhension, ce qui a permis de libérer de nombreux fidèles des préjugés que leur avaient inculqués leurs évêques pendant deux siècles et demi.

Le clergé uniate a été persécuté par le pouvoir communiste et le cardinal Hossu a connu la terrible prison de Sighet; mais ce que les propagandistes uniates oublient de rappeler, c'est que le clergé orthodoxe a subi le même sort, un quart du clergé orthodoxe roumain de l'époque ayant abouti dans les prisons et les camps de concentration.

Après la chute du communisme et la légalisation de l'Eglise uniate (31 décembre 1989), les uniates et leurs parrains occidentaux ont fait une publicité effrénée sur le thème qu'ils allaient retrouver leur ancienne influence (le livre du diacre romano-catholique Didier Rance, Roumanie - Courage et fidélité, AED 1994, est un exemple de cette littérature de propagande).

Quant au recensement de 1992, on n'a compté que 228'337 "gréco-catholiques", ils ont dit que c'était parce que le recensement avait eu lieu seulement deux ans après le rétablissement de leur Eglise, et qu'ils gagnaient chaque jour du terrain aux dépens des orthodoxes. Sur leur site Internet, ils revendiquaient 733'000 fidèles en 2001. Las, la réalité était différente, et, au recensement de 2002, ils n'étaient plus que 191'556. Et je peux vous dire qu'il est visible sur le terrain, que c'est le recensement qui dit la vérité, et pas leurs statistiques ecclésiastiques. Ils sont même d'autant plus agressifs qu'ils n'ont plus d'emprise sur la grande majorité de la population. (J'ai connu le cas d'un village où les uniates se réunissaient dans leur église, prêtre en tête, pour prier officiellement pour la mort du prêtre orthodoxe du village, et je connais un prêtre orthodoxe qui a dû quitter le village où il vivait à cause des violences des uniates; par ailleurs, ayant été pris par une uniate pour catholique-romain, j'ai moi-même été confronté à cette agressivité uniate dont je sais que, parfois, elle indispose même les prêtres catholiques-romains occidentaux de passage, peu habitués à de tels excès.) En revanche, ils sont très forts pour faire leur publicité en Occident.

La faiblesse de l'uniatisme en Transylvanie (qui reste cependant violent et face auquel il faut être toujours vigilant) par rapport à l'uniatisme en Ukraine vient du fait qu'il ne peut pas jouer la carte du nationalisme. Les uniates ukrainiens se présentent facilement comme l'Eglise nationale de l'Ukraine, face à l'Orthodoxie qui serait la religion des Russes, et au catholicisme de rite latin qui serait la religion des Polonais. En Transylvanie et au Banat, les uniates roumains ne peuvent naturellement pas se présenter comme plus roumains que l'Eglise orthodoxe roumaine!
Dernière modification par Claude le Liseur le mer. 25 août 2004 12:09, modifié 1 fois.
Jeanne Saint Gilles
Messages : 154
Inscription : mar. 03 août 2004 18:20
Localisation : Paris 08

Merci

Message par Jeanne Saint Gilles »

Merci pour ce chouette exposé!!!
Jérusalem quand pourrai-je te voir?
Répondre